Contre l’A69, 21 jours sans manger et bientôt une grève de la soif

Thomas Brail a entamé une grève de la faim devant le ministère de la Transition écologique pour protester contre le chantier de l'autoroute A69. - © Mathieu Génon / Reporterre
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Après avoir passé 20 jours sans manger, le grimpeur arboriste Thomas Brail a annoncé qu’il débutera une grève de la soif lundi 25 septembre pour protester contre la construction de l’autoroute A69. Le gouvernement est inflexible.
Paris, reportage
Au sein du ministère de la Transition écologique, on sent une certaine fébrilité. Aux fenêtres, derrière les rideaux tirés, les hauts fonctionnaires lancent des regards furtifs. De l’autre côté du boulevard Saint-Germain, dans le 6e arrondissement, le campement des « écureuils » tient toujours bon. Des hamacs et des tentes sont accrochés aux arbres et les militantes et militants se relaient au chevet de Thomas Brail. Le grimpeur arboriste de 48 ans en est à son vingt-et-unième jour de grève de la faim contre l’A69, un projet d’autoroute destructeur de l’environnement. Il a déjà perdu dix kilos. Chaque soir, des centaines de personnes viennent le voir. Des soutiens, des amis, la presse mais aussi des parlementaires.
Les autorités sont tombés sur un os. L’homme ne veut pas redescendre de son arbre. Il ne veut rien lâcher. C’est un obstiné. Devant l’inertie du gouvernement et celle du conseil régional d’Occitanie, il a même lancé un nouvel ultimatum. Il commencera une grève de la soif lundi 25 septembre. Tout devra alors se dénouer très vite et dans les trois jours — sinon le militant risque sa vie.

« Je crois profondément en l’humain. J’ai confiance en son empathie. J’ai écrit une lettre au président de la République, je fais ce geste en connaissance de cause et en pensant à mon fils, confie-t-il. Je ne veux pas qu’il ait à subir un monde sans arbres, ravagé par le réchauffement climatique. »
Thomas Brail a le visage émacié, creusé par le manque de sommeil et de nourriture mais son large sourire est contagieux. Le bras de fer qu’il a engagé avec les autorités est difficile mais juste, assure-t-il. « Je ne cherche pas le clivage politique, je suis dans un dialogue apaisé mais c’est eux qui ne nous écoutent pas. On est obligés de poursuivre notre combat. J’ai dit que je n’arrêterai pas la grève tant que les travaux n’auront pas été suspendus. Je n’ai qu’une parole alors je la tiendrai. »

Un bref instant, l’homme est venu saluer ses soutiens au sol. Il garde toujours sur lui son baudrier. Accueilli sous un tonnerre d’applaudissements, il rappelle que la lutte est aussi collective. Au même moment, une centaine de personnes s’est réunie à l’autre bout de la France à Toulouse devant le conseil régional avec les sept autres grévistes de la faim. Olga, 21 ans, Marion, 41 ans, Reva 36 ans ainsi que Victoria, 29 ans, Matthieu 46 ans, Sadik, 59 ans et Bernard, 68 ans.
« La grève de la faim est un geste ultime, un dernier recours »
La grève de la faim a remis un coup de projecteur sur la lutte alors que les travaux ont débuté en catimini, prenant tout le monde de court. Pour Olga, jointe par Reporterre, « la grève de la faim est un geste ultime, un dernier recours. On a tout essayé, poursuit-elle, les pétitions, les manifestations, les marches festives et même les actions de désobéissance civile. Mais on est acculés ».
La jeune activiste a écopé d’un contrôle judiciaire. Après avoir bloqué une machine et grimpé sur une abatteuse, il lui est interdit désormais de revenir sur les lieux du chantier. Faire la grève de la faim est une manière pour elle de rester présente physiquement dans la lutte, d’agir même si on veut l’étouffer.
« Je suis engagée dans cette lutte et je n’en sortirai pas parce que c’est ma raison de vivre aujourd’hui ; si je ne parviens même pas à aider à arrêter un projet de ce genre, aussi incohérent et décrié qu’il soit, quelles perspectives d’avenir dois-je envisager pour espérer vivre dans un monde non pas “meilleur”, mais au moins plus vivable ? »
La fatigue est palpable. L’issue incertaine. Mais les militants contre l’A69 veulent garder espoir. « On peut encore tout arrêter », disent-ils. La lutte a repris de l’essor récemment. Deux campements sont occupés sur le tracé de l’autoroute avec des personnes perchées dans les arbres. Une campagne vient aussi d’être lancée pour promouvoir le projet alternatif qui propose en lieu et place de l’autoroute un réaménagement de la Nationale, une amélioration de la desserte ferroviaire et une véloroute. Enfin, une grande manifestation se profile autour du 21 et 22 octobre prochain.
En face, les autorités tentent de se dédouaner et se renvoient la balle. Dans un courrier envoyé à Thomas Brail, la présidente socialiste de l’Occitanie, Carole Delga, assure ainsi n’être qu’« un cofinanceur très minoritaire » du projet alors que l’État reste « décisionnaire ». Elle refuse aussi toute idée d’une entrevue filmée ou médiatisée.

Après avoir proposé la date du 21 septembre pour un rendez-vous avec les opposants, Carole Delga semble avoir changé d’avis. Au même moment, le conseil régional accueillera plutôt le colloque « Transformons la France » en présence des plus gros pollueurs tels que TotalÉnergies et Axa (connu pour ses investissements dans les énergies fossiles).
« On aurait pu sortir la tête haute de ce conflit »
Le ministre des Transports, Clément Beaune, a, quant à lui, reçu mardi après-midi Thomas Brail lors d’une courte entrevue au ministère. Selon le militant, elle s’est avérée stérile. Le ministre s’est montré inflexible et ne souhaite même pas une suspension provisoire des travaux — le temps d’examiner sur le fond les recours juridiques.
« C’est regrettable, estime la députée écologiste Sandrine Rousseau. On aurait pu sortir la tête haute de ce conflit. La suspension temporaire des travaux est une porte de sortie acceptable, personne n’aurait perdu la face. Là, le gouvernement s’enferre dans l’impasse et met en danger la vie de certains de nos concitoyens. »
Plusieurs autres élus (de gauche) ont fait part de leur inquiétude. Pourquoi, en effet, le gouvernement céderait-il ? « Ces derniers temps, il ne s’est pas montré conciliant avec les mouvements écologiques, il a plutôt eu tendance à les écraser et à les criminaliser », rappelle le député La France Insoumise Loïc Prud’homme.

Tous ont aussi en souvenir la grève de la faim contre le GCO, le contournement autoroutier de Strasbourg, qui s’était soldée par un échec. En octobre 2018, après trente jours sans manger, dix femmes et hommes ont dû abandonner leur grève, faute de réaction du gouvernement. Ils n’avaient pas été reçus par Emmanuel Macron comme ils le demandaient et avaient encore moins pu obtenir un moratoire sur le chantier.
« De toute façon, je ne sais pas lutter autrement »
Thomas Brail et ses soutiens savent que le pari est risqué. Mais ils souhaitent quand même le tenter. « De toute façon, je ne sais pas lutter autrement, explique le grimpeur arboriste avec un sourire désarmant. Je suis inutile au sol, je ne sais pas faire face aux LBD, aux boucliers et aux robocops. Grimper aux arbres, vivre là-haut, faire la grève, c’est ma manière à moi de participer au combat ». Et le voilà qui remonte à son perchoir alors que la nuit tombe. Silhouette frêle mais tenace dans les lumières de la ville. Attaché à sa corde comme à une ligne de vie sous les frondaisons d’un grand platane.