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TribuneCulture et idées

Écoptimistes : leurs remèdes à l’écoanxiété

Démoralisée par l’avalanche de mauvaises nouvelles, la journaliste Dorothée Moisan a décidé de partir à la rencontre des « écoptimistes ». Son livre « Les Écoptimistes » est disponible dans la collection Seuil-Reporterre depuis février 2023.

Ces hommes et femmes qui dépassent leur écoanxiété et gardent la pêche, ce sont les « écoptimistes ». Dans un livre (Seuil-Reporterre), la journaliste Dorothée Moisan nous transmet leurs réjouissantes recettes de survie.

Le livre de la journaliste Dorothée Moisan « Les Écoptimistes » est disponible dans la collection Seuil-Reporterre depuis février 2023. Rendez-vous lundi 13 février à l’Académie du climat, à Paris, pour la soirée de lancement du livre.



J’aurais pu naître dans une famille de militants écolos, être biberonnée aux rapports du Giec [1] et brandir dès 8 ans ma carte d’adhérente à la Ligue pour la protection des oiseaux. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Je ne me suis réveillée qu’à l’âge de 39 ans. Avant ? Avant, j’étais une « éco-zéro ». Une citoyenne lambda qui comme tout le monde aimait les lions et les dauphins, mais n’avait pas compris grand-chose à l’urgence de la situation et aux risques pesant sur la civilisation humaine. Zéro conscience écologique, avouez que c’est plutôt confortable : une insouciance totale, assurant une capacité sans faille à faire chauffer la carte bleue et continuer à épuiser les ressources terrestres.

Et puis, il y a eu… l’Éveil. Le premier grain de sable. Chez moi, il a pris la forme d’une banale revue de consommateurs qui, un jour d’avril 2015, épinglait la toxicité des produits ménagers. En quelques pages, je comprenais que ces produits entassés sous mon évier et prétendument miraculeux empoisonnaient mon foyer bien plus sûrement qu’ils ne le nettoyaient. On m’aurait menti ? Moi, la journaliste, je me serais fait intoxiquer si facilement par l’industrie et les sirènes de la publicité ? Bah ouais. C’était aussi bête que ça. Après m’être fait bercer par la publicité, je réalisais que je m’étais fait berner…

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Après l’Éveil est arrivée… la Chute. Car, une fois que j’ai eu dessillé les yeux, je n’ai (évidemment) pu m’empêcher de dérouler la pelote : empoisonnement chimique universel, sixième extinction des espèces, et bien sûr la mère des batailles, le changement climatique. Alors, bien sûr, à chacun son déclencheur. Chacun d’entre nous opère sa descente aux enfers avec ses propres prises de conscience, ses propres infos traumatisantes, mais ça finit souvent de la même manière : on se sent déprimé face au monde redoutable qui se dessine, et totalement impuissant face à ces industriels et ces politiques qui s’arcboutent pour continuer comme avant, avec pour seul talisman la croissance infinie.

« Déprimer ne sert à rien, et à l’inverse, ne rien faire rend anxieux »

Au beau milieu du tunnel de l’écoanxiété, la lumière se fait rare. Et la question tourne en boucle : comment diable retrouver le sourire ? Ce sont les « écoptimistes » qui m’ont fourni la réponse. Alors que je me sentais paralysée par l’ampleur du défi, ils ont été mon halo de lumière au bout du tunnel. L’idée était simple : je suis partie en quête de celles et ceux qui avaient réussi là où j’étais en train d’échouer.

Alors attention, je ne recherchais pas des optimistes béats, persuadés que fermer le robinet ou éteindre la lumière suffirait à nous sauver. Non, je suis partie à la rencontre d’hommes et de femmes, jeunes, vieux, connus ou non, qui avaient compris qu’en continuant ainsi, sans révolutionner nos modes de vie, on allait droit dans le mur. Sauf qu’à l’inverse de moi, eux étaient parvenus à dépasser leur écoanxiété et à aller de l’avant. À garder la niaque, quoi ! Cette énergie si précieuse qui m’avait totalement désertée. Ces « écoptimistes », comme je les baptisais un soir, allaient devenir mes meilleurs thérapeutes.

Corentin de Chatelperron, interviewé dans ce livre, est un as des low-tech : il a vécu quatre mois en totale autonomie sur un radeau. © Guy Pichard / Reporterre

Armée de ma montagne de questions, j’ai d’abord choisi d’aller voir des scientifiques parmi ceux maniant les pires nouvelles — un biologiste, Franck Courchamp, et une glaciologue, Heïdi Sevestre. Je me suis ensuite demandée comment une jeune étudiante, Louise Arrivé, et un vieux loup de l’écologie, Gilles Clément, parvenaient à s’en sortir si bien.

Et puis, j’ai papillonné auprès d’un ingénieur spécialiste des low tech, Corentin de Chatelperron, d’une marketeuse devenue consultante en transition, Anne de Béthencourt, de la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy, d’un papa gréviste de la faim, Guillermo Fernandez, et d’un humoriste écolo, Guillaume Meurice. L’espace de quelques heures, de quelques jours, je me suis glissée dans leurs vies pour percer le mystère de leurs sourires si communicatifs et consigner leurs fabuleuses recettes de survie.

La recette de l’humoriste Guillaume Meurice : mêler l’écologie et l’humour. Ici, en janvier 2022 à Paris. © Mathieu Génon/Reporterre

« Une folle communauté des gens aux yeux ouverts »

Tous puisent leur énergie dans l’action. Car agir rend heureux. Déprimer ne sert à rien, et à l’inverse, ne rien faire rend anxieux. Que ce soit par l’enseignement, l’humour, la créativité, l’engagement militant, tous ont réussi à transformer l’angoisse paralysante en une émotion joyeuse et positive. Ils ont compris que c’est dans la joie que l’on gagnait la lutte. Et dans la lutte que l’on gagnait la joie. Leur audace tantôt amuse, tantôt impressionne : ils ne sentent jamais aussi bien qu’hors de leur zone de confort. C’est là que la magie apparaît.

Et tant pis si parfois ils échouent, car, comme l’écrivait le poète T.S. Eliot, « seuls ceux qui prennent le risque d’aller trop loin peuvent découvrir jusqu’où on peut aller ». Ces alchimistes des temps modernes m’ont également profondément marquée par leur rapport aux autres : simple, bienveillant, décomplexé. Ils ont beau être conscients qu’on est mal engagés, ils savent aussi que rien ne compte plus que les compagnons de route.

Et si, au lieu de rester bloqués sur l’image du désastre, on choisissait, comme Heïdi, Corentin, Louise ou Guillermo, de se focaliser sur cette chance que nous avons de créer « une société qui nous ressemble, en adéquation avec les limites planétaires ». Un « paradis en enfer ». D’ailleurs, 7 personnes interrogées sur 10 pensent que « la protection de l’environnement pourrait nous unir par delà nos divisions ». La meilleure leçon que je retire de cette aventure, c’est le plaisir ressenti à rejoindre cette « folle communauté des gens aux yeux ouverts ».

J’espère sincèrement que leur exemple vous inspirera autant qu’il m’a inspirée et qu’à l’issue de votre lecture, vous repartirez chacun avec, en tête et au cœur, la petite musique de l’un ou de l’une des écoptimistes. Une mélodie qui à coup sûr vous portera durant les semaines ou les années à venir.

Les Écoptimistes, de Dorothée Moisan, aux éditions Seuil (collection Reporterre), février 2023, 192 p., 13,50 euros.

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