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Forêts

Coupes rases, résineux : les fausses solutions de l’État pour sauver la forêt

Coupes rases dans la forêt des Landes, en 2008.

Pour renouveler 10 % de la forêt en France en dix ans, un rapport remis au ministère de l’Agriculture privilégie des coupes rases et des plantations. De quoi faire bondir une association écologiste.

Face à la mort à petit feu de la forêt française, planter et investir... sans surtout rien changer à la logique d’une sylviculture productiviste. Telle est la conclusion d’un rapport rédigé par les membres d’un organe spécialisé du Conseil supérieur de la forêt et du bois, remis le 26 juillet au ministère de l’Agriculture.

Selon ce rapport — commandé par le gouvernement en vue de répondre à l’objectif fixé par le président de la République de planter 1 milliard d’arbres d’ici à 2030 —, 10 % de la forêt française devrait être entièrement renouvelée d’ici dix ans pour s’adapter aux effets du changement climatique.

Le tableau de la forêt française dépeint par les auteurs est crépusculaire. Avec une hypothèse de réchauffement de +4 °C en France d’ici 2100, les menaces s’accumulent sur la canopée : insectes ravageurs, champignons pathogènes, tempêtes, incendies, sécheresses, canicules. Les auteurs évaluent à plus d’1 million d’hectares les boisements à fort risque de dépérissement dans les dix prochaines années.

220 000 hectares pourraient être réduits en cendres à cette échéance. Au total, « au minimum 2,6 millions d’hectares (15 % de la forêt métropolitaine) sont directement concernés et nécessiteraient une action volontaire dans les dix prochaines années », indique le rapport. Ce branle-bas de combat pour l’adaptation est nécessaire pour préserver la production de bois, présentée comme indispensable pour soutenir la transition écologique, et aider la forêt à assurer son rôle de puits de carbone. Un poumon vert déjà bien malade : la capacité d’absorption de carbone de la forêt a été divisée par deux depuis 2010, passant de 58 à 30 millions de tonnes d’équivalent CO2.

En octobre 2022, c’était suite aux incendies dévastateurs de l’été qu’Emmanuel Macron avait promis la plantation d’1 milliard d’arbres. Les auteurs du rapport reprennent les mêmes objectifs. Entre 900 millions et 1,1 milliard de plants pourraient être nécessaires pour y parvenir, ce qui impliquerait un triplement de la production actuelle de plants, un accroissement très important de la disponibilité des semences et une hausse de 50 % des effectifs de main-d’œuvre. Montant total de l’investissement, 10 milliards d’euros, dont une partie devrait être financée par l’État.

Craintes de coupes rases et monocultures

Tout ceci est absurde, estime Bruno Doucet, chargé de campagne forêts françaises à l’association Canopée : « Un milliard d’arbres est un grand chiffre, qui impressionne. L’effet d’annonce est très fort. Mais en forêt, il n’y a pas besoin de planter d’arbres. Les forêts étaient là avant les humains et se renouvellent naturellement. Donc vouloir aider les forêts en plantant 1 milliard d’arbres, ça montre qu’on ne comprend pas comment elles fonctionnent. »

Pire, ce projet pourrait reposer une fois de plus sur le tandem infernal coupes rases-plantation de monocultures de résineux. Bruno Doucet a été échaudé par le dispositif « renouvellement forestier » du plan France Relance. Doté d’une enveloppe de 150 millions d’euros, il avait pour objectif la plantation de 45 000 hectares de forêts. L’association Canopée avait enquêté sur l’utilisation de ces fonds. « 87 % des projets financés étaient des coupes rases suivies de plantations. La première essence plantée était le douglas, un arbre qui n’est pas présent naturellement dans nos forêts, mais qui est très adapté aux usages industriels », dénonce Bruno Doucet.

Le sapin de douglas est très adapté aux usages industriels. Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0/Walter Siegmund

Ce nouveau rapport n’offre aucune garantie que les choses se passent différemment. Les auteurs estiment que 70 à 90 % des actions réalisées dans le cadre de ce projet seront des « plantations en plein », c’est-à-dire du reboisement après une coupe rase. « Au-dessus de 40 % d’arbres dépérissants ou morts, un peuplement a une forte probabilité d’être reconstitué par plantation en plein », écrivent-ils.

Une affirmation qui hérisse Bruno Doucet : « Cela signifie que si vous avez une forêt composée de 60 % de chênes et de 40 % d’épicéas attaqués par un insecte, vous pourrez la raser et la remplacer par une monoculture grâce à de l’argent public, s’indigne-t-il. Alors que les chênes vont très bien et pourraient continuer à vivre, si on retirait les épicéas un par un comme on sait très bien le faire, si on laissait la forêt se régénérer naturellement, ou si on replantait par-ci par-là. »

Les auteurs suggèrent aussi que, lors des plantations, les résineux pourraient encore être avantagés par rapport aux feuillus : « Les bois d’œuvre résineux sont actuellement beaucoup plus recherchés que les feuillus. […] Si la forêt française ne peut pas y répondre, cette demande sera satisfaite par des importations, ce qui n’est pas optimal [...]. Les possibilités de développer la ressource en bois d’œuvre résineux doivent donc être prises en compte », écrivent-ils.

Lobby de la filière bois

Pour Bruno Doucet, ce rapport contredit toutes les recommandations les plus récentes pour l’adaptation de la forêt française au changement climatique. En novembre 2022, l’expertise collective « CRREF – Coupes rases et renouvellement des peuplements forestiers en contexte de changement climatique » alertait sur plusieurs effets négatifs des coupes rases sur la biodiversité et l’avenir des plantations.

En avril 2023, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu avait annoncé la fin du financement des coupes rases. En mai, le rapport de la députée Renaissance de Gironde Sophie Panonacle préconisait de favoriser fiscalement la gestion forestière en futaie irrégulière — l’inverse des coupes rases, puisqu’elle favorise des forêts composées d’arbres de tailles et d’âges différents coupés un par un à maturité — et de soumettre les coupes rases à autorisation préfectorale.

« Il n’y a que le ministère de l’Agriculture qui s’entête là-dessus », déplore Bruno Doucet. L’association Canopée soupçonne l’influence du lobby de la filière bois, dont le modèle économique repose sur l’exploitation du douglas. Début juillet, elle avait publié une enquête sur les méthodes d’Alliance Forêts Bois, la première coopérative forestière de France et adepte d’une sylviculture intensive.

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