Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageLuttes

En Guyane, le débat public sur le projet de mine d’or s’ouvre dans un climat houleux

Mardi 3 avril s’est tenue en Guyane la séance inaugurale du débat public sur le projet controversé de mine d’or de la Montagne d’or. Défenseurs et opposants au projet ont pu mesurer la mobilisation de leurs camps au cours d’une réunion marquée par une forte présence des Amérindiens.

  • Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), reportage

Enfin, les forces en présence ont pu se compter. Obtenu à la suite de la saisine de la Commission nationale du débat public (CNDP) par France nature environnement en 2017, le débat public très attendu en Guyane sur le projet de mine industrielle de la Montagne d’or a connu sa séance inaugurale mardi 3 avril, à Saint-Laurent-du-Maroni. Pour la première fois, la Compagnie de la Montagne d’or — dont les actionnaires sont un consortium russo-canadien — et les citoyens guyanais se sont retrouvés pour discuter de ce projet controversé de mine d’or à ciel ouvert aux dimensions encore inconnues ici — 2,5 km de long sur 400 mètres de large. Les opposants au projet ont composé la grande majorité des 400 personnes réunies sous le chapiteau que la commune de Saint-Laurent-du-Maroni avait destiné à la rencontre.

La Jeunesse autochtone de Guyane (JAG), une organisation composée de jeunes militants amérindiens qui a émergé lors de la mobilisation de mars-avril 2017, avait organisé une marche en amont de la réunion. 150 à 200 personnes sont arrivées à pied vers le lieu du débat public aux sons des sanpulas — tambours amérindiens du peuple kalina — et de slogans scandant « Non à la Montagne d’or » et « Déterminés ». Aux côtés de la Jeunesse Autochtone défilaient des chefs coutumiers de villages amérindiens de l’Ouest guyanais, des membres des collectifs les 500 frères constitués lors de la mobilisation de 2017 et Or de question, fondé en août 2016 pour s’opposer au projet minier de la Montagne d’or.

Près de 200 opposants au projet minier sont arrivés groupés à la séance inaugurale du débat public.

Le syndicat historique et majoritaire en Guyane, l’UTG (Union des travailleurs guyanais) a récemment pris officiellement position contre le projet minier, qualifié de « projet colonialiste ». « L’absence d’autodétermination et de contrôle des ressources guyanaises par la population guyanaise fait que tout projet d’extraction industriel tel que celui de la Montagne d’or constitue un pillage colonial de notre pays », déclarait l’UTG. Ce ralliement de poids vient gonfler le camp des opposants au projet minier.

Mais mardi à Saint-Laurent-du-Maroni, ce sont les Amérindiens de Guyane qui ont occupé l’espace médiatique. Réaffirmer l’opposition du monde amérindien au projet minier était une question cruciale pour les représentants autochtones. La semaine dernière avait été marquée par une passe d’armes entre Rodolphe Alexandre, le président de la Collectivité territoriale de Guyane (CTG), et les organisations autochtones. « Aujourd’hui, ce sont les écologistes qui décident pour la Guyane. Ils sont allés chercher les Amérindiens pour dire que la question minière était amérindienne », avait affirmé Rodolphe Alexandre, le 24 mars, d’après le quotidien France-Guyane. Organisations et autorités coutumières autochtones se sont insurgées contre ce qu’elles qualifient de « paroles teintées d’un colonialisme à peine déguisé » qui « laissent entendre que les Peuples premiers de Guyane seraient manipulés par les écologistes » ou encore de « propos stigmatisants et paternalistes qui reflètent [un] profond mépris pour le libre arbitre amérindien ».

Des vidéos montrant les dégâts suscités par des mines d’or industrielles au Brésil 

Mardi, Rodolphe Alexandre a fait le déplacement jusqu’à Saint-Laurent pour la séance inaugurale du débat public. Le président de la CTG était assis aux côtés d’un autre poids lourd de l’échiquier politique guyanais, Léon Bertrand, le maire de Saint-Laurent-du-Maroni et président de la communauté de communes de l’Ouest guyanais, face à trois représentants de la compagnie minière venus présenter le projet.

Pierre Paris, directeur de la Compagnie de la Montagne d’or.

L’intervention en début de séance du militant non violent Xavier Renou, fondateur du réseau Les Désobéissants, venu spécialement en Guyane pour l’ouverture de ce débat, a permis aux opposants au projet de diffuser des vidéos montrant les dégâts suscités par des mines d’or industrielles au Brésil voisin, à la suite de la présentation de la Compagnie de la Montagne d’or (CMO) passablement huée et sifflée par des membres de l’assemblée.

Projections d’images montrant les dégâts des mines industrielles au Brésil.

L’ambiance électrique a atteint son apogée avec la prise de parole de Christophe Pierre, membre de la Jeunesse autochtone. « Le 28 mars [2017, par une manifestation historique réunissant 20.000 personnes dans les rues de Cayenne], la population guyanaise a clairement fait comprendre que l’État français est un État à qui on ne peut pas faire confiance. Pour des questions sanitaires, pour des questions d’éducation, pour des questions d’accès à l’eau potable… Énormément de choses sont inscrites dans les lois françaises — le pays des droits de l’Homme — qui ne sont pas respectées ici. Donc, qui va les faire respecter pour Montagne d’or ? » a demandé le jeune porte-parole de la JAG en réponse aux propos du président de la CMO, Pierre Paris, expliquant être « ici soumis à la réglementation française qui [...] empêche de faire un certain nombre de choses ». « Ce projet-là, je ne l’ai pas épluché […] On a nos propres experts. Vous savez, quand un ancien, quelqu’un qui a hérité d’une mémoire, d’une science et d’une intelligence millénaire, vous dit : “Faire un trou de cette taille-là, c’est de la merde”, alors moi, je l’écoute », a dit Christophe Pierre.

Des membres de la Jeunesse Autochtone de Guyane.

À la suite de cette prise de parole ovationnée, plus de 250 personnes ont quitté les lieux au bruit des tambours kalina, qui résonnèrent un temps à l’extérieur du chapiteau alors que Roland Peylet, président de la Commission particulière du débat public, invitait les représentants de la CMO à reprendre le fil de leur présentation devant une salle aux deux tiers vides.

Le débat public se déclinera en 13 séances — réunions générales et ateliers thématiques — à Cayenne et dans plusieurs communes de l’Ouest guyanais jusqu’au 7 juillet.

Alors que les alertes sur le front de l’environnement se multiplient, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les dernières semaines de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela.

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre ne dispose pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1 €. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

Abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre
Fermer Précedent Suivant

legende