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Luttes

Cellule antizad : Darmanin accroît la criminalisation des écologistes

À Notre-Dame-des-Landes, une zad s'est formée dès 2010 pour empêcher un projet d'aéroport.

Début avril, Gérald Darmanin annoncait la création d’une « cellule antizad ». Un dispositif qui s’inscrit dans la lignée de la politique du gouvernement visant à criminaliser les militants écologistes.

« C’est fini : plus aucune zad (zone à défendre) ne s’installera dans notre pays. Ni à Sainte-Soline ni ailleurs », a affirmé le ministre de l’Intérieur dans les colonnes du Journal du dimanche le 1e avril. Fustigeant « la complaisance » des politiques vis-à-vis de la « nébuleuse extrêmement violente et dangereuse » de « l’ultragauche », Gérald Darmanin a donc annoncé la création d’une « cellule antizad » au sein même de son ministère.

Les contours de cette « cellule antizad », qui doit voir le jour le 1er septembre, sont encore flous. Celle-ci, composée de cinq juristes, aurait pour mission d’accompagner les préfets en cas de recours juridiques pour empêcher toute installation de campements.

Pourtant, à ce jour, très peu de zad existent en France. Même à Sainte-Soline, où les manifestations contre les mégassines se multiplient ces derniers mois, il n’a jamais été question d’en établir une, assure Basile, militant des Soulèvements de la Terre : « La texture du projet ne s’y prête tout simplement pas puisqu’il s’agit avant tout d’un nuage de points et pas d’un aplat de territoire délimité, comme cela est le cas pour un aéroport. »

Criminaliser les rassemblements

Le dispositif antizad vise à aller plus loin que les cellules existantes dédiées au renseignement sur les mouvements écologistes. « On passe un cran au-dessus », alerte Joël, militant mobilisé contre le projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, dans la Meuse, qui y perçoit « une forme de police politique » : « Il ne s’agit pas seulement d’une cellule d’investigation puisqu’elle vise à créer des cadres légaux. »

Mouvement contre le débat public à Bure, en 2013. © Collectif BureStop 55

Pour l’avocat Vincent Brengharth, spécialiste de la désobéissance civile, le dispositif s’apparente à « une forme de justice dérogatoire » à l’encontre de la contestation citoyenne « à mi-chemin entre le préventif et le répressif ». « Toutes les libertés fondamentales peuvent être bafouées, prévient de son côté Stéphane Vallée, qui a défendu des activistes de la zad de Notre-Dame-des-Landes. Il s’agit d’une mesure politique visant à criminaliser des personnes rassemblées dans un but commun en empêchant la création de pôles de contestation. »

« Un visage extrêmement répressif »

Les intentions de Gérard Darmanin interrogent. À l’aide de moyens disproportionnés par rapport à la réalité du nombre de contestations, le gouvernement chercherait plus largement à endiguer les mobilisations écologistes. « Le ministre de l’Intérieur montre un visage extrêmement répressif, analyse Sylvaine Bulle, sociologue spécialiste des mouvements écologiques et autrice de l’enquête Irréductibles sur les milieux de vie à Bure et à Notre-Dame-des-Landes. Ici, c’est l’écologie en tant que projet politique qui est pris pour cible : l’écologie de résistance est dépeinte comme forcément criminelle et donc ennemie de la nation. »

Selon le Journal du dimanche, 42 projets, recouvrant des modes de contestation très divers, seraient scrutés de près par l’Intérieur. Parmi eux, quatre sites sont classés rouge : les mégabassines de Sainte-Soline, l’écoquartier des maraîchers à Dijon, le centre industriel de stockage géologique des déchets radioactifs de Bure, ainsi que la zone du contournement routier A69 entre Castres et Toulouse.

« À travers cette carte, il s’agit de faire la différence entre la bonne et la mauvaise écologie. Il faut y voir une volonté de détruire l’ensemble des actions de défense de l’environnement quels qu’ils soient », dit Sylvaine Bulle, qui y perçoit une distinction éminemment politique.

L’écoquartier des maraîchers à Dijon fait partie des quatre sites surveillés de près par l’Intérieur. © Roxanne Gauthier / Reporterre

Multiplication des stratagèmes de surveillance

La cellule antizad souhaitée par Darmanin s’inscrit dans la lignée de la multiplication des moyens de surveillance des militants écologistes. Initiée en 2019 par Christophe Castaner, la cellule de renseignement de la gendarmerie nationale Déméter visait déjà, selon le discours officiel, à « assurer la sécurité des agriculteurs » ciblés par « des intimidations, des dégradations, des insultes… » de militants.

Son objectif était de « lutter contre les actes crapuleux » et « la criminalité organisée ». Dans leur viseur : les mouvements défendant le bien-être animal, comme L214, ou condamnant l’usage de pesticides, soit les actions « idéologiques » et « symboliques ». Des décisions souvent injustifiées qui ont poussé en février 2022, le tribunal administratif de Paris à demander la fermeture du dispositif, « jugé illégal ». Le gouvernement a fait appel dans la foulée.

Dans la Meuse, une cellule « Bure » a été créée visant spécifiquement les opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo. Résultat : des dizaines de personnes ont été placées sur écoute, un millier de discussions ont été retranscrites et plus de 85 000 de messages ont été interceptés, comme l’ont révélé Reporterre et Mediapart.

L214 organise des actions spectaculaires pour dénoncer la maltraitance animale. Ici, devant Burger King en 2021. © NnoMan / Reporterre

L’échec du recours à la force

Mais chaque fois que les ministres de l’Intérieur ont recouru à la force, cela s’est soldé par un échec. En 2012, à Notre-Dame-des-Landes, Manuel Valls avait tapé du poing sur la table avec l’opération César et ses 1 200 policiers et gendarmes mobilisés. Un mois après cette intervention musclée, plus de 40 000 personnes réinvestissaient le lieu.

Les circulaires de 2016 et 2018 dessinant les contours de dispositifs spéciaux mis en place pour une répression éclair des « zadistes » et le démantèlement de la jungle de Calais n’ont pas non plus suffi. Elles prévoyaient notamment des tribunaux d’urgence composés de magistrats dépêchés des cours d’appel devant lesquels les prévenus étaient traduits directement au terme de leur garde à vue. Sans succès.

Face à cette montée de la répression législative contre les mobilisations écologiques, l’avocat Stéphane Vallée met en avant un paradoxe : à Notre-Dame-des-Landes d’anciens opposants ont été régularisés sur la zone. Depuis 2018, quarante-trois baux ruraux ont été signés avec des agriculteurs. L’ancien QG des opposants, dit « La vache rit », a été transformé en marché. « L’État a reconnu qu’il pouvait y avoir des choses positives dans l’abandon du projet d’aéroport, souligne-t-il. Cela revient à dire : vous, les personnes qui ont lutté et fait en sorte que cette terre ne soit pas mise en péril, on vous maintient sur le lieu. »

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