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ReportageLibertés

3 000 personnes à Amiens pour faire le procès de l’industrialisation de l’agriculture

Les neuf inculpés de la confédération paysanne étaient hier dans le box des accusés au tribunal d’Amiens. Devant le palais de justice, plus de 3 000 personnes sont venues de toute la France pour les soutenir mais aussi pour faire le procès d’un modèle agricole, celui qu’incarne la ferme des mille vaches, implantée à Drucat, près d’Abbeville, dans la Somme. Dans le tribunal, les prévenus ont été condamnés à des peines de sursis et des amendes.

-  Amiens, reportage

Le réveil a sonné à 1 h, 2 h ou 5 h du matin pour les militants, mardi 28 octobre. Ils sont quelques milliers à faire la route durant la nuit pour être sur place, à Amiens. A 9 h, neuf personnes entrent dans le tribunal. Elles sont accusées de dégradation, recel, vol et refus de prélèvement ADN lors de deux actions menées sur le site de la ferme des mille vaches, en septembre 2013 et en mai dernier. Une première audience a eu lieu en juillet, mais le procès a été reporté.

L’agriculture paysanne, « nous sommes un courant à part entière »

De l’autre côté des grilles, les militants arrivent au fil de la matinée, un car venu de Bordeaux, un autre de Rennes, de Reims ou encore de Lille, trente au total. Odile et sa sœur Geneviève sont parties lundi soir de Lorient, elles ont passé la nuit sur la route pour arriver vers 10h30 à Amiens.

- Odile et Geneviève -

« Je me suis installée il y a 40 ans dans le maraîchage biologique dans le Morbihan, j’ai toujours été perçue comme étant à la marge de l’agriculture, mais aujourd’hui nous ne sommes plus un contre-courant, nous sommes un courant à part entière. » Aujourd’hui à la retraite, Odile peut se permettre de passer une journée à plusieurs centaines de kilomètres de chez elle, « je suis ici pour porter la voix de ceux qui travaillent, qui ne peuvent pas venir. »

Devant le tribunal, le temps est à la fraîcheur, chacun se réchauffe avec un café fumant dans les mains, les prises de parole sur la scène, installée devant le palais de justice, commencent. Un simulacre de procès se joue, celui de la ferme-usine des mille vaches et de l’agro-business. L’atmosphère se veut bonne enfant mais la mort de Rémi Fraisse au Testet dans la nuit de samedi à dimanche pèse. Des militants sont venus depuis le Testet pour témoigner. Les slogans dénonçant les violences policières sont légions parmi les drapeaux de la confédération paysanne et ceux des partis politiques et des associations. Une minute de silence est observée dans la matinée à la mémoire du militant qui a perdu la vie.

Plus la journée avance, plus certains visages s’éveillent avec la caféine mais pour d’autres les traits restent tirés, ça fait une semaine qu’ils sont sur la route. Une semaine en tracteur pour aller de Notre-Dame-des-Landes à Amiens.

Une vingtaine de cyclistes a pédalé sur le même parcours en s’arrêtant dans différents lieux militants comme la ferme des Bouillons à Rouen. Parmi les manifestants présents hier, on retrouve ceux issus de la lutte contre l’aéroport, mais aussi ceux qui s’opposent au projet Europacity, près de Paris. Associations et politiques sont également au rendez-vous, comme Greenpeace, les Amis de la Terre, le NPA, le front de Gauche, Nouvelle Donne ou Europe-Ecologie-les-Verts, et tous dénoncent le modèle industriel porté par la ferme des mille vaches.

« Une histoire de financiers avides », « une histoire d’argent »

Camille veut s’installer en Ille-et-Vilaine, sur les terres de l’élevage porcin intensif, comme éleveuse de porcs bio et en plein air.

Elle est montée dans le car à 3 h 30. « Ce projet des mille vaches, c’est ce qui va nous empêcher, nous jeunes agriculteurs, de nous installer. Il ne faut pas laisser passer cette usine, parce que derrière, il y a sûrement du monde qui attend, qui attend de voir qu’il y a bel et bien de l’argent à se faire ».

Jean-Pierre partage cette analyse. « Je suis venu avec deux vers de Victor Hugo qui annonce des temps plus violents si on ne tient pas compte des désirs et des besoins des citoyens. Les mille vaches, c’est l’histoire de financiers avides qui n’ont aucune autre motivation que l’argent au mépris de l’humain. »

Dénoncer mais aussi proposer

La mobilisation d’hier a pour but de soutenir les neuf inculpés, de dénoncer le modèle de la ferme des mille vaches, mais aussi de promouvoir une autre agriculture. « Je suis paysanne, fière de l’être et d’être présente ici », clame Nadia.

Elle a fait la route depuis les Vosges où elle élève une vingtaine de vaches et de bisons. « C’est vrai que c’est un peu fou de se lever au milieu de la nuit pour défendre des gens que je ne connais même pas. Je suis une vache folle, ce qui est en train de se passer me rend malade. Vous savez, ces gens qui sont au tribunal, ce ne sont pas les bonnes personnes qui sont jugées, ce n’est pas eux qui devraient être à la barre. »

« Ce qui est en jeu, c’est l’avenir de notre agriculture », explique Michel, un voisin de la ferme des mille vaches.

« Je ne veux pas que notre agriculture devienne un musée, une réserve indienne. Le modèle des mille vaches va se traduire par un nivellement vers le bas, avec des prix et une qualité en baisse ; et au final, ce sera la mort des paysans. » Michel réclame la relaxe générale. Ses espoirs seront déçus en début de soirée, les inculpés sont condamnés entre 2 et 5 mois de prison avec sursis et des amendes.

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