2022, année noire pour les éleveurs de volailles

Des millions de volailles ont succombé aux canicules, à la grippe aviaire, et aux abattages. - Unsplash / Toa Heftiba
Des millions de volailles ont succombé aux canicules, à la grippe aviaire, et aux abattages. - Unsplash / Toa Heftiba
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Grippe aviaire, été caniculaire, hausse du prix des aliments et de l’énergie… L’année 2022 est particulièrement éprouvante pour les éleveurs de volailles. Et les prochains mois s’annoncent également difficiles.
« Nous avons traversé un épisode d’une grande douleur et d’une ampleur spectaculaire, raconte Joël Limouzin, vice-président de la FNSEA en évoquant la saison de grippe aviaire 2021-22. Et le pire est à venir. » De fin mai à juillet 2022, aucun nouveau cas n’a été rapporté en élevage. Mais depuis fin juillet, neuf nouveaux foyers ont été confirmés dans la Manche, la Somme, le Morbihan, l’Ain et l’Ille-et-Vilaine.
À la Confédération paysanne des Pays-de-la-Loire, Eudes Gourdon n’est pas plus optimiste, « Nous sommes dans une grande période d’incertitudes, nous ne savons pas comment ça va aller et si demain les paysans resteront en activité. C’est plutôt le pessimisme qui domine dans les campagnes ». D’autant plus que la récolte de maïs — qui nourrit la volaille — s’annonce catastrophique et que le prix de l’énergie ne devrait pas diminuer. 2022, une année noire pour les 100 000 professionnels de la filière. La France compte 14 000 élevages de volailles ; en 2019, 1,76 million de tonnes de volatiles ont été élevées dans notre pays.
La plus grande épidémie de grippe aviaire jamais vue en Europe
Côté grippe aviaire, la saison 2021-2022 fut cataclysmique. Selon le dernier bilan de l’Efsa, 36 pays européens et le Royaume-Uni ont été touchés. Au total, ce sont 2 398 foyers détectés et près de 46 millions de bêtes abattues. Dans cet hiver apocalyptique pour les volailles, la France a été durement affectée puisque, à elle seule, elle abritait plus de la moitié des foyers recensés (1 378 en juin) et plus du tiers des bêtes infectées (16 millions). C’est trois à quatre fois plus que l’hiver 2020-21, déjà particulièrement virulent.
Depuis plusieurs mois, l’épidémie de grippe aviaire fait aussi rage parmi la faune sauvage. Des milliers d’oiseaux ont été contaminés et ont succombé au virus cet été. Une épidémie devenue si large en Europe que l’Efsa a estimé fin juin que la grippe aviaire est devenue endémique dans la faune sauvage de nos contrées. « La situation est exceptionnelle de par son ampleur et la période où les détections ont cours », explique-t-elle.

Les conséquences dans les basses-cours et les élevages n’ont pas tardé. Depuis fin juillet, sept nouveaux foyers de grippe aviaire ont été détectés dans des élevages et deux autres dans des basses-cours. Plus de 3 500 dindons et 10 600 canards ont été abattus dès août. Une recrudescence glaçante lorsque l’on sait que le premier cas de grippe aviaire l’hiver dernier avait été identifié le 26 novembre, soit plus de trois mois plus tard.
Côté éleveurs, l’inquiétude est palpable. En Vendée, durement touchée par l’épidémie en 2021-22, Joël Limouzin estime que près de 15 % des éleveurs de volailles ont jeté l’éponge. « Ce sont souvent les éleveurs plus âgés qui ont des ressources diversifiées et qui peuvent se permettre de se recentrer sur d’autres cultures. Pas les jeunes qui, souvent, n’ont pas fini de payer leurs bâtiments et ne peuvent pas se permettre de ne pas repeupler. »
Densité et contamination
Dans ce flot d’incertitudes, les éleveurs cherchent à comprendre. Alors que certains pointent la faune sauvage, d’autres dénoncent l’intensification des élevages qui favorise la multiplication du virus. En réalité, selon Jean-Luc Guérin, de l’école vétérinaire de Toulouse, interviewé sur France culture, les deux phénomènes s’alimentent mutuellement : les élevages favorisent la prolifération du virus (et les mutations) quand les animaux sauvages les dispersent aux quatre coins du continent. Dans un rapport publié mi-juillet, l’Anses pointe différentes causes de contaminations des élevages dans le Sud-Ouest et le Grand Ouest, notamment la densité des élevages, des mesures sanitaires imparfaitement appliquées, le maintien de certains animaux infectés en élevage — pour préserver leur patrimoine génétique — ou encore le débordement des services d’abattage.
Les conditions climatiques ont aussi été désastreuses pour la filière. La canicule est extrêmement difficile à supporter pour la volaille qui ne peut pas transpirer. Au-dessus d’une température dite « de confort » — comprise entre 10 et 30 °C —, les oiseaux commencent à haleter ou à ébouriffer leurs plumes afin d’évacuer un maximum de chaleur. Mais entassés dans des espaces restreints, l’affaire est plus compliquée. D’autant plus que certaines poules ne disposent plus de la pointe de leur bec pour prendre soin de leur plumage [1]. Sans compter que les espèces de volailles à croissance rapide, généralement choisies pour l’élevage industriel, sont aussi plus sensibles aux fortes chaleurs.

Et côté températures, l’année 2022 a été particulièrement éprouvante. Trois vagues de chaleur ont balayé le pays, avec un apogée le 18 juillet, où la température moyenne maximale a atteint 37,6 °C, un niveau jamais égalé en France. Ce jour-là, en Bretagne, près de 1 500 tonnes de volailles seraient mortes dans 130 élevages, a rapporté la société d’équarrissage Sec Anim au magazine Réussir volailles. Si l’on considère qu’un poulet pèse en moyenne 2 kg, il s’agit donc de près de 750 000 bêtes décimées en une seule journée. Selon Welfarm, en 2019, les périodes de canicule ont fait grimper la mortalité de près de 40 %. L’association estime d’ailleurs que des centaines de milliers de poules meurent dans les élevages intensifs durant les périodes de canicule.
Autres victimes collatérales du climat : les prairies et les cultures de maïs. Indispensables pour nourrir les poules, ces dernières ont fortement souffert de la sécheresse. Par endroit, le déficit de pluie a atteint 60 %. Au mois de juillet, le spécialiste de l’effet du changement climatique sur l’agriculture, Serge Zaka, a estimé que les stocks de fourrages destinés au bétail étaient moindres de 20 % (et jusqu’à 60 % dans la région PACA).
« La sécheresse est généralisée et les agriculteurs manquent de trésorerie »
Le bétail manque donc de vivres pour s’alimenter. Conséquence : les éleveurs puisent dans leurs réserves de fourrage déjà bien maigres, et normalement prévues pour alimenter leurs animaux durant l’hiver. Un manque qu’il faudra compenser plus tard. Autre alternative : l’achat d’aliments pour animaux, mais les prix ont vite grimpé, car « la sécheresse est généralisée sur l’ensemble du continent et les agriculteurs manquent de trésorerie », note Joël Limouzin.
Côté grain, le manque d’eau menace désormais la prochaine récolte de maïs dont les rendements pourraient fortement chuter. Les experts s’attendent à une récolte catastrophique. Selon Le Figaro, il pourrait s’agir de la pire récolte depuis 20 ans.
Triple crise
Outre l’envolée des prix de l’alimentation, les prix de l’énergie ont augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine. Selon Yann Nédélec, le directeur de l’interprofession de la volaille de chair Anvol, les coûts de production ont ainsi bondi de 45 % depuis deux ans. « De juillet 2020 et juillet 2022, l’indice que l’on suit pour le prix de l’alimentation de la volaille a augmenté de 84 %, détaille-t-il. Et bien entendu, il y a aussi l’énergie qui augmente, le gaz pour chauffer les poulaillers en hiver qui augmente. »
Le spécialiste craint que les importations grossissent cette année, « notamment pour la restauration et les produits transformés ». Il invite les Français à réclamer de la volaille française aux restaurants et demande aux politiques d’élargir l’étiquetage obligatoire de l’origine de la viande à tous les produits élaborés afin de soutenir la filière face à cette année noire. Difficilement suffisant pour compenser cette période qui, dans les mots d’Eudes Gourdon, « cumule une crise climatique, une crise géopolitique et une crise financière ».