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Climat

Canada, Russie, France... La saison des mégafeux a déjà commencé

Vingt-deux personnes sont mortes au Chili lors des incendies de février 2023.

Depuis le début de l’année, la planète est parcourue par des incendies massifs et destructeurs. Leur précocité et leur intensité font redouter le pire pour les années à venir.

La saison des mégafeux a débuté de manière précoce cette année. Partout dans le monde, des incendies gagnent les forêts, asséchées par le réchauffement climatique, et les autorités semblent démunies pour faire face à l’ampleur de la catastrophe.

Dans la province canadienne de l’Alberta, l’état d’urgence a été déclaré. Malgré le déploiement de centaines de pompiers, 350 000 hectares sont partis en fumée en moins d’une semaine. Et les feux restent hors de contrôle : 30 000 personnes ont dû être évacuées. Des villes ont été interdites d’accès et des installations pétrolières ont été fermées à la hâte.

En Russie aussi, le ciel est noir, couvert de cendres. Plus de 50 000 hectares ont été ravagés par les flammes. On compte sur place, dans les régions de Kurgan et de l’Oural, plusieurs décès et des dizaines de blessés. Les secouristes manquent à l’appel, étant donné que de nombreux hommes ont été déployés sur le front de la guerre en Ukraine.

Les mégafeux créent leur propre climat

Partout, une même vulnérabilité se fait sentir. Déjà, en février, le Chili était en proie à des mégafeux qui avait détruit plus de 400 000 hectares, en particulier des monocultures de pins et d’eucalyptus. L’Europe n’est pas non plus épargnée. La France a connu un incendie record en avril dans les Pyrénées-Orientales et l’été s’annonce « explosif », alertent les professionnels. En Espagne, avec des températures dépassant les 40 degrés, le pays s’est embrasé dès le début du printemps. Des milliers d’hectares de végétation ont brûlé.

Le 16 avril dans les Pyrénées-Orientales, les sapeurs-pompiers faisaient déjà face à de nombreux feux de forêt. © Hans Lucas via AFP / Idhir Baha

Les gouvernements semblent pris de court. Les incendies arrivent plus tôt que prévu et dans des lieux où on ne les attendait pas forcément. En Alberta, les autorités locales canadiennes implorent désormais l’État fédéral de leur venir en aide. Au Chili, en février, l’armée a pris le relais des sapeurs-pompiers et a interdit à la population de circuler la nuit. Cette « guerre au feu », avec sa stratégie militaire et ses renforts de technoscience, paraît impuissante face à la violence du désastre.

Pour la philosophe Joëlle Zask, nous devons prendre acte de « notre entrée dans une nouvelle ère » : « Nous ne vivons pas seulement dans l’Anthropocène mais dans le Pyrocène », affirme l’autrice du livre Quand la forêt brûle (Premier parallèle, 2019). En devenant hors norme, les feux génèrent maintenant leur propre climat. Ils augmentent la vitesse du vent, déclenchent la foudre, précipitent la fonte des glaciers, libèrent des quantités massives de CO2 et de particules fines et accélèrent, en conséquence, le réchauffement climatique.

« Le réchauffement climatique nous prend de court »

La situation devient ingérable. D’autant que la hausse de température et les sécheresses préparent un terreau propice aux incendies. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), « les feux de forêt de portée catastrophique devraient augmenter de 30 % à 60 % d’ici à la fin du siècle ».

Leur imputabilité au changement climatique n’est plus à prouver. D’après plusieurs études scientifiques, les feux qui ont frappé l’Australie les dernières années sont neuf fois plus probables dans le climat actuel qu’avec le climat des années 1900, ceux en Sibérie 600 fois plus probables qu’à l’ère préindustrielle.

« Ce qui est le plus marquant aujourd’hui, et notamment en 2023, c’est la précocité de ces incendies, dit Julien Ruffault, chercheur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRAE). Même la communauté scientifique est surprise. On attendait ce genre de phénomène dans les décennies à venir, mais pas maintenant. L’allongement de la saison des feux se fait plus rapidement que prévu ».

Basculement

Selon une étude publiée dans la revue Nature, la durée de la saison des feux avait déjà augmenté de 20 % de 1979 à 2013, et les surfaces affectées plus que doublé. Mais cette hausse pourrait encore augmenter.

D’ici à la fin du siècle, les feux de forêt devraient augmenter de 30 à 60 %. Unsplash/Matt Palmer

Depuis une dizaine d’années, la situation s’accélère avec des catastrophes toujours plus intenses : « le Monstre australien », la Californie qui s’enflamme à répétition, le Groenland qui se consume, la Grèce qui connaît son incendie le plus meurtrier de l’histoire, etc. « C’est comme une course où les pays tombent les uns après les autres, c’est vraiment déstabilisant », dit Julien Ruffault.

« On observe clairement un changement. On parle de feu de nouvelle génération. Mais c’est encore trop récent d’un point de vue scientifique pour en mesurer toutes les conséquences, ou en comprendre toutes les implications. Encore une fois, la réalité du réchauffement climatique nous prend de court », poursuit le spécialiste.

Le cœur de saison de feu s’allonge : « Il commence plus tôt et finit plus tard, s’étend à plus de territoires et devient de plus en plus violent », dit le chercheur au CNRS Jean-Baptiste Filippi.

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