Arrêter la viande, une solution efficace pour sauver le climat

- Pixabay/CC/franzl34
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Limiter fortement l’élevage, au profit d’une alimentation végétale, permettrait de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre pendant trente ans. De quoi atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, expliquent les auteurs de cette tribune.
Philippe Ciais est directeur de recherche au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement ; Élodie Vieille Blanchard est docteure en sciences sociales et présidente de l’Association végétarienne de France.
Pour éviter un dérèglement climatique catastrophique, les pays signataires de l’Accord de Paris se sont engagés à des réductions significatives de leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. La Stratégie nationale bas carbone de la France s’inscrit dans ce fil, en promettant des progrès dans le secteur de l’industrie et de l’habitat résidentiel. Mais elle reste peu ambitieuse pour le secteur agricole, qui recèle pourtant lui aussi un potentiel considérable de réduction d’émissions.
S’il faut améliorer les rendements pour occuper moins de territoires, limiter la surconsommation et les gaspillages ou encore réduire les émanations issues des élevages, c’est en engageant une transition alimentaire mondiale vers le végétal que nous pourrions obtenir les résultats les plus conséquents, révélait le 1er février une étude parue dans la revue scientifique Plos Climate [1].
Un délai essentiel face à l’urgence climatique
L’élevage a des effets négatifs bien connus sur notre climat. La déforestation et, plus largement, la transformation d’écosystèmes destinés à la pâture du bétail et aux cultures approvisionnant les élevages seraient à l’origine de près d’un tiers des émissions mondiales humaines de gaz à effet de serre émises jusqu’à aujourd’hui. L’élevage et l’agriculture végétale qui nourrit les animaux contribuent aussi amplement aux émissions de méthane d’origine humaine (à hauteur de 34 %) et de protoxyde d’azote (66 %), deux gaz au très fort pouvoir de réchauffement global.
Il serait donc important d’évaluer précisément l’impact que pourrait avoir une transition vers des régimes alimentaires à dominante végétale dans les stratégies globales d’atténuation du changement climatique. Mais aujourd’hui, cette solution reste minorée, car la majorité des estimations ne tiennent pas compte des conséquences substantielles qu’aurait la libération des terres agricoles.
« Les émissions de gaz à effet de serre s’en trouveraient stabilisées pendant trente ans »
En 2013, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) chiffrait les émissions de l’agriculture animale à l’équivalent de 7,1 milliards de tonnes de CO2 par an. Mais des évaluations récentes suggèrent que l’équivalent de 800 milliards de tonnes de CO2 serait fixé par la photosynthèse si la biomasse naturelle pouvait se reconstituer sur les 30 % de la surface terrestre qui sont actuellement consacrés à l’élevage.
Au cours de ce siècle, en tenant compte des émissions évitées et du restockage du CO2 atmosphérique, on pourrait soustraire entre 330 et 550 milliards de tonnes de CO2 du remplacement des productions animales par de l’agriculture végétale.

Pour mettre ce chiffre en perspective, les émissions anthropiques totales de CO2 depuis le début de l’ère industrielle sont estimées à environ 1 650 milliards de tonnes. Les effets de la disparition partielle du méthane dans l’atmosphère et de la reconstitution de la biomasse entreraient rapidement en synergie, si bien que les émissions de gaz à effet de serre s’en trouveraient stabilisées pendant trente ans suite à l’arrêt de l’élevage.
En réalisant la moitié des réductions d’émissions nécessaires pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, la transition vers une alimentation végétale nous donnerait ainsi le temps de repenser notre système énergétique basé actuellement sur l’utilisation de combustibles fossiles.
Des contraintes préférables à celles de l’inaction climatique
Cette transition se heurtera nécessairement à des obstacles culturels et économiques : la viande, les produits laitiers et les œufs constituent encore une composante importante de l’alimentation humaine mondiale, et l’élevage fait partie intégrante des économies rurales du monde entier — plus d’un milliard de personnes tirant tout ou partie de leur subsistance de l’agriculture animale.
Bien que les produits animaux fournissent actuellement 18 % des calories et 40 % des protéines de l’alimentation humaine, la forte réduction de l’agriculture animale devrait entraîner une augmentation mondiale des denrées alimentaires disponibles. Celles-ci remplaceraient ainsi les nutriments d’origine animale, réduisant fortement l’impact sur les terres, l’eau, les gaz à effet de serre et la biodiversité, et ne nécessiteraient que des ajustements mineurs pour optimiser la nutrition.
Des investissements seront cependant requis pour prévenir, d’une part, l’insécurité alimentaire dans les régions où l’accès à grande échelle à un régime végétal sain fait défaut et, d’autre part, pour s’assurer que les personnes qui dépendent de la fertilisation animale pour leurs cultures ou qui vivent de l’élevage ne souffrent pas de son remplacement.
Soulignons aussi que l’impact majeur de la forte réduction de l’élevage sur le climat ne suffirait pas à lui seul à empêcher un réchauffement climatique catastrophique. De même, le remplacement complet des combustibles fossiles dans la production d’énergie et les transports ne suffirait plus à empêcher un réchauffement de 1,5 °C. Le défi auquel nous sommes confrontés n’est donc pas de choisir l’un de ces deux leviers, mais plutôt de déterminer la meilleure façon de surmonter les défis sociaux, économiques et politiques qu’implique leur mise en œuvre conjointe, même partielle.