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Luttes

Passages à tabac, intimidations... Les écologistes pris pour cible

Un manifestant jette des caisses de pêche vides sur un feu alors que des pêcheurs français manifestent devant l'Office français de la biodiversité à Brest, le 30 mars 2023.

De nombreux écologistes – militants, écologistes, élus... – sont attaqués ces derniers mois. Une flambée de violences attisée par l’État.

C’est un sinistre feuilleton. Depuis quelques mois, les agressions contre les défenseurs de l’environnement se multiplient. Il y a les violences perpétrées par l’État, comme celles vécues par les militants antibassines à Sainte-Soline le week-end du 23 mars. Mais pas uniquement. Des pêcheurs, des agriculteurs, des chasseurs... attaquent ou intimident militants, élus ou journalistes écologistes.

Le 31 mars, un incendie s’est déclaré au siège de l’Office français de la biodiversité (OFB) à Brest, après qu’il ait été la cible de fusées tirées par des pêcheurs en colère. Les 27 et 29 mars, dans le pays de Quimperlé (Morbihan), entre trente et quarante de ces professionnels de la mer se sont rassemblés devant la maison de Lamya Essemlali, la présidente de Sea Shepherd France. Ils ont déposé des centaines de caisses de poisson vides dans son jardin. Le 25 mars, deux militants de l’ONG étaient agressés par des pêcheurs à Brem-sur-Mer (Vendée). Un choc énorme. « On a déjà eu des manœuvres d’intimidation en mer et même deux cas de dauphins scarifiés au couteau avec des insultes à notre encontre. Mais jusqu’à présent, il n’y avait pas eu de violence physique ni d’intrusion au domicile des personnes », raconte à Reporterre Lamya Essemlali.

Paul François, qui a fait condamner Bayer-Monsanto, violemment agressé

Dans la nuit du 23 au 24 mars, la voiture de la journaliste bretonne Morgan Large, spécialisée dans les sujets agricoles et environnementaux, était sabotée pour la deuxième fois en deux ans. Le 30 janvier, le céréalier antipesticides Paul François, qui avait fait condamner Bayer-Monsanto, était violemment agressé à son domicile par des hommes cagoulés. Le 18 janvier, c’était au tour de deux militants antichasse d’être roués de coups par des veneurs lors d’une traque en forêt de Compiègne.

« Nos photos et nos noms circulent sur les groupes des prochasse, et les plus virulents nous harcèlent par messages, ou directement chez nous. » rapportaient des militants antichasse en 2020. © Quentin Zinzius / Reporterre

Certains élus sont, eux aussi, visés. Le 27 mars, le déplacement dans le Lot-et-Garonne de Marine Tondelier, secrétaire générale d’Europe Écologie-Les Verts, a été perturbé par des militants de la Coordination rurale, le syndicat agricole majoritaire dans le département. Dans des messages édifiants sur Twitter, elle décrit quarante-huit heures de jeu du chat et de la souris – « Plus tard, depuis mon lit dans la chambre d’hôtel, je les entends crier dans la rue, faire beaucoup de bruit. Ils sont saouls. Ils errent en ville. Super » – agrémentées de communiqué de menaces et de dépôts de lisier et de fumier.

« L’omerta règne »

Les écologistes alertent sur une hausse spectaculaire de la violence à leur encontre. Entre 2015 et 2022, France Nature Environnement (FNE) a recensé au moins cinquante-deux cas d’agressions, d’atteintes aux biens ou de menaces contre ses membres. Une violence diffuse, généralisée. « Ce dont j’ai pris conscience, c’est de l’omerta qui régnait, raconte à Reporterre Marine Tondelier. [Le président de la Coordination rurale du Lot-et-Garonne] menace des gens depuis longtemps. Quand il y a un contrôle de l’inspection du travail ou de la qualité de l’eau sur l’exploitation, ils viennent à quinze, armés et menaçants pour faire pression sur l’inspecteur. Ils menacent de mort les écologistes en disant qu’ils vont les jeter au fond du lac de Caussade, construit illégalement avec la protection de l’État. »

Julien Le Guet à la manifestation contre les mégabassines du 6 novembre 2021. © Corentin Fohlen / Reporterre

Les militants antibassines cristallisent les tensions. Julien Le Guet, porte-parole du collectif Bassines, non merci, « ne compte plus le nombre de menaces reçues », rapporte L’Obs. Le 18 novembre dernier, son neveu, Valentin Gendet, était passé à tabac avec, à la clé, une hospitalisation et quinze jours d’incapacité totale de travail (ITT). Des appels à incendier la ferme d’un représentant local de la Confédération paysanne ont été publiés sur les réseaux sociaux ; deux militants du collectif ont découvert le cadavre d’un ragondin dans leur propriété, avec le logo de TF1 agrafé sur une patte arrière – ils s’étaient exprimé quelques jours plus tôt dans un reportage ; la boîte aux lettres de Jean-Jacques Guillet, figure du mouvement, a été saccagée trois fois...

« Mon chien a été empoisonné »

Cette escalade de la violence, Morgan Large l’a observée à son échelle. Ses ennuis ont commencé après la diffusion du documentaire Bretagne, une terre sacrifiée, en 2020 sur France 5. « Menaces sur les réseaux sociaux, porte de la radio forcée, chien empoisonné... jusqu’à ma roue de bagnole il y a deux ans », énumère-t-elle au téléphone. Voir sa roue de voiture déboulonnée une deuxième fois et risquer à nouveau un grave accident de la route a été un énorme coup dur. « Là, je ne vois plus trop le lien. Est-ce que c’est Sainte-Soline qui a énervé le monde agricole, qui s’est dit qu’il allait emmerder la journaliste qui n’aime pas trop l’agro-industrie ? En tout cas, je suis encore plus inquiète que la première fois. » Autour d’elle, les confidences d’opposants à la chasse ou à l’agriculture intensive se multiplient et le monde agricole minimise. « Certains font même de l’humour : “Tu prends ta voiture en photo, tu fais du tuning ?” D’autres me conseillent de mettre des boulons antivol sur mes pneus. Super, on va régler les problèmes comme ça ! », ironise-t-elle, amère.

Les tensions auraient augmenté au fur et à mesure que la pression s’est accrue sur les pêcheurs pour qu’ils verdissent leur activité. © Loïc Venance/AFP

Quand la situation a-t-elle commencé à déraper ? Pour Paul François, le début de la guerre en Ukraine a marqué un tournant. « Quand la FNSEA a commencé à dire qu’il y en avait marre des contraintes environnementales qui empêchent de produire et d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, précise-t-il. Et que c’était la faute des écolos bobos ou des agriculteurs bio qui disent que les pesticides sont dangereux. » Lamya Essemlali observe également que les tensions ont augmenté au fur et à mesure que la pression s’est accrue sur les pêcheurs pour qu’ils verdissent leur activité : interdiction de la pêche dans les zones concernées par les naufrages de dauphins, projet – finalement abandonné – d’interdire le chalutage profond dans les aires marines protégées... « Nous sommes les boucs émissaires d’une situation sur laquelle nous alertons depuis des années, analyse-t-elle. C’est comme s’il s’agissait d’attaquer le messager. » Avec les encouragements des comités des pêches, « qui nous excluent des réunions de travail et qui colportent les pires histoires sur notre compte auprès des pêcheurs, comme quoi nous sommes des extrémistes intégristes avec lesquels il n’est pas possible de discuter ».

Face à la montée de la violence, l’État ne protège pas les écolos, selon les militants interrogés par Reporterre. À la suite du premier sabotage de sa voiture, Morgan Large a demandé une protection policière : un numéro d’urgence que sa fille pourrait utiliser en cas de problème quand elle est seule à son domicile. Cela lui a été refusé. « Quand les gendarmes sont venus après le deuxième sabotage, ils m’ont conseillé d’installer une caméra de chasse. Je leur ai répondu : “Ce n’est pas à vous d’assurer ma sécurité ? C’est la deuxième fois. Qu’attendez-vous, qu’on foute le feu à mon hangar ou à ma maison, qu’on empoisonne mes animaux ?” », s’indigne la journaliste. Paul François, lui, apprécie le travail des deux enquêteurs qui se consacrent à son agression. « Mais on sent bien qu’on ne leur donne pas les moyens de travailler », regrette-t-il. Seule Marine Tondelier a obtenu une protection policière quand elle l’a demandée, pour son déplacement dans le Lot-et-Garonne.

L’État qualifie les écolos d’« écoterroristes » et jette de l’huile sur le feu

Pire, le gouvernement jette de l’huile sur le feu, estime Nicolas Haeringer, directeur de campagne à 350.org et militant climat de longue date. « On a affaire à des individus ou à des groupes qui se font justice eux-mêmes. Et l’une des raisons pour lesquelles ce type d’action se multiplie, c’est que le pouvoir envoie le message que c’est acceptable. » En qualifiant les défenseurs de l’environnement d’« écoterroristes » et fustigeant un supposé « terrorisme intellectuel », le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin légitimerait ces actes violents à l’encontre des activistes. « Face à des terroristes, la légitime défense est tout à fait acceptable et normale », résume Nicolas Haeringer.

En ce sens, la création des cellules de gendarmerie dédiée à Bure, contre les opposants au projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo, puis Déméter, contre les critiques de l’agro-industrie, a constitué un tournant, selon Lionel Brun-Valicon de la Ligue des droits de l’Homme (LDH). « La cellule Déméter a introduit de la confusion, parce qu’on voyait mal quel était l’intérêt général poursuivi dans cette lutte contre les atteintes à l’image du monde agricole. Par ailleurs, cette cellule travaille en commun avec les syndicats agricoles productivistes, la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, ce qui a encore rajouté de la confusion sur ce qui relève réellement de missions de police. Tout cela peut jouer un rôle dans le fait que des personnes, aujourd’hui, se croient autorisées à participer aux atteintes à la liberté de manifester, à la liberté d’association, à la liberté d’informer, des défenseurs de l’environnement », explique-t-il.

Rassemblement contre la création de la cellule Déméter devant la prefecture du Morbihan, le 30 janvier 2020. © Reporterre

Il y a urgence à agir. L’ONG Global Witness a recensé 1 733 militants écologistes assassinés dans le monde entre 2012 et 2022 – un tous les deux jours en moyenne. « Il y a des exemples bien plus graves ailleurs de violences contre les défenseurs de l’environnement, admet Nicolas Haeringer. Mais c’est précisément parce qu’on voit où peut mener cette idée qu’on peut se faire justice soi-même qu’il faut réagir et que l’État devrait s’emparer sérieusement de la question. »

« L’État laisse quelques centaines d’individus dégrader les locaux de l’OFB »

Au contraire, celui-ci banalise la violence envers les écologistes en y ayant recours lui-même. 3 200 membres des forces de l’ordre, plusieurs hélicoptères, des quads, des camions militaires… C’est le dispositif policier « inédit » déployé par le ministère de l’Intérieur pour la manifestation antibassines à Sainte-Soline du 24 au 26 mars. Résultat : 200 blessés, une personne toujours entre la vie et la mort, une victime d’un « polytraumatisme facial » de 20 ans... Tout cela pour protéger un trou dans la terre — la mégabassine n’étant pas encore achevée. « Ce même État laisse quelques centaines d’individus dégrader les locaux de l’OFB sans qu’aucune entrave ne leur soit opposée », s’emporte un agent de cet organisme (qui souhaite conserver l’anonymat) présent lors de la manifestation des pêcheurs en colère, joint au téléphone par Reporterre. Selon la préfecture du Finistère, les combles sont « complètement détruits » et le deuxième étage est « très gravement endommagé ».

Pour Paul François, malade des pesticides et victime d’une violente agression, ces différences de traitements ne sont pas sans conséquences. « L’État montre l’exemple. Si l’État tape sur les manifestants de Sainte-Soline et pas sur les tracteurs des agriculteurs industriels [qui couvrent de fumier des bâtiments par exemple], le simple citoyen finit par se dire que lui aussi il peut taper ou démonter des roues de la voiture d’une journaliste. »

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