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Agriculture

Une expérience d’agroforesterie en Ile-de-France

Un couple de jeunes paysans de la Brie, à l’est de Paris, a choisi de reprendre l’exploitation familiale en appliquant les principes de l’agroforesterie et de la convertir en bio. La revue Silence est allée visiter la ferme, en pleine transition.

-  Lumigny-Nesles-Ormeaux (Seine-et-Marne), reportage

Anne et Pascal Seingier, les parents de Rémi, cultivent 125 ha de terres sableuses en location, à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Paris. Ils y produisent de la luzerne, du blé, du colza, du chanvre, des asperges, des pommes de terre, transforment le colza en huile et vendent leur production en partie à la ferme [1].

En 2010, l’un des propriétaires des terres leur annonce son désir de vendre 38 ha. Ils ne souhaitent pas les acheter, mais, connaissant déjà Terre de liens [2], ils les sollicitent. Ces derniers achètent la parcelle.

Utiliser les différentes strates de végétation 

Rémi a quitté la ferme assez jeune et, passionné par les végétaux, a fait une formation de paysagiste. Claire, sa compagne, a une formation de microbiologiste en milieu marin. En 2008, ils font un voyage au Brésil à la rencontre de communautés paysannes en lien avec le mouvement des sans-terre. Ils découvrent alors l’agroforesterie, qui consiste, pour les cultures, à utiliser les différentes strates de végétation pour enrichir le sol, se protéger des aléas climatiques, assurer une régulation hydrique, favoriser la biodiversité, en associant arbres, cultures et éventuellement animaux sur la même parcelle. Ils sont passionnés par ce qu’ils découvrent.

La ferme familiale.

Ce pays est sous un climat tropical et, à leur retour, Rémi et Claire s’interrogent sur le potentiel de l’agroforesterie sous notre climat. Ils découvrent que ce mode d’agriculture, en plein développement, peut parfaitement convenir aux terres sableuses de la Brie [3].

En 2011, Rémi et Claire se lancent dans un projet autour de l’agroforesterie. Anne et Pascal ont annoncé leur désir de partir à la retraite en 2019. Cela laisse du temps pour négocier une transmission.

Rémi prend alors contact avec Terre de liens pour utiliser le champ de 38 ha comme première parcelle d’expérimentation.

Deux mille arbres et neuf mille arbustes plantés 

Ces deux derniers hivers, ils ont organisé des chantiers participatifs pour la couvrir de plantes. Deux mille arbres sont plantés (19 espèces) ainsi que 9.000 arbustes (34 espèces). Paysagiste, Rémi a une bonne connaissance des caractéristiques des arbres et des arbustes et les choisit pour être en cohérence avec le sol, pour assurer une longue période de floraison, avec des fleurs mellifères pour favoriser la présence des insectes [4].

Claire commence sa reconversion en passant du milieu marin à l’étude des sols. Elle va suivre l’impact des plantations sur la matière organique et la microfaune du sol, en lien avec la chambre d’agriculture de Seine-et-Marne.

Lors d’un chantier participatif.

Entre les arbres, les cultures seront bio, en rotation sur sept ans : deux ans de luzerne, puis chanvre, colza, seigle et légumineuse, et enfin orge. Comme du temps des parents, le colza est transformé en huile sur place. La fibre de chanvre est vendue à un fabricant de panneaux d’isolation, et la graine pourrait aussi servir à produire de l’huile sur place [5].

Limiter les effets du réchauffement climatique 

Si certains arbustes sont productifs (groseilliers, cassis, noisetiers…), d’autres sont destinés à être coupés très court tous les quatre ans pour produire du bois raméal fragmenté (BRF), lequel sert ensuite à enrichir les sols [6].

Certains noyers ont été greffés pour produire des noix, d’autres sont destinés à devenir à long terme (30 ans) du bois d’œuvre.

Ces haies et arbres doivent permettre de limiter les effets du réchauffement climatique. En bas de parcelle, où l’eau stagne au printemps, le système racinaire doit permettre un meilleur drainage (les arbres ont été choisis en fonction de cette humidité : saules, frênes et chênes pédonculés).

Afin de relocaliser la production de certaines plantes, Claire est allée au Conservatoire des plantes aromatiques de Milly-la-Forêt [7] pour découvrir les plantes cultivables dans la région. Les parents devraient libérer une parcelle de 20 ha pour y implanter progressivement des rosiers de Provins, de Damas et de mai, du thym, de la camomille romaine, de la menthe poivrée, du millepertuis, de la centaurée, du bleuet, de la violette odorante…

De 2016 à 2019, ils apprendront à gérer la ferme des parents en y introduisant progressivement l’agroforesterie tout en passant en bio. Dans un premier temps, il n’y aura pas de modification des cultures. Ils continueront à tenir la boutique à la ferme. Ensuite, selon les résultats, cela évoluera à leur image.


TERRES COLLECTIVES ET VIDE JURIDIQUE

L’agroforesterie en France se développe habituellement chez un exploitant propriétaire. Ici, les arbres sont plantés sur des terres appartenant à Terre de liens. Cela pose un problème de bail non résolu à ce jour. Habituellement, Terre de liens fait un bail de carrière avec la personne qui s’installe : les terres sont confiées à l’agriculteur jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite. Mais, comment prendre en compte les investissements de départ et le suivi, tout au long de sa carrière, des arbres et arbustes plantés ? Comment transmettre ensuite la valeur des arbres qui, pour ceux prévus pour le bois d’œuvre, ne seront exploités que trente à quatre-vingts ans après le départ à la retraite de Rémi et de Claire ? Il y a, pour le moment, un vide juridique que Terre de liens étudie.


Rémi Seingier et Claire Bertrand, 18, rue de Carrouge, 77540 Lumigny-Nesles-Ormeaux, tél. : 06 50 53 66 50, [email protected]

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