Tout savoir sur la ferme-usine des Mille vaches si vous avez loupé les épisodes précédents

Durée de lecture : 12 minutes
Agriculture Mille Vaches et fermes-usinesMardi 28 octobre, le procès des neuf inculpés opposés à la ferme-usine-usine des mille vaches se déroule à Amiens. Des cars remplis de militants partent de toute la France pour venir les soutenir et protester contre cette usine à lait, implantée près d’Abbeville, dans la Somme. Mais si en entendant « ferme-usine des mille vaches » vous pensez « plateau de Millevaches », c’est l’occasion de lire ce résumé du dossier.
Neuf personnes vont entrer mardi 28 octobre dans la salle d’audience du tribunal d’Amiens. Quatre sont convoquées pour refus de prélèvement ADN ou dégradation pendant une action de septembre 2013. Cinq autres sont accusées de dégradation, recel et vol ou refus de prélèvement ADN lors d’une action de démontage menée le 28 mai 2014 à Buigny-Saint-Maclou, près d’Abbeville dans la Somme, par l’association Novissen et le syndicat agricole la Confédération paysanne.
Ce jour-là, des dizaines de militants ont démonté des pièces de la salle de traite de la ferme-usine des mille vaches pour s’opposer à cette installation.
Combien de vaches dans la ferme-usine des mille vaches ?
Les premières vaches sont arrivées en septembre dernier. Elles sont pour le moment 150 vaches installées dans l’étable : un hangar de 234 mètres de long. Le projet initial comprenait un millier de bovins, mais la préfecture n’a donné son autorisation en février 2013 que pour 500 vaches.
Le responsable du projet, Michel Welter, estime que la capacité du site est calibrée pour 1 000 et que le seuil de rentabilité se situe à 850 vaches. A cela s’ajoutent des veaux et génisses, une centaine aujourd’hui, et 750 demain, si la préfecture octroie une nouvelle autorisation, pour un troupeau d’un millier de vaches cette fois.
A quoi une ferme-usine ressemble-t-elle ?

Une ferme pour mille vaches ? L’expression sonne comme un oxymore et ce n’est pas pour rien. Sur le site, les bâtiments agricoles occupent 8 500 mètres carrés, on y trouve un hangar, une salle de traite et deux énormes cuves : les méthaniseurs.
Le projet requiert aussi des terrains agricoles pour recevoir le « digestat », c’est-à-dire la substance issue du méthaniseur : soit 3 000 hectares pour 1 000 vaches. L’exploitation est à cheval sur deux communes voisines d’Abbeville, dans le département de la Somme ; Buigny-Saint-Maclou pour la partie vaches laitières et Drucat-le-Plessiel pour la partie méthanisation.
La particularité de cette exploitation est sa taille : 500 bovins vont produire quatre millions de litres de lait par an, à terme huit millions de litres si elle atteint son objectif du millier de bovins. En moyenne en France, une exploitation compte une cinquantaine de vaches pour 300 000 litres de lait.
La méthani-quoi ?
La méthanisation est une technique pour produire du méthane, un gaz convertible en électricité.
Pour obtenir ce gaz, on mélange dans une grande cuve les déjections animales. Cette technique permet d’apporter un complément de revenus aux éleveurs car le prix de revente à EDF est subventionné. Cette subvention rend la méthanisation à grande échelle très rentable, et c’est cette recette que vise le promoteur du projet, celle du lait ne venant qu’en complément.
L’unité de méthanisation devait représenter 1,5 mégawatts, mais cette puissance a été réduite 0,6 mégawatts. Pourquoi ? A cause de la pression des opposants, qui a conduit le 16 septembre 2014 à une réunion entre porteurs de projet et opposants au ministère de l’Agriculture, qui a pris cette décision. Outre la réduction de puissance, le promoteur a dû accepter que les cuves ne seraient alimentées que par des déjections animales et non pas avec d’autres déchets venus des alentours.
Deuxième aspect : le fond de la cuve. Quand le gaz a été extrait, il reste dans le méthaniseur un résidu appelé « digestat ». Ce digestat est épandu sur les terres agricoles en guise d’engrais, car il est chargé en phosphore et en azote, à l’origine des nitrates, et favorise, comme c’est le cas en Bretagne, la prolifération des algues vertes.
On estime qu’avec un cheptel de 500 bovins, 20 000 tonnes de digestat seront épandues sur 1 500 hectares ; 1 000 vaches, 40 000 tonnes sur 3 000 hectares. Le propriétaire de l’exploitation affirme posséder le terrain nécessaire.
Il est donc en mesure aujourd’hui de déposer une demande en préfecture pour agrandir son cheptel. S’il passe à 899 vaches, le déclenchement de l’enquête publique est à l’appréciation de la préfète de la Somme, au-delà, l’enquête publique est obligatoire.
Qui sont les instigateurs de la ferme-usine ?
Le promoteur du projet est un entrepreneur du BTP, Michel Ramery, 67 ans, qui a fait fortune dans le Nord. Il se revendique fils de paysan. Le magazine Challenges le classe 287e fortune de France avec un patrimoine estimé à 120 millions d’euros.
Michel Ramery est propriétaire du groupe éponyme avec un chiffre d’affaires de 551 millions d’euros en 2013 et 3 715 salariés. Le slogan de l’entreprise : « Ramery, créateur de perspectives ».
En 2007, le groupe a décroché 772 marchés publics dans trois régions, en particulier dans la région Nord-Pas-de-Calais. Même année, même territoire, les mastodontes Vinci et Bouygues n’ont obtenu que 214 marchés et 74 ; de quoi s’interroger sur la capacité de Michel Ramery à négocier avec les politiques locaux.

- Au centre, de face, Michel Ramery -
En effet, ses liens avec le parti socialiste sont étroits et conduisent en particulier au financement du parti à Hénin-Beaumont, le symbole de la corruption des barons du PS.
Michel Ramery compte parmi ses soutiens le maire PS d’Abbeville et celui de Buigny-Saint-Maclou, où est implantée la partie lait. Le maire de cette commune, Eric Mouton, est intéressé au projet, puisqu’il est architecte et constructeur de "l’étable”.
Pour la ferme-usine des mille vaches, le groupe Ramery, s’est entouré de deux entreprises agricoles. La SCL Lait Pis Carde exerce ses activités dans la production laitière. Elle a été créée en 2009, deux ans avant le lancement de l’enquête publique sur ce dossier. Un des quatre gérants en est Michel Ramery.
Les autres sont des agriculteurs qui se sont associés au projet pour y faire venir leurs vaches, « une mise en commun des moyens », selon Lucie Morgand, co-gérante : « Ma problématique c’était : continuer ou pas l’élevage. Je me suis intéressée à ce projet pour ne pas arrêter la production laitière. »
L’autre société est la SCEA « Côte de la Justice », elle va s’occuper de la partie méthanisation. Son gérant est Michel Ramery.
Qui s’oppose au projet ?
Deux associations ont lancé l’opposition.
L’association L214, créée en 2008, se consacre à la défense du bien-être animal ; son nom fait référence à l’article du code rural qui spécifie que « tout animal étant un être sensible, il doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »
En novembre 2011, l’association Novissen a vu le jour. Novissen, prononcez « nos vies saines », est l’acronyme pour « nos villages se soucient de l’environnement ».
La Confédération paysanne, deuxième syndicat agricole français qui pèse 20 % dans les chambres d’agriculture, s’est également lancée dans la bataille, avec les paysans.
Quels sont leurs arguments ?
Les opposants jugent que la ferme-usine a des conséquences négatives.
Economiquement :
- Le site compte une dizaine de salariés. Si l’on se base sur le rapport vaches/salariés, les fermes classiques comptent environ cinquante vaches chacune, et représentent trente-cinq emplois pour 500 vaches.
- Le projet est précurseur de l’effacement des exploitations familiales au profit de l’agro-industrie. Laurent Pinatel, le porte-parole de la Confédération paysanne, explique : « Je ne suis pas paysan pour aller à l’usine ».
- M. Ramery affirme qu’il vendra son lait 270 € la tonne, alors que le prix moyen de commercialisation est actuellement d’environ 350 €. Si la ferme-usine s’implante et était reproduite, cette pression sur les prix conduira de nombreux éleveurs laitiers à la faillite.

- Laurent Pinatel face à Stéphane Le Foll -
Sur le plan agricole :
- « L’agriculture n’est pas faite pour produire de l’énergie. On en a déjà vu toutes les limites avec les agrocarburants. Il faut arrêter de substituer des terres agricoles pour en faire de l’énergie », explique Pierre-Alain Prévost, en charge du dossier « mille vaches » à la confédération paysanne.
- Au niveau sanitaire, les élevages intensifs sont le terreau parfait pour le développement de maladies respiratoires, digestives ou encore des mammites. Pour éviter maladies et épidémies, les exploitants ont donc recours aux traitements antibiotiques préventifs. Une pratique qui conduit au développement des résistances aux antibiotiques.
- Le nombre de bovins présents sur le site semble difficilement compatible avec la notion de bien-être animal qui consiste par exemple à laisser les vaches patûrer dans une prairie verdoyante.
En ce qui concerne l’environnement :
- Les besoins en eau de l’usine sont estimés à 40 000 m3/an, une eau prélevée dans les nappes phréatiques. Par ailleurs, le digestat qui sera épandu sur les terres agricoles est gorgé d’azote, à l’origine des nitrates. Quelles conséquences dans la région pour la baie de Somme et sa réserve de Marquenterre ?
Le collectif « Vache en colère », mené par la confédération paysanne, a d’ailleurs réalisé une vidéo pour dire tout cela, en chanson.
Qui achète le lait ?
Le nom de l’entreprise Senoble est sorti du lot. Depuis que Senoble a été cité, le réseau Biocoop de distribution de produits a déréférencé la marque. L’entreprise laitière vient de revendre ses parts dans sa société Senagral qui collectait le lait des Mille vaches.
Une décision qui semble liée à la crainte d’un boycott des consommateurs. Senoble avait reçu 15 000 courriels leur demandant de ne pas se fournir dans cette exploitation.
Quelle est la position du gouvernement ?
Stéphane le Foll, ministre de l’Agriculture promeut « l’agro-écologie », mais il laisse la ferme-usine des mille vaches s’installer. Voici l’extrait d’un échange entre Laurent Pinatel, porte-parole de la confédération paysanne et le ministre, le 28 mai 2014 lors de la 15e édition du Printemps bio à Paris.
Laurent Pinatel : « - Il y a deux agricultures, une productiviste dont l’exemple le plus abouti est celui de la Somme, et une biologique et familiale, et, vous le savez bien, elles sont incompatibles ! Il y a en a une qui est prédatrice de l’autre.
Stéphane le Foll : - Pour défendre les producteurs, il faut aussi défendre la production en France. Mon sujet à moi c’est de développer les surfaces. Installer des agriculteurs et développer l’agriculture, ce n’est pas contradictoire. »
En revanche, Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, a déclaré le 30 juillet dernier : « Les mille vaches, ce n’est pas notre modèle. Ce n’est pas notre modèle économique, ni notre modèle écologique. »
Mais le président de la République, François Hollande, entretient des relations très cordiales avec l’autre grand syndicat agricole, la FNSEA, qui soutient le projet.
Un procès ce mardi, mais pourquoi ?
Les opposants au projet de la « ferme-usine-usine des mille vaches » se mobilisent depuis 2011 à travers différentes actions non-violentes. L’audience de mardi concerne deux actions.
Tout d’abord, quatre personnes sont dans le box des accusés pour refus de prélèvement ADN lors d’une action menée en septembre 2013, cinq autres pour recel et vol pendant une opération de démontage le 28 mai dernier.
Le 28 mai, les militants paysans ont démonté des pièces de la grande machine à traire en finalisaiton d’installation dans la salle de traite de la ferme-usine. Plusieurs d’entre eux, dont Laurent Pinatel, qui n’a pas participé au démontage, les ont ensuite apportées au ministre de l’Agriculture, Stéphane le Foll, qui se trouvait ce jour à Paris au Printemps Bio.
L’association Novissen en profite pour solliciter la procureure de la République avec une lettre ouverte. La confédération paysanne fait de même à l’attention du Président de la République.
Cinq personnes ont été arrêtées, et ont passé jusqu’à 48 heures en garde à vue.
Il s’agit de :
- Laurent Pinatel, porte-parole national de la confédération paysanne
- Pierre-Alain Prévost, salarié du syndicat
- Dominique Henry, enseignante et agricultrice à la retraite
- Thierry Bonnamour, porte-parole du syndicat en Savoie
- Olivier Léné, ancien porte-parole du syndicat en Seine-Maritime

Pour Laurent Pinatel, la multiplication des garde-à-vue, en particulier à son encontre, s’explique simplement : « Il y a clairement une volonté de criminaliser l’action syndicale. Une volonté de casser le leader, même si je n’aime pas le mot ’leader’, de casser le bonhomme en lui collant garde-à-vue sur garde-à-vue. Mais moi, je porte la parole d’un collectif. Et ce collectif a décidé qu’on ne pourrait plus rester passif face à toutes les menaces sur l’avenir des paysans. »
Selon lui, il existe deux justices : une, accommodante, pour le syndicat majoritaire, la FNSEA ; une autre, sévère, pour le syndicat minoritaire, la Confédération paysanne.
Les grandes dates de la bataille
22 août - 7 octobre 2011 – Enquête publique sur ce projet de ferme-usine des mille vaches, basé à Drucat et Buigny, près d’Abbeville, dans la Somme.
Septembre 2013 – Novissen et la confédération paysanne occupent le chantier de la ferme-usine puis les locaux du siège social de Ramery à Erquinghem, près de Lille.
Novembre 2013 – Garde-à-vue pour le président de l’association, Michel Kfoury, et le porte-parole du syndicat, Laurent Pinatel.
1e février 2013 – La préfecture autorise l’exploitation de la ferme-usine mais sur un cheptel de 500 bovins, et pas un millier
7 mars 2013 – Délivrance du permis de construire la ferme-usine des mille vaches
3 mars 2013 – Mobilisation à Paris.
Automne 2013 – Les travaux commencent sur la ferme-usine des mille vaches
Janvier 2014 – Opération d’occupation et de démontage sur le chantier de la ferme-usine.
Avril 2014 – Garde-à-vue pour le porte-parole de la Confédération paysanne à cause de cette action.
28 mai 2014 – L’action qui passe en justice mardi : démontage de pièces présentes dans la salle de traite de la ferme-usine des mille vaches.
1e juillet 2014 – Manifestation devant le tribunal d’Amiens en soutien aux neuf inculpés. L’audience a été reportée au 28 octobre
13 septembre 2014 – Les premières vaches arrivent sur la ferme-usine-usine, Novissen et le syndicat agricole bloquent l’accès au site.