EELV tente de renouer avec la ruralité

Marine Tondelier (à g.), secrétaire nationale d'EELV, et Marie Pochon, députée de la Drôme, lors de l'Université des ruralités écologistes à Die, en octobre 2023. - © Charlie Delboy / Reporterre
Marine Tondelier (à g.), secrétaire nationale d'EELV, et Marie Pochon, députée de la Drôme, lors de l'Université des ruralités écologistes à Die, en octobre 2023. - © Charlie Delboy / Reporterre
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Le parti politique écologiste met le paquet pour rallier les territoires ruraux. Dans la Drôme, de premières solutions ont émergé lors de l’Université des ruralités écologistes.
Die (Drôme), reportage
Le soleil persistant de début d’automne permet aux terrasses de la vieille ville de Die de ne pas désemplir. Les rues sont à la fois paisibles et animées, parcourues de promeneurs et de vélos. Un visiteur à cheveux blancs apprécie le décor. « Ici, on a l’impression que tous les gens pourraient être adhérents ! » se réjouit ce militant d’Europe Écologie-Les Verts (EELV).
C’est dans cette ville de la Drôme connue pour ses nombreuses alternatives qu’EELV réunissait ses troupes, du 6 au 8 octobre, pour l’Université des ruralités écologistes. Presque trente ateliers et une centaine d’intervenants, trois plénières pour rassembler les militants présents… Le parti écologiste avait mis le paquet pour réfléchir aux territoires ruraux, à l’initiative de sa députée de la Drôme, Marie Pochon.
« On voudrait nous faire croire qu’il existe un clivage entre les écolos et le monde rural, explique-t-elle. On veut montrer que les écolos sont au contraire très présents sur ces territoires. » Alors qu’EELV entend faire peau neuve en lançant le mouvement « Les Écologistes » le samedi 14 octobre, le parti proclame que les campagnes font désormais partie de ses priorités.

« Sortir des discours de stigmatisation »
Pour convaincre de la sincérité de la démarche, le chemin risque d’être long, tant les clichés ont la peau dure. En premier lieu celui du « bobo-végane-urbain donneur de leçons », plusieurs fois évoqué lors des ateliers de ce week-end. Une image vécue comme injuste, mais sans doute renforcée par l’élection de plusieurs maires écolos à la tête de grandes métropoles en 2020. Par conséquent, « quand on se représente ce qu’est une politique écologiste, on voit celle des grandes villes, observe Marie Pochon. On a pourtant aussi plein de maires ruraux, mais on les entend moins ».
La députée admet que « sans doute, on a merdé ». Pas sur le fond du programme, défendu avec vigueur lors de cette Université des ruralités par les cadres du parti. Mais sur la forme. Dans les récits, d’abord. « J’ai fait partie de la génération climat, on parlait de grands concepts, on s’est piégés à ne s’adresser qu’aux CSP+ des grands centres urbains. Il faut sortir des discours de stigmatisation : sur la chasse, la viande, il faut se garder de donner des leçons. »
Et « dans les incarnations, aussi », reconnaît de son côté la secrétaire nationale Marine Tondelier. « Jusqu’à il y a quelques mois, la plupart des membres d’EELV qui passaient à la télé habitaient à Paris entre Bastille et République. On ne peut pas demander aux gens de se sentir représentés par des personnes qui ne leur ressemblent pas. » Elle promet un travail en profondeur dans le parti, sur les origines sociales et géographiques de ses adhérents, « pour faire émerger d’autres profils, espère-t-elle. Il faut mettre les bouchées doubles pour que les discriminations ne se reproduisent pas. C’est ce que l’on a déjà fait avec les femmes. »

Le choix de Die, ville d’accueil historique d’alternatives écolos, aujourd’hui riche en espaces de coworking collaboratifs, en néoruraux diplômés, en restaurants de produits locaux et à l’offre culturelle prolixe, n’atténue pas le cliché. Mais la cité drômoise a aussi ses problèmes, a pu rappeler sa maire (divers gauche) Isabelle Bizouard lors d’une plénière devant plus de 200 militants écolos. « Il y a eu de très fortes arrivées de population depuis le Covid, le prix de l’immobilier a été multiplié par trois », regrette-t-elle. « La richesse du territoire, ici, c’est l’agriculture et le tourisme qui font tous deux face à de gros enjeux, comme dans beaucoup d’autres territoires de montagne », a aussi souligné Marie Pochon.
Partir des problématiques locales a donc permis d’aborder un large éventail de thèmes communs aux territoires ruraux : déserts médicaux, développement des énergies renouvelables, loup et pastoralisme, alternatives à la voiture, partage de l’eau, cohabitation avec les chasseurs, lutte contre l’extrême droite… L’occasion de mettre en avant les solutions concrètes déjà développées. « On ne veut pas être descendant, on veut apprendre de ce qui se fait déjà », a insisté Margot Savin, cosecrétaire d’EELV Rhône-Alpes.

Chasse, vote...
Démonter les clichés implique de questionner les termes. Qu’est-ce que la ruralité ? « C’est le seul territoire que l’Insee définit par ce qu’il n’est pas : la ville », a déploré Marie Pochon. Un flou qui n’aide pas à analyser ce qui se passe dans ces « 88 % du territoire où vit un tiers de la population », a rappelé la députée. Pour tenter de remettre de la finesse dans l’analyse, ce sont donc les ruralités au pluriel qui ont été étudiées.
Moment fort du week-end, l’atelier sur la chasse a accueilli le président des chasseurs drômois Rémi Gandy. Là encore, chacun a tenté d’aller par-delà les caricatures. Les écologistes ont pu rappeler qu’ils n’étaient pas contre la chasse, alors que « la perception dans les médias de notre vision de la chasse rend notre discours dans certains territoires inaudibles », a regretté une élue. Le président de la Fédération de chasse de la Drôme a lui reconnu qu’il partageait la position des écologistes opposés aux chasses privées.
L’atelier sur les déterminants du vote écologiste en milieu rural a aussi fait salle comble. L’analyse du doctorant Simon Audebert a permis de montrer que contrairement aux idées reçues, le vote écolo n’est pas qu’un vote des grandes villes. « Il y a des ruralités écologistes », a-t-il affirmé. Moins surprenant, il a rappelé que le vote écologiste a historiquement « un profil sociologique très stable : c’est plutôt des cadres, des personnes diplômées, des jeunes et des femmes ».
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Mais il a pu observer à l’échelle des communes qu’au moins deux autres facteurs poussaient le vote écologiste : « La présence d’un patrimoine naturel important et un solde migratoire positif. Les néoruraux sont un réservoir de votes pour EELV et diffusent leurs idées. » Un phénomène qui a par exemple permis de diffuser le vote écolo autour de Grenoble… Mais dur contrecoup, la hausse du vote écolo s’est aussi accompagnée de celle du prix de l’immobilier.
L’enjeu des élections
L’enjeu est donc autant social que territorial. Partant de leur vécu et expériences de terrain, les élus et militants écolos ont tenté de se remettre en question. Comme Manon Rousselot-Pailley, présidente du Mouvement rural de jeunesse chrétienne. L’organisation a beau être composée de jeunes issus des milieux ruraux, il n’échappe pas au clivage social. « Nous avons un mouvement très marqué à gauche, avec un vocabulaire particulier, a-t-elle remarqué. Et nous nous demandons comment parler aux habitants des milieux ruraux d’où l’on vient, comment être plus mixtes socialement. »
Marie Pochon a amorcé un début de solution pour les militants de terrain. Lors de sa campagne victorieuse, elle est partie des préoccupations du quotidien. « Je n’ai pas gagné sur l’écologie, reconnaît la jeune députée. J’ai fait campagne sur des sujets spécifiques au territoire : pour le retour des services publics, contre la fermeture des écoles et contre les déserts médicaux. »

Marine Tondelier, elle, s’en est pris au « système politico-médiatique », très centralisé en France. Selon elle, il désavantage les ruraux car « aller à Paris pour une interview c’est plus compliqué et parce que les journalistes politiques sont Parisiens : pour eux, la qualité de l’air est devenue un sujet le jour où il y a eu un pic de pollution à Paris ». Pour faire entendre la voix des campagnes, « on doit faire deux fois plus d’efforts », constate-t-elle.
Mais le mea culpa a ses limites. Dans la bataille politique, il ne faut pas oublier les élections européennes, qui approchent. La montée du Rassemblement national (RN) a attiré l’attention sur les zones rurales populaires, auxquelles désormais les politiques tentent de s’adresser. « Il y a beaucoup de clientélisme », a dénoncé Marie Pochon.
Les adversaires en ont pris pour leur grade. Macron qui « adore la bagnole » ? « Il n’en a pas conduit une depuis quinze ans ! » s’est exclamée Marine Tondelier. Laurent Wauquiez, le président (LR) d’Auvergne-Rhône-Alpes, qui estime « ruralicide » de vouloir limiter la bétonisation ? « Il défend en réalité l’extension des métropoles », a contesté François Alfonsi, président de Régions et Peuples solidaires.
Les écolos ont en regard juré de leur sincérité. Et sont convaincus qu’ils réussiront bientôt à renouer avec leurs racines campagnardes. « La plupart des personnes qui vivent dans la ruralité ont l’écologie dans un coin de leur tête », veut croire Marine Tondelier.