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Eloge de la « slow press »

Bousculée par le big-bang numérique et soumise à la logique marchande, la presse est devenue coutumière de l’emballement et de l’approximatif, explique l’auteur de cette tribune. Qui promeut des médias qui prennent plutôt le temps de raconter le monde tel qu’il devient.

Hugues Dorzée est rédacteur en chef d’Imagine Demain le monde.

Hugues Dorzée.

« Pour que les médias reviennent à la vie, ils n’ont pas d’autre choix que de redevenir des êtres vivants », préconise avec sagesse le philosophe japonais Uchida Tatsuru [1]. Des êtres vivants, et aurions-nous envie d’ajouter, des êtres apaisés, inspirés et centrés autour des vrais enjeux essentiels de notre époque : l’urgence climatique, le fossé grandissant entre une richesse insolente et une pauvreté galopante, le chômage de masse, le désenchantement citoyen, la dégradation des écosystèmes, les inégalités nord-sud…

On est, hélas, encore trop souvent loin du compte.

Embarquée au cœur du big-bang numérique, la presse mainstream, telle une poule sans tête, emprunte de plus en plus régulièrement des voies contraires. Celles de l’emballement, de la frénésie, du prêt-à-penser, de l’information manichéenne et cynique, à la fois affolée et affolante, catastrophiste et anxiogène.

Prolifération de nouvelles de plus en plus calibrées et uniformes, culte du buzz et du clic, mythe de l’immédiateté, flux continu d’infos insignifiantes ou low cost qui circulent en boucle sur les réseaux sociaux : voilà, en résumé, la tendance lourde du moment. Du court, du clash, de l’approximatif ! Avec, dans ce gigantesque village planétaire désormais rebaptisé « Post-Vérité », son lot de dégâts collatéraux : mémoire à (très) court terme, rumeurs et mensonges en cascade !

Une indépendance à la fois rédactionnelle et financière 

On ne s’étendra pas ici sur la crise de légitimité que traversent les médias depuis de trop longues années. Et encore moins sur cette logique marchande qui s’est emparée de tout le secteur, avec les effets désastreux que l’on connaît : l’info devenue pure marchandise ; la course à l’audimat et la concurrence effrénée entre médias ; le mélange insidieux des genres entre marketing et information ; la concentration progressive des titres de presse ; l’inquiétante dégradation des conditions sociales des journalistes contraints d’accepter des rémunérations indécentes, des statuts de plus en plus précaires, une flexibilité toujours plus grande, ce qui a un impact négatif sur la qualité de l’information, etc., etc., etc.

Fort heureusement, à côté de cette préoccupante réalité médiatique, il existe une autre presse, qui défend une autre vision du monde, avec une indépendance à la fois rédactionnelle et financière, hors du giron des grands groupes financiers. Fort heureusement, loin du bruit ambiant, de ce journalisme girouette (« suivez donc le vent de l’opinion ! ») et de l’infodivertissement, il existe encore de nombreux médias en quête de sens, de profondeur et de solutions.

Cette presse a choisi de ralentir, de prendre le temps, de questionner, d’investiguer, de rapporter et de raconter le monde comme il est et, surtout, comme il devient. Avec rigueur et discernement, passion et obstination, recul et humanité, hors des sentiers battus.

Ils s’appellent Reporterre, XXI, Médiapart, Socialter, Orbs, Kaizen, Bastamag !, Silence, L’Âge de faire, et on en passe. Sur papier ou en ligne, adeptes d’un journalisme au long cours à la fois vivant et construit, ces médias alternatifs, par-delà leurs différences éditoriales (une ligne tantôt fondée sur la dénonciation, tantôt sur le récit, le reportage ou la mise en avant d’alternatives), partagent une même envie commune : servir l’intérêt général, traquer les injustices, accompagner les transformations du monde, etc.

Un journalisme d’impact et de solutions 

Depuis 20 ans, Imagine Demain le monde a choisi cette voie-là. Précurseur en Belgique et désormais présent en France, notre magazine s’inscrit dans le courant slow press. Tous les deux mois, il s’efforce, tel un artisan, d’allier le fond et la forme, de proposer à sa communauté de lecteurs une information soigneusement sélectionnée, traitée avec soin et rigueur. En portant un regard libre, non conformiste et prospectif. En défendant un journalisme d’impact et de solutions. En s’efforçant de débusquer des initiatives émergentes et des personnalités nouvelles. Et en accompagnant, modestement, les nombreux changements de société au niveau social, écologique, économique et politique.

« On vit une époque d’hypnose collective, de rêve éveillé, entretenu par la pensée dominante, le fantasme de la croissance économique à tout prix, comme si c’était l’ultime sens de la vie. On fait évidemment fausse route, écrivent David Van Reybrouck et Thomas d’Ansembourg, dans leur petit livre La paix, ça s’apprend ! (Actes Sud, 2016). On a surtout besoin de retrouver de la paix, du bien-être, du plaisir à vivre et à construire une société durable ensemble. »

Dans ce monde en pleine ébullition, à la fois fragile et incertain, les citoyens ont plus que jamais besoin de clés pour comprendre, décoder, mettre en perspective, espérer, se projeter et, effectivement, construire les bases d’un futur durable. Celui de leurs enfants et petits enfants à qui ils s’apprêtent à léguer une planète si mal en point.

Plus que jamais, ces citoyens-consom’acteurs, de plus en plus libres et exigeants concernant leurs modes de vie (alimentation, santé, environnement, mobilité…), ont grandement besoin d’une presse de qualité, à la fois créative et déterminée, indépendante et inspirante.

Des médias qui les tirent vers le haut et les aident à grandir. Loin du vacarme ambiant.

Des médias qui ralentissent pour redevenir, comme le préconise Tatsuru, de véritables « êtres vivants ».


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