Blessés à Sainte-Soline : Serge, entre la vie et la mort, « sali » par les médias

La manifestation de Sainte-Soline a fait 200 blessés. Deux manifestants sont aujourd'hui entre la vie et la mort. - Twitter/Les Soulèvements de la Terre
La manifestation de Sainte-Soline a fait 200 blessés. Deux manifestants sont aujourd'hui entre la vie et la mort. - Twitter/Les Soulèvements de la Terre
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Luttes Médias MégabassinesLa famille et les amis de Serge, le blessé grave de Sainte-Soline entre la vie et la mort, s’indignent du traitement médiatique réservé à leur proche.
La chasse au scoop se fait parfois aux dépens des faits (et de la décence). Moins d’une semaine après la mobilisation contre les mégabassines de Sainte-Soline, qui a fait, selon les organisateurs, plus de 200 blessés (dont 40 graves parmi les participants), plusieurs médias ont tenté d’établir le « profil » de Serge, l’un des manifestants aujourd’hui dans le coma. Avec un seul angle : la « fiche S » (pour « sûreté de l’État ») qui lui aurait été attribuée en 2010 par les services de renseignement pour son appartenance à l’ultragauche radicale, et son inculpation dans une affaire de « saccage » des locaux de la protection judiciaire de la jeunesse de Labège (Haute-Garonne) en 2011. Une présentation partielle et fallacieuse, dénoncent les proches du jeune homme à Reporterre.
Une large partie des articles consacrés par Le Parisien, BFMTV, et Europe 1 à Serge se focalisent sur sa mise en cause dans « l’affaire de Labège », il y a douze ans.
Rembobinons. Le 5 juillet 2011, une dizaine de personnes non identifiées ont pénétré dans les locaux de la direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse de Labège, dans la banlieue de Toulouse, afin de dénoncer la politique d’incarcération des mineurs. Le petit groupe a renversé du lisier sur du mobilier de bureau et tagué des slogans sur les murs avant de s’enfuir. Au cours de l’action, une employée a été aspergée de gaz lacrymogène.
Non coupable
Dans les mois qui ont suivi cette action, des moyens importants ont été déployés par les gendarmes pour retrouver les activistes. Sept lieux de vie ont été perquisitionnés, une quinzaine de personnes interpellées, et quatre placées en détention provisoire à la maison d’arrêt de Toulouse-Seysses. Un collectif a rapidement été créé en soutien aux inculpés, contre lesquels les preuves étaient « minces », relevait la Dépêche du Midi à l’époque du procès.
Le Parisien, BFM-TV et Europe 1 indiquent tous que Serge faisait partie des personnes placées en détention provisoire… En omettant de mentionner qu’il a été relaxé, précise sa famille à Reporterre. À l’issue du procès, trois inculpés — dont Serge — avaient été jugés non coupables, un autre avait été condamné à trois mois de prison ferme (déjà effectués pendant sa détention provisoire), et un dernier avait écopé de trois mois de sursis, assortis d’une mise à l’épreuve de 18 mois, selon un communiqué publié par les concernés en 2016. Cette information a été confirmée à Reporterre par des proches de Serge qui le connaissaient déjà à l’époque de cette affaire.
L’évocation récurrente, par les médias cités plus haut, de la « fiche S » du jeune homme — mentionnée jusque dans la titraille — peut également interroger. Ce fichage, brandi par la presse « comme s’il s’agissait d’un casier judiciaire », commente Muriel Ruef, avocate au barreau de Lille, ne dit en effet « rien » de la dangerosité d’une personne. « Il y a très peu de contrôle extérieur. On ne sait pas qui décide de les attribuer, dans quelles conditions et sous quels critères. C’est très nébuleux », souligne-t-elle.
2 000 militants écologistes fichés S
Ces fiches sont accolées hors de tout cadre juridique aux personnes qui menacent, selon les supputations des services de renseignement, la « sûreté de l’État ». « Elles amalgament tout le monde : des militants d’extrême droite radicale, des musulmans un peu trop religieux aux yeux d’une société profondément raciste, et des membres de la gauche radicale qui ne chantent pas la Marseillaise et ne se prosternent pas devant le drapeau », dénonce l’un des animateurs du collectif contre les violences d’État Désarmons-les, Ian B, qui a lui-même découvert en 2015 qu’il était fiché S. « Il y a un gros soupçon de fichage d’opposants politiques, indique Muriel Ruef. À partir du moment où vous êtes un peu à gauche, si vous allez à trois réunions anticarcérales, vous risquez d’avoir une fiche S. »

2 000 écologistes considérés comme « radicaux » par les services de renseignement seraient fichés S à travers le pays. Ce fichage n’est par ailleurs pas censé être rendu public. « Ce qui paraît dingue, c’est qu’on divulgue [dans les articles sur Serge] une information que le principal intéressé ignore, sans que l’on sache d’où ça fuite, dénonce Muriel Ruef. C’est attentatoire à la vie privée. » Sa divulgation pourrait être délictueuse, selon l’avocate, et constituer un recel d’informations. Les parents de Serge ont d’ailleurs porté plainte pour violation du secret professionnel dans le cadre de l’enquête et détournement de l’objet de la consultation des fichiers pour un objectif autre.
Ian B voit, dans la focalisation de certains médias sur la fiche S de ce militant très gravement blessé, une tentative de « criminalisation » de sa personne. « Ça correspond à une logique immuable des chiens de garde et de ceux qui cherchent toujours à chercher une responsabilité aux violences de l’État, estime le spécialiste des violences policières. Une fois qu’on a mutilé des civils avec des armes de guerre et qu’on ne sait plus le justifier, il faut trouver un moyen de dire qu’il s’agissait de civils un peu particuliers. Le simple fait de dire qu’une personne est fichée S sous-entend qu’elle est dangereuse, qu’elle a quelque part mérité sa blessure. C’est sidérant. »
« La stratégie est de décrédibiliser »
L’affaire rappelle à Claire Dujardin, avocate de la famille de Rémi Fraisse (mortellement blessé par une grenade lors d’une mobilisation alors qu’il manifestait contre le barrage de Sivens en 2014), le traitement que lui et ses proches avaient subi. « C’était pareil, pendant plusieurs jours, ils ont fouillé dans ses affaires, ils ont fait des recherches sur sa sœur, ils ont voulu absolument faire croire qu’il était dangereux et qu’il était venu pour en découdre. La stratégie est de décrédibiliser et de dire qu’il n’avait qu’à pas être là, que c’était interdit, et que finalement c’est tant pis pour lui, il a une part de responsabilité. C’est délirant. »

Dans un communiqué publié le 29 mars, les parents de Serge ont décrié des articles « inexacts et mensongers » : « Oui, Serge est fiché S — comme des milliers de militants dans la France d’aujourd’hui. Oui, Serge a eu des problèmes judiciaires — comme la plupart des gens qui se battent contre l’ordre établi. Oui, Serge a participé à de nombreux rassemblements anticapitalistes — comme des millions de jeunes dans le monde qui pensent qu’une bonne révolution ne serait pas de trop […]. Nous considérons qu’il ne s’agit là nullement d’actes délictueux qui saliraient notre fils, mais que ces actes sont au contraire tout à son honneur », écrivent-ils.
Contacté par Reporterre, l’un des proches de Serge se dit lui aussi révolté par le traitement médiatique qui lui est réservé. « Les médias font les charognards et le salissent. Il faudrait au contraire raconter politiquement sa vie, son combat pour la justice sociale, son idéal révolutionnaire, et comment on en arrive à risquer de mourir sous les armes de la police. C’est ce cheminement-là qu’il faudrait retracer pour remettre les choses à leur place. »
Nous apprenions mercredi 29 mars, via un communiqué du Syndicat des accompagnateurs de montagne que Serge était guide de montagne. « Nous tenons à vous témoigner, nous acteurs professionnels de la montagne, de l’amour que Serge porte à sa terre et à son métier, mais aussi de notre admiration pour son humanisme et son humilité », écrivent-ils. Serge est apprécié par ses pairs, « reconnu comme un professionnel passionné et passionnant, brave et humble, engagé pour le respect de la nature et de l’être humain, profondément altruiste, impliqué dans le partage de cet amour de nos montagnes et de nos terres avec chacun. Nous sommes avec lui, ensemble, pour la vérité et le respect des droits de l’homme. »