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Agriculture

Vaccin contre la grippe aviaire : les petits éleveurs ont peur de se faire plumer

Les petits éleveurs craignent que la vaccination ne favorise les élevages industriels.

Les canards français pourront bientôt être vaccinés contre la grippe aviaire. Un soulagement pour les producteurs, même si les plus petits élevages appréhendent le prix et les contraintes de cette future campagne d’injections.

La vaccination des canards contre la grippe aviaire pourrait commencer dès l’automne prochain. C’est l’annonce qui a été faite par le ministère de l’Agriculture, jeudi 25 mai. Une expérimentation avait été lancée il y a un an, en mai 2022. Deux rapports ont été rendus en avril et en mai. « Ces résultats favorables apportent des garanties suffisantes », a estimé le ministère de l’Agriculture.

Les deux vaccins testés, des laboratoires Boehringer Ingelheim et Ceva Santé Animale, sont « très efficaces », a affirmé l’Agence nationale de sécurité sanitaire à l’AFP. « La charge virale produite par les animaux infectés est fortement diminuée », se réjouit auprès de Reporterre Jean-Luc Guérin, professeur en pathologie aviaire à l’école nationale vétérinaire de Toulouse. « Et les animaux non infectés ne s’infectent pas. »

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Côté éleveurs, « c’est une belle nouvelle qui donne de l’espérance », réagit Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne et référente grippe aviaire. En particulier alors que l’épizootie a repris depuis début mai dans le Sud-ouest, avec près de 75 foyers détectés dans le Gers, les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, selon le ministère de l’Agriculture. « Mais ça ne règle pas tout », poursuit l’éleveuse. Le déploiement du vaccin pose plusieurs questions pour les petits producteurs plein air.

1 – Qui va payer ?

On ne connaît pas encore le prix exact du vaccin, car « la commande est en cours », explique Jean-Luc Guérin. L’État a lancé un appel d’offre début avril pour acheter 80 millions de doses. Mais on sait déjà que le prix de la dose de vaccin n’est pas le plus cher dans cette affaire.

« Il y a le coût du vaccin, de la main d’œuvre pour vacciner, et surtout le plus élevé qui est celui de la surveillance », poursuit le vétérinaire. En effet, les canards vaccinés doivent subir des contrôles réguliers afin de vérifier que le virus ne circule pas à bas bruit dans les élevages.

Des évaluations ont été faites et communiquées aux producteurs. « Entre le prix du vaccin et de la surveillance, cela pourrait aller de 2 euros par canard pour les élevages en filière longue à forte densité, à presque 7 euros pour les élevages en circuit court avec des effectifs faibles », indique Serge Mora, porte-parole du Mouvement de défense des exploitants familiaux et éleveur dans les Landes. « À ce prix-là, à titre personnel, je peux arrêter ! »

« La grippe aviaire a coûté un milliard d’euros au contribuable l’an dernier »

La crainte est grande que les petits producteurs ne puissent pas assumer une telle charge. Pour éviter cela, « on voudrait qu’il y ait un prix forfaitaire par canard », demande l’agriculteur. « Par ailleurs, on ne veut pas que la vaccination soit obligatoire », ajoute Sylvie Colas. « On a peur que les petits éleveurs qui n’ont que 300 canards ne trouvent pas d’équipes pour venir vacciner. » Les discussions promettent donc d’être animées. « Il faut trouver un modèle économique pour les petits et pour les grands élevages », temporise de son côté Jean-Luc Guérin.

Par ailleurs, le coût ne devrait pas être supporté uniquement par les producteurs. L’État va mettre la main à la poche. Entre les abattages, les mesures sanitaires et l’indemnisation des producteurs, « la grippe aviaire a coûté un milliard d’euros l’an dernier au contribuable, plusieurs centaines de millions d’euros cette année », rappelle Jean-Luc Guérin. Il a donc tout intérêt à financer une solution pour juguler l’épidémie.

Mais les producteurs de canard réclament aussi que toute la filière volaille soit mise à contribution. « Seuls les canards seront vaccinés. Mais puisqu’ils protègent les autres espèces, on voudrait que toutes les interprofessions participent », demande Sylvie Colas. C’est-à-dire celles des œufs, des volailles de chair, etc. « Elles sont toutes pour qu’on vaccine les canards, elles veulent bien participer, mais pas trop », regrette Julien Mora.

2 – Comment va-t-on vacciner tous ces canards ?

Les canards de chair, c’est-à-dire les canards mulards et de barbarie, seront vaccinés à partir du 1ᵉʳ octobre, espère le ministère de l’Agriculture. « La France est le seul pays européen qui a fait le choix politique fort d’aller vers la vaccination le plus vite possible », souligne Jean-Luc Guérin. Mais c’est un défi logistique.

« Pour que le vaccin soit efficace, il faudrait vacciner tous les élevages en même temps, et cela doit être fait par des équipes spécialisées », détaille Sylvie Colas. Pas dit qu’il y aura du personnel en nombre suffisant. La surveillance des canards vaccinés sera aussi un défi. Des tests sur un échantillon de canard devront être faits régulièrement dans chaque élevage. « C’est un protocole lourd, contraignant, qui va entraîner la circulation de beaucoup de personnel que l’on n’a pas pour l’instant », poursuit l’éleveuse. « Je ne suis pas certaine qu’on sera en capacité de le faire. »

3 – La vaccination, prétexte à l’industrialisation ?

Enfin, l’éleveuse ne veut surtout pas « que le vaccin permette encore d’intensifier les élevages », insiste-t-elle. La forte densité d’élevages dans une même zone, et à l’intérieur de chaque élevage, a été un des facteurs majeurs de propagation du virus.

La circulation importante de véhicules (pour l’alimentation, le fourrage), de personnel (vétérinaires, équipes qui viennent attraper les canards pour les mettre dans les camions), et de palmipèdes (en filière longue, les canards sont déplacés plusieurs fois entre l’étape d’engraissement, de gavage, etc) ont aussi favorisé sa diffusion.

Pour Sylvie Colas, l’industrialisation de l’élevage de canards est donc responsable de la catastrophe sanitaire. « Dans les élevages industriels, on n’élève plus des canards mais du virus », dit-elle.

Une salle de gavage de canards, dans le Sud-Ouest, en 2004. CC BY 3.0 / L214 via Wikimedia Commons

Elle craint que le vaccin permette d’éviter une remise en cause de ce modèle. « On est en pleine crise, et la semaine dernière, c’est encore 70 000 canards qui circulaient dans les Landes. Hier un collègue me disait que ses canards vont faire 300 kilomètres pour se faire gaver », se désespère-t-elle. « Alors que tout ce qu’on a vécu montre qu’il faut revoir la façon dont on élève les volailles, et pas que le canard. »

À l’inverse, elle souhaiterait que le vaccin « amène la liberté pour nos animaux ». Les mesures de biosécurité, et en particulier la claustration des volailles a été un traumatisme pour les petits producteurs. Elle voudrait voir à nouveau ses volailles gambader en plein air.

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