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Mille vaches : les paysans et Laurent Pinatel enfin libérés

Interpellés mercredi lors de leur action contre la ferme des Mille vaches, cinq militants de la Confédération paysanne, dont le porte-parole Laurent Pinatel, ont été relâchés après quarante-huit heures en garde-à-vue. A Rodez, le conseiller pour l’agriculture de François Hollande a été retenu quatre heures en « garde à vue » par des militants du syndicat agricole.


Après quarante-huit heures de garde-à-vue et un passage devant le procureur, les cinq militants de la Confédération paysanne, dont le porte-parole Laurent Pinatel, sont ressortis du tribunal de grande instance d’Amiens. Libres, mais sous contrôle judiciaire, ils seront jugés le 1er juillet. Les cinq militants comparaîtront pour recel et vol. Ils encourent une peine d’emprisonnement et jusqu’à 375 000 € d’amende (selon le Code pénal). Une vingtaine de militants et de sympathisants les ont accueillis.

Le sentiment d’une justice à deux vitesses prédomine chez les militants. « Quand on voit d’un côté Claude Guéant repartir tranquillement chez lui, et de l’autre Laurent Pinatel traité comme un chien, on se dit qu’il y a deux poids deux mesures », dit Me Djamila Berriah, l’avocate du syndicaliste.

« J’ai traversé la gare d’Amiens entravé comme si j’avais tué quelqu’un », témoigne Laurent Pinatel à sa sortie du Tribunal. « La réponse policière est disproportionnée par rapport aux faits reprochés », estime son avocate.

La plupart des militants considèrent que le gouvernement a cherché à intimider les syndicalistes. Pour Mikel Hiribarren, membre de la Confédération, « il s’agit d’une tentative de punition et de répression syndicale. »

Pendant ce temps, à Rodez, un épisode étonnant s’achève. François Hollande est venu inauguré le musée Pierre Soulages. Des intermittents se sont réunis pour manifester. Les grands médias sont tous présents. Et en milieu de matinée, on apprend que le conseiller agricole du président de la République est retenu par des militants de la Confédération paysanne. « Nous avions depuis plusieurs semaines un rendez-vous prévu avec M. Vinçon, raconte au téléphone Laurent Reversat, un des syndicalistes paysans. Mais quand nous sommes retrouvés à la préfecture, nous lui avons signifié qu’il était en garde-à-vue ». Les forces de sécurité menacent d’intervenir, mais M. Vinçon semble se laisser faire. « Il a accepté de jouer le jeu », admet Laurent Reversat. La présence en nombre de la presse a sans doute également tempéré le zèle policier.

« Nous sommes restés près de quatre heures avec lui, nous avons discuté d’agriculture, de la répression. Mais nous n’avons eu aucun écho. »

Vers 14h, le conseiller est finalement relâché. Dehors, Christian Rouqueirol, militant de la Confédération paysanne, semble satisfait : « Ca nous a fait de la publicité pas chère, avec toutes les télés. Mais les discussions n’ont rien donné, nous ne sommes pas sur la même ligne, et ça ne laisse rien augurer de bon. » Laurent Reversat est du même avis : « Le gouvernement nous trouve bien sympathique, mais il ne nous écoute pas, nous n’avons aucune reconnaissance. »


La journée de jeudi et la matinée de vendredi avaient été longues. « Nous n’avons fait qu’attendre » soupire Judith Carmona, secrétaire générale de la Confédération paysanne. Elle est lasse : « J’espère rentrer ce soir dans ma ferme, dans les Pyrénées. » Après de longues heures d’attente, la nouvelle est tombée dans la soirée : les cinq militants sont convoqués vendredi matin devant le Parquet d’Amiens. Ils passent donc, de jeudi à vendredi, une deuxième nuit incarcérés.

En lançant son opération mercredi à l’aube contre la ferme-usine, les syndicalistes prévoyaient une réaction policière. Mais l’interpellation musclée de Laurent Pinatel sur le quai de la gare d’Amiens les a surpris et choqués. « Il a été traité comme un terroriste », s’indigne Mikel Hiribarren, membre du syndicat. « C’est scandaleux de voir comment un gouvernement de gauche réprime des syndicalistes », s’exclame Martine Billard, co-présidente du Parti de gauche.

Comme d’autres personnalités politiques et élus de la République, elle est venue jeudi en fin d’après-midi exprimer son soutien aux militants arrêtés.

Une centaine de manifestants se tiennent devant les grilles dorées du Palais de Justice de Paris, entourés par un imposant dispositif policier. Un officier de la police judiciaire arbore son écharpe tricolore : « C’est pour vous signaler que votre présence ici est illégale », dit-il.

Les prises de parole se succèdent dans un climat tendu. « L’arrestation du porte-parole du deuxième syndicat agricole est un signe politique grave », dit Aurélie Trouvé, co-présidente d’Attac.

« Il est grand temps que des gens se lèvent pour dire : nous ne voulons pas des Mille vaches », dit l’eurodéputée écologiste Karima Delli. « Quand on m’a parlé de cette ferme pour la première fois, j’ai cru que c’était une blague, raconte Pierre Larroutourou, porte-parole de Nouvelle Donne. Cette course à la plus grande exploitation, cette folie des grandeurs qui détruit notre société, ça révèle un problème psychiatrique, c’est totalement délirant ! » Au bout d’une heure, les manifestants se dispersent, sans violence, au cri de « Libérez nos camarades ! »

- Judith Carmona, aux côtés de Jean-François Pellissier (Front de Gauche), Pierre Larroutourou (Nouvelle Donne), David Amar (Parti de gauche), et Karima Delli (EELV) -

Plus tôt dans la journée, ce même appel a résonné dans les rues d’Abbeville et d’Amiens. Sur place, interrogé au téléphone, Mikel Hiribarren ne cachait pas sa colère : « C’est une tentative de répression syndicale, d’intimidation et de punition. Où est la démocratie ? » C’est la disproportion de la réponse policière et judiciaire aux actes commis par le syndicat paysan qui révolte.

« Quand on voit d’un côté Claude Guéant repartir tranquillement chez lui, et de l’autre Laurent Pinatel traité comme un chien, on se dit qu’il y a deux poids deux mesures », dit Me Djamila Berriah, l’avocate du syndicaliste. M. Pinatel est accusé de recel de vol aggravé, pour avoir volontairement détenu des pièces démontées de la salle de traite de la ferme-usine.

Côté gouvernement, c’est le silence. Les appels répétés de Reporterre dans différents ministères débouchent sur des boîtes vocales. La faute à l’Ascension ?

L’entreprise Ramery, qui finance le projet d’exploitation, a annoncé pour sa part qu’elle avait porté plainte. « La Confédération paysanne s’est introduite illégalement sur le chantier, pour non pas y démonter mais bel et bien y saccager la salle de traite », estime Véronique Vétaux, chargée de la communication. « Le porteur du projet se félicite de la réaction des pouvoirs publics », précise le communiqué de l’entreprise, qui évalue les dégâts à plus de 100 000 €.

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