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ReportageLa balade du naturaliste

Chasser ou préserver ? La bataille autour du blaireau

Un blaireau, illustration.

La première journée mondiale des blaireaux se déroule dimanche 15 mai. Rencontre avec ce mammifère incompris au cœur de la forêt domaniale de Rambouillet.

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.


Forêt domaniale de Rambouillet (Yvelines), reportage

En cette après-midi ensoleillée aux températures bien au-dessus de la normale de saison, Aymeric Benoit, 35 ans, furète dans son « oasis » en compagnie de sa chienne, Windy : la forêt domaniale de Rambouillet (Yvelines). Seul le passage de quelques avions trouble la quiétude du sous-bois. Au milieu des fougères, les deux compères repèrent un trou de terrier devant lequel la terre a été déblayée par un mystérieux habitant. « Les pattes sont plus larges que celles du renard, on peut voir encore la présence de traces de griffes. C’est une blaireautière », explique le président du Centre d’étude de Rambouillet et de sa forêt (Cerf78), également fondateur de l’association pour la sauvegarde de la biodiversité Naturabios et membre de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). L’occupant de cette tanière a la tête noire et blanche et le museau allongé : c’est le blaireau européen. « Meles meles est le plus grand représentant de la famille des mustélidés [1] en France — 12 kilogrammes en moyenne », précise un rapport de l’Aspas sur le mammifère.

Aymeric Benoit, président du Centre d’étude de Rambouillet et de sa forêt. © Clémence Michels/Reporterre

« Après avoir creusé leurs blaireautières sur des terrains penchés en lisière ou au cœur de la forêt, ils font régulièrement le tour de leur territoire en passant toujours par les mêmes chemins, explique le naturaliste. Quand tu entres dans la forêt, tu entres aussi chez eux, il faut donc savoir respecter leur habitat. » Notamment les petits sentiers, les « coulées », qui relient les terriers de ces mammifères.

Vers 18 heures, près des blaireautières, une ombre jaillit et s’efface en quelques secondes dans les fourrés. Presque invisibles, les blaireaux sont des animaux nocturnes, « sauf lorsqu’ils sont petits, car ils sortent parfois en fin de journée pour jouer », précise Aymeric Benoit. Il précise que cet omnivore se nourrit en fonction des saisons « de glands, de baies, de restes d’animaux morts, ou encore de petits animaux trouvés dans d’autres terriers, comme les campagnols. » Pour faire ses besoins, il forme des sortes de « petits pots ». « Il est très propre et ordonné », s’exclame Aymeric Benoit. « Hormis le loup et les humains, il n’a pas de prédateur et cohabite facilement avec ses voisins. Par exemple, les blaireaux partagent le gîte avec les renards si leur habitat est assez grand. Ils se tolèrent sans problème. »



La toute première journée mondiale des blaireaux, lancée par l’Aspas, a lieu dimanche 15 mai. Objectif : mettre un terme à la destruction de cet animal. L’arrêté ministériel du 26 juin 1987 le classe dans la catégorie gibier : il peut être tiré ou déterré lors de la période légale de chasse, respectivement de mi-septembre à mi-janvier et mi-septembre à fin février. Voire dès le 15 mai dans certains départements « alors que les petits ne sont pas encore sevrés et qu’ils vivent toujours auprès de leur mère », déplore la juriste de l’Aspas Manon Delattre.

Parmi les techniques de chasse autorisées, la vènerie sous terre se pratique « avec un équipage comprenant une meute de chiens servis par des veneurs se déplaçant à pied », comme la petite vènerie, une forme de chasse à courre, selon l’arrêté du 18 mars 1982. À l’issue de la vènerie sous terre, le blaireau est acculé dans son terrier par les chiens puis extirpé à la main ou à l’aide de pinces. Une vingtaine d’individus sont ainsi abattus chaque année dans le département des Yvelines.

Les populations de blaireaux sont fragilisées. « Ils n’ont en moyenne qu’entre 1 et 5 blaireautins par an. » © Clémence Michels/Reporterre

Disputes entre associations naturalistes et fédérations de chasseurs

Une bagarre fait rage entre chasseurs et écologistes sur la nécessité de réguler le mustélidé. Actuellement, le blaireau n’est pas classé comme espèce susceptible d’occasionner des dégâts (Esod), il n’est donc pas considéré comme « nuisible ». Au téléphone, Manon Delattre souligne que « les Esod sont classées en fonction de trois catégories, dont deux effectives sous arrêtés ministériels, et une sous arrêté préfectoral ». Contrairement au renard, le blaireau ne fait partie d’aucune de ces listes, donc ne peut être « détruit ».

« Les blaireaux partagent le gîte avec les renards si leur habitat est assez grand. Ils se tolèrent sans problème. » Aymeric Benoit

Mais le blaireau, « de par son comportement et son régime alimentaire », serait « sujet à occasionner des dégâts », selon la Fédération interdépartementale des chasseurs d’Île-de-France. Il aurait occasionné dans les Yvelines près de 4 355,60 euros de dégâts en 2020. [2] « Alors qu’il n’y avait même pas de blaireaux il y a trente ans dans la région, ils sont aujourd’hui vecteurs de maladies telles que la tuberculose bovine et à l’origine de destructions agricoles car ils mangent les cultures », affirme ainsi Stéphane Walczak, technicien de la Fédération interdépartementale des chasseurs d’Île-de-France (Ficif). Cette dernière aurait identifié des problèmes liés aux blaireaux chez des particuliers, les entreprises et au niveau d’un talus ferroviaire de la SNCF : « Des galeries creusées sur l’hippodrome de Rambouillet se sont effondrées au passage du tracteur qui fauchait l’herbe de la piste [et] un cheval aurait pu se casser une patte à la suite de l’effondrement d’une galerie. » L’association des viticulteurs de Saint-Arnoult-en-Yvelines, elle, a fait part de « dégâts récurrents à l’automne sur leurs vignes, malgré une clôture de protection », poursuit la Fédération. « Nous constatons également que lors de l’instruction de dossier d’indemnisation de dégâts de grand gibier, des dégâts de blaireaux sont imputés aux sangliers. »

On distingue bien les coussinets et les longues griffes du blaireau. Il est le plus grand représentant de la famille des mustélidés. Aymeric Benoit

Des arguments que réfutent les écologistes. Les blaireaux, bien que réceptifs à l’infection par la tuberculose, ont très peu de chances de transmettre cette maladie aux humains, rapporte Aymeric Benoit, citant un rapport d’expertise collective révisé de l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire (Anses) sur la gestion de la tuberculose bovine. « Par ailleurs, s’agissant d’une espèce nocturne très discrète, il semble difficile de confirmer avec certitude que des dommages aient été causés par ces animaux », poursuit le naturaliste.

Une blaireautière à Rambouillet. Aymeric Benoit

Surtout, les populations de blaireaux seraient fragilisées. « Elles ont du mal à se reproduire. La maturité sexuelle du blaireau est à deux ans, et ils n’ont en moyenne qu’entre 1 et 5 blaireautins par an, dont près de la moitié qui ne survivent pas au cours de l’année », explique Manon Delattre. Le mustélidé figure d’ailleurs dans la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, entrée en vigueur en France en 1990. Cela implique que la régulation du blaireau ne doit pas remettre en cause l’état de conservation de l’espèce au niveau national. Plusieurs pays européens dont les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg, le Danemark, la Grèce, l’Espagne, le Portugal ont d’ailleurs décidé de protéger totalement le blaireau.

Selon l’Aspas, la France reste le « seul pays à pratiquer légalement le déterrage ». Manon Delattre reste optimiste. Dans les Yvelines, la période complémentaire de vénerie sous terre du blaireau, de mi-mai à septembre, n’est plus autorisée depuis 2020. « C’est une très bonne nouvelle », se réjouit la juriste. Et un premier pas vers une protection accrue de cet habitant des sous-bois ?

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