Agrivoltaïsme : paysans, notre métier n’est pas de produire de l’énergie

Panneaux solaires et moutons aux États-Unis. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/GabeIglesia
Panneaux solaires et moutons aux États-Unis. - Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/GabeIglesia
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Agriculture ÉnergieMettre des panneaux solaires sur les terres agricoles est un mauvais choix, estime la Confédération paysanne dans cette tribune. Elle appelle à refuser massivement ces projets.
Imaginez des centaines de milliers d’hectares de champs recouverts de panneaux métalliques. Posés tantôt à 1,50 mètre du sol, pour mettre des moutons en dessous, ou à 5 mètres lorsqu’il s’agit d’installations high-tech, telles des « ombrières » pour couvrir des vergers ou des « canopées » pour les grandes cultures céréalières. Imaginez des paysannes et paysans devenus producteurs de kilowatts... Cette dystopie se nomme l’« agrivoltaïsme » [1], elle est en passe d’être votée dans la prochaine loi dite d’accélération des énergies renouvelables, dont le texte sera examiné en séance publique à l’Assemblée nationale à partir du 5 décembre.
Selon le président Macron, lors des Terres de Jim, dans le Loiret le 9 septembre, elle « va permettre d’aller plus vite sur l’agrivoltaïsme », en apportant un « potentiel important de complément de revenu pour nos agriculteurs ».
Nous pensons au contraire que ce mot ronflant d’« agrivoltaïsme » relève du marketing : il dissimule l’accaparement des terres agricoles par des sociétés de production d’énergie pressées de s’enrichir, sur le dos du monde paysan.
Des panneaux sur nos hangars, pas sur nos hectares
Si, dans son discours du Creusot, le président Macron a annoncé vouloir 100 gigawatts (GW) de production d’électricité photovoltaïque (PV) d’ici à 2050, rappelons que, dans ses rapports de 2018 et 2019, l’Ademe [2] a évalué les gisements de PV à 123 GW sur grandes toitures industrielles, à 49 GW sur les friches industrielles et 4 GW pour les parkings. En somme, « nous avons suffisamment d’espaces sur les toitures et les friches », souligne Jérôme Mousset, chef de service. Pourquoi alors une telle ruée industrielle vers les terres agricoles ? Parce qu’il est plus facile de négocier avec des paysans endettés, et fragilisés par la faiblesse de leur rémunération, que de monter des projets impliquant une multitude d’acteurs pour installer des panneaux photovoltaïques sur des toitures et autres, installations par ailleurs plus coûteuses.
Et cette technologie l’est déjà, très coûteuse. Avec une des entreprises phares de ce secteur, « chaque hectare coûte 800 000 euros de matériel, et chaque parcelle est gérée par intelligence artificielle à partir du centre de supervision basé à Lyon », rapportait PV Magazine le 11 octobre 2019. « Le cœur du réacteur de Sun’Agri, c’est le numérique » insistait le PDG, qui participe à la gabegie énergétique.

Les effets pervers de l’agrivoltaïsme ne s’arrêtent pas là. D’abord, les panneaux ne sont pas installés ex nihilo, ils demandent routes, chemins d’accès, clôtures, poteaux d’ancrage, etc., qui, en contribuant à l’artificialisation des sols, entament la capacité de production agricole de la France ainsi que la richesse de la biodiversité. Ensuite, les multinationales déstabilisent complètement le marché foncier, en offrant des sommes considérables pour s’accaparer les sols. Quand la location de terres à un·e paysan·ne est encadrée par des règles strictes et plafonnée à quelques centaines d’euros l’hectare, les loyers pour l’installation de photovoltaïque atteignent 4 000 euros l’hectare par an.
Mais ces sommes ne doivent pas cacher la réalité, ce système renforce aussi la précarité des paysan·nes. Quand ils ne sont pas propriétaires des terres, ils seront liés aux sociétés productrices d’énergie par des conventions de gré à gré, résiliables à tout moment. Comment s’installer sereinement en agriculture quand on peut vous mettre à la porte à tout moment ?
Enfin, ces projets photovoltaïques engendrent des conflits d’intérêts dans la mesure où ceux qui délivrent les autorisations — élus locaux, représentants de chambres d’agriculture, etc. — sont parfois les bénéficiaires de leurs retombées financières.
Nous ne voulons pas être assujettis à l’industrie de l’énergie
Alors que le gouvernement cherche à nous assujettir à l’industrie de l’énergie, nous affirmons que notre autonomie de choix, d’action, n’est pas de devenir des jardiniers sous des panneaux. Ces derniers diminuent la surface agricole utile, gênent le travail, et réorientent les choix de production vers ce qui est compatible avec leur présence, plutôt que vers ce qui est souhaitable agronomiquement. Va-t-on couvrir les vignobles de panneaux pour apporter de l’ombre ou travailler à l’adoption de cépages adaptés au changement climatique ?
Nous dénonçons l’Ademe, qui prône désormais des projets agrivoltaïques « flexibles », alors qu’il apparaît impossible qu’ils le soient dans les faits : si un·e paysan·ne décide de passer de l’élevage bovin à l’arboriculture de plein vent ou au maraîchage, les multinationales viendront-elles changer la configuration des panneaux ? Bien sûr que non.

Si la sobriété, concernant l’énergie et l’eau, doit être une priorité, c’est avec l’agriculture paysanne que nous voulons participer, avec les citoyen·nes, à rendre le milieu rural vivant dans un cadre de vie apprécié par tous. Nous avons besoin d’une installation massive de paysan·nes. Une motivation essentielle est la qualité de vie au travail, en plein air, dans un beau cadre, d’où l’on puisse regarder le ciel : nous défendons un rapport sensible au monde qui nous est primordial. Car quelle que soit sa surface, un parc PV sur des terres agricoles et naturelles est une installation de nature industrielle.
Des arbres mieux que des panneaux
Dans un contexte de changement climatique, il serait plus judicieux de soutenir l’agroforesterie, c’est-à-dire l’association des cultures, arbres, animaux. « En termes de résilience, les pratiques agroécologiques de couverture du sol, d’amortissement climatique avec des arbres, de diversification en réduisant la monoculture et la densité de plantation des fruitiers apportent plus de sursis que des panneaux. On est dans une société qui a le don de la contradiction et qui essaye de faire des panneaux dans les champs et de l’agriculture sur les toits », explique le directeur de l’Association française d’agroforesterie.
Cohérents avec notre défense de l’agriculture paysanne, nous souhaitons vivre dignement de notre métier, qui n’est pas de produire de l’énergie. En mettant notre outil de production à la disposition des sociétés productrices d’énergie, nous les enrichissons et nous, paysan·nes, nous noujs dépossédons de notre autonomie, déjà amputée par la dépendance au complexe agro-industriel (engrais, pesticides et semences, machines agricoles, banques, grande distribution, organisations syndicales défendant leurs intérêts...).
Favoriser le photovoltaïque sur les terres agricoles est un choix politique que rien, dans un budget étatique, ne peut justifier. Nous appelons à refuser massivement ces projets et exigeons leur interdiction sur toutes les terres agricoles, naturelles et forestières.