En Guyane, la ruée vers l’or fait disparaître jaguars, loutres et poissons

Une loutre géante (Pteronura brasiliensis). - Wikimedia commons / CC BY-SA 4.0 / Charles J. Sharp
Une loutre géante (Pteronura brasiliensis). - Wikimedia commons / CC BY-SA 4.0 / Charles J. Sharp
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Nature Forêts tropicales SciencesMammifères, poissons... En Amazonie guyanaise, même quand la déforestation liée à la recherche d’or est faible, les espèces disparaissent, ont prouvé des chercheurs grâce à l’ADN environnemental.
Sur les abords des fleuves Maroni et Oyapock en Amazonie, frontières de la Guyane française avec le Surinam et le Brésil, les activités humaines détruisent la biodiversité. Dans les fleuves, plusieurs espèces de poissons ont déserté à cause de l’orpaillage. La déforestation liée à cette recherche d’or a aussi causé la disparition de quatre espèces de grands mammifères en aval de régions déforestées. Plus de traces du jaguar, du singe araignée, du chien des buissons ou encore de la loutre [1].
L’orpaillage illégal pratiqué dans la région est par définition difficile à documenter. Les vues aériennes de la forêt amazonienne donnent toutefois une idée précise de l’état de la déforestation, et donc de la localisation des humains qui s’y adonnent. En identifiant les espèces animales présentes en aval des zones déforestées et non déforestées grâce à l’ADN des espèces passées par là, que ce soient des poissons ou des animaux terrestres qui traversent le fleuve [2], une équipe de recherche du laboratoire Évolution et diversité biologique, basé à Toulouse, a évalué les conséquences des activités humaines sur la biodiversité. Et leurs résultats, publiés dans Nature Communications le 7 juin, montrent qu’une activité même peu importante entraîne une forte perte de biodiversité.
Outre la disparition de grands mammifères en aval des régions déforestées, les effets de l’orpaillage sur la biodiversité du fleuve sont encore plus importants. Treize espèces de poissons en moyenne sont absentes en aval des zones de déforestation, soit une perte de biodiversité de près d’un quart entre les sites avec et sans déforestation. « Les zones de déforestation témoignent souvent de la présence d’une activité d’orpaillage. Activité qui vient directement perturber le milieu aquatique », explique Isabel Cantera, première autrice de l’article. « Les espèces de poissons détritivores associées aux fonds sont particulièrement affectées par les effets du brassage de l’eau pour l’extraction de l’or », précise la chercheuse qui a fait sa thèse sur ce sujet et est aujourd’hui rattachée à l’Université de Milan.
Les poissons détritivores sont affectés par le brassage de l’eau pour l’extraction de l’or
« Jusqu’à présent, peu d’études montraient les impacts des activités anthropiques sur la faune aquatique amazonienne. Ça a été une surprise de voir une disparition d’espèces aussi importante », dit Isabel Cantera. Plus étonnant encore pour les chercheurs, cette perte de biodiversité est sensible même si l’activité humaine ne concerne qu’une petite portion de la zone. Seulement 10 % de déforestation d’un site suffisent à provoquer une perte de 25 % de la biodiversité en aval, selon l’étude. Autre surprise, des perturbations faites largement en amont se ressentent en aval. « On s’attendait à ce qu’avec la distance, la rivière récupère mais une perturbation du milieu jusqu’à 30 kilomètres en amont garde un impact fort, impact qui reste sensible jusqu’à 90 kilomètres [en aval] », détaille Isabel Cantera.

L’étude repose sur l’analyse de l’ADN environnemental
Pour évaluer la perte de biodiversité, l’étude repose sur l’analyse de l’ADN environnemental. En prélevant plusieurs fois des échantillons d’eau tout au long du fleuve, dans plus de soixante-dix sites, les écologues ont trouvé l’ADN des espèces aquatiques et terrestres passées par là. Ils ont comparé celui des espèces retrouvées sur les sites en aval des zones affectées par les activités humaines à celui des sites préservés. Encore fallait-il que les chercheurs aient à leur disposition les génomes des espèces locales. « Pour les poissons, nous avons construit nous-mêmes la base de référence, car il n’existe que très peu de données de référence moléculaire sur la faune sud-américaine. Cela a nécessité plusieurs années de collecte de spécimens sur le terrain pour avoir accès à leur ADN », explique Sébastien Brosse, directeur de recherche en écologie aquatique au sein du laboratoire Évolution et diversité biologique.
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La collecte a débuté en 2010. Et s’il est aisé de capturer les espèces communes, il a été beaucoup plus difficile de trouver les espèces rares — qui sont pourtant souvent celles qui disparaissent en premier. « Nous venons de finaliser une nouvelle version de la base de références qui permet maintenant de détecter 362 espèces de poissons d’eau douce guyanais sur les 380 connus », se félicite le chercheur, également auteur de l’étude. Pour les mammifères, les chercheurs ont considéré uniquement les quarante-six espèces de grands mammifères présents sur la zone étudiée. Et pour certaines espèces, l’équipe a même été chercher des spécimens du Muséum d’histoire naturelle.