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Coupes rases, monocultures : les sales méthodes d’un géant de la forêt

Des membres de Canopée ont dénoncé les coupes rases de l'Alliance Forêts Bois en Gironde, le 7 juillet 2023.

Vendredi 7 juillet, l’association Canopée organisait une visite de coupe rase. Elle dénonce dans une enquête les méthodes d’Alliance Forêts Bois, la première coopérative forestière de France.

Saint-Léger-de-Balson (Gironde), reportage

Entre les pistes de sable blanc, il ne reste plus que quelques pins laissés seuls au milieu d’un épais tapis de fougères. Il y a encore un an, s’élevaient dans ce coin du sud Gironde, à Saint-Léger-de-Balson, en pleines Landes de Gascogne, 25 hectares d’une forêt de feuillus comptant des chênes centenaires. Presque une exception dans ce paysage surtout connu pour ses forêts de pins à perte de vue. Problème, cette coupe rase a été réalisée illégalement, hors de tout plan de gestion, normalement obligatoire pour toute exploitation sylvicole de plus de 25 hectares, selon une enquête de Canopée, une association de défense des forêts, publiée le 7 juillet. Surtout, cette coupe à blanc dans le massif de feuillus s’est faite sur 2,5 hectares classés en zone Natura 2000.

Derrière cette coupe rase, se trouve la première coopérative forestière de France, Alliance Forêts Bois [1], chargée de l’entretien des parcelles concernées. Alertés, le parc régional des Landes de Gascogne et le Syndicat d’aménagement du bassin versant du Ciron, un cours d’eau classé Natura 2000 qui traverse le massif, ont déposé une réclamation auprès du label PEFC [2], dont est certifié Alliance Forêts Bois. Au final, seule une agence locale de la coopérative, celle située à Bazas qui a réalisé cette coupe rase, sera privée pendant trois mois du label PEFC.

« Trois mois, c’est peu en comparaison avec les pertes causées, constate Denise Cassou, présidente de l’association locale Landes Environnement Attitude, qui regarde, dépitée, des morceaux séchés d’une espèce protégée de lichen — le lichen pulmonaire —, trouvée à ses pieds sur la parcelle. « Cette suspension n’a même pas été rendue publique par le PEFC, c’est nous qui la rendons publique », ajoute Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes de Canopée, brandissant un exemplaire de l’enquête menée par l’association sur le « Système Alliance Forêts Bois ».

Pendant deux ans, l’association Canopée a rassemblé faits, chiffres et témoignages pour décortiquer le fonctionnement et la puissance de cette coopérative qui, au cours des trente dernières années, à force d’absorption d’autres coopératives, s’est constituée comme la première de France.

Cet engin déposé devant le siège de la coopérative a été utilisé par l’entreprise pour raser une forêt. © Ariane Puccini / Reporterre

Le siège de la coopérative bloqué

Un peu plus tôt le matin même, les militants de l’association avaient bloqué l’entrée du siège d’Alliance Forêts Bois à Cestas, près de Bordeaux. Un rouleau landais avait été déposé en travers du portique d’entrée par la BAD (Brigade d’action contre la déforestation, de Canopée) pour espérer rencontrer la direction d’Alliance Forêts Bois, qui jusqu’ici s’est refusée à toute rencontre. Ce même rouleau landais est employé par les techniciens sylvicoles de la coopérative pour déchiqueter les systèmes racinaires après une coupe rase afin de planter ensuite, dans plus de 90 % des cas, des résineux et notamment des pins maritimes.

« Ce sont des allume-feu, on l’a vu pendant les incendies de l’été dernier », dénonce Jacques Pons, du collectif Forêt vivante Sud Gironde, venu soutenir l’action de Canopée. Pour cette dernière, ce modèle de sylviculture intensive sert surtout les intérêts commerciaux de la puissante coopérative. « Le pin est l’arbre le plus adapté à nos besoins industriels », observe Bruno Doucet, chargé de campagne pour les forêts françaises au sein de Canopée. Et le modèle va faire florès, puisque celui « d’Alliance […] suit l’expansion géographique de la coopérative », constate l’enquête de Canopée, qui relève un cas de coupe rase d’une forêt de feuillus, mettant en plein soleil une zone humide, et replantée aussitôt de pins maritimes.

L’expansion d’Alliance Forêts Bois ne devrait pas s’arrêter là. La coopérative devait capter à l’horizon 2022 14,9 millions d’euros de subventions dans le volet forêt du plan de relance du gouvernement, « taillé sur mesure pour servir les intérêts des coopératives françaises », commente Canopée, avec des montants d’investissements de 1 million d’euros minimum et des délais de réponses à des appels à manifestation d’à peine plus d’un mois. Des conditions qui, selon l’association, excluent « la majorité des techniciens indépendants ». Or « 87 % des projets financés par le plan de relance impliquent des coupes rases », avance l’enquête.

« Il faut légiférer sur les coupes rases », martèle Patrick Chevallier, venu de la Vienne pour raconter combien cette parcelle de feuillus l’avait « estomaqué ». « Nous sommes à un tournant dans la gestion de nos forêts, considère Loïc Prud’homme, député La France insoumise de la 3e circonscription de Gironde, venu soutenir l’action de Canopée. La forêt connaît la même révolution qu’a connue l’agriculture dans les années 50. C’est une question de malforestation plutôt que de déforestation. » L’élu considère qu’« il ne faut pas opposer la forêt productive et celle de loisir ». La direction d’Alliance Forêts Bois n’est finalement pas venue à la rencontre des militants de Canopée postés devant le siège de la coopérative.

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