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En ville, c’est bien de planter des arbres mais pas n’importe comment

Pour lutter contre la pollution atmosphérique et l’accumulation de la chaleur dans les villes, de nombreux candidats aux municipales proposent des plans de végétalisation urbaine et se livrent à une surenchère sur le nombre d’arbres à planter. Or, cette question complexe ne se limite pas à une bataille de chiffres.

Durant la campagne pour les municipales, les candidates et candidats rivalisaient partout en France de promesses de planter des arbres. Anne Hidalgo, à Paris, proposait de planter 170.000 arbres en cinq ans. David Belliard, son concurrent d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), 100.000. À Lyon, 500.000 arbres et arbustes étaient promis par le candidat Les Républicains, Étienne Blanc, cent parcs et forêts urbaines sur deux mandats par le candidat EELV de Marseille, Sébastien Barles.

Même si la campagne électorale est entrée elle aussi en confinement pour ne se réveiller qu’en juin, il est utile de réfléchir à cette volonté nouvelle de verdir les villes, et que l’on retrouve d’ailleurs aussi dans de nombreux pays étrangers. Cette idée de planter des arbres en ville répond à différents objectifs. En 2018, à l’occasion de la « journée de la forêt » — le 21 mars — l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) rappelait tous les avantages de la végétalisation urbaine, comme le « stockage du carbone, l’élimination des polluants atmosphérique, […] la restauration des sols dégradés et la prévention des sécheresses et des inondations ».

De plus, des arbres bien placés peuvent créer des zones d’ombre et diminuer la chaleur ressentie due au réchauffement climatique. Toujours selon l’ONU, un tel usage des arbres permet de réduire jusqu’à 30 % les besoins en climatisation. Une étude publiée en 2014, Empreinte carbone de la végétation urbaine, mettait en lumière le fort potentiel de la végétation — des arbres, notamment — pour la séquestration du carbone. On y lit cependant que, si leur nombre est un facteur important, le choix des espèces, la maturité des arbres et leur santé ainsi que leurs interactions avec le sol le sont également.

Frédéric Madre, ingénieur écologue et cofondateur de Topager, y ajoute « une dimension pédagogique car en France plus de 80 % de la population est urbaine. En reconnectant les gens à la nature, on peut espérer une amélioration de leurs comportements vis-à-vis de l’environnement et de leurs modes de consommation ».

« Planter des magnolias en pots, c’est comme des poulets en batterie, c’est de la maltraitance végétale »

Jean-Luc Moudenc, maire LR sortant de Toulouse, promet 100.000 arbres de plus sur les six prochaines années. Sauf qu’il lui apparaît déjà difficile de prouver l’existence des 18.000 plantés lors de la mandature actuelle. À Nantes, la situation n’est pas meilleure pour Johanna Rolland, candidate PS à sa propre succession. Alors qu’elle propose 25.000 arbres et 150 îlots de fraîcheur supplémentaire dans son programme, son bilan semble surtout marqué par une forte bétonisation, l’abattage de nombreux arbres et une végétalisation en pot. Nicolas Florian, maire LR de Bordeaux, qui brigue un second mandat, propose aussi 20.000 nouveaux arbres tout en devant justifier de trois projets d’abattage pour… un festival à ciel ouvert temporaire et l’installation de conteneurs préfabriqués. À Paris, Anne Hidalgo avait annoncé le 13 juin 2019 — deux semaines après le succès des écologistes aux élections européennes — la création de quatre « forêts urbaines » sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris, derrière l’opéra Garnier, devant la gare de Lyon et sur les berges de la Seine. Un coup de communication qui n’a pas convaincu Joëlle Morel, élue EELV du 11e arrondissement, qui estime que « mettre quelques arbres en pot n’a aucun intérêt » et ne mérite pas le qualificatif de forêt urbaine.

Pour Alain Sarfati, architecte et urbaniste, « planter des magnolias en pots, c’est comme des poulets en batterie, c’est de la maltraitance végétale. Avec un effet sur la photosynthèse nul, car il n’y a pas suffisamment de profondeur de sol pour absorber le CO2 ». Quant à « planter quatre baliveaux et appeler ça une forêt urbaine, c’est un abus de langage ». Il affirme que « l’arbre devient le compensatoire de la technologie car nous avons de plus en plus peur de l’emprise de la technique dans nos vies. Il y a un côté très démagogique ». D’après lui, plutôt que de planter des arbres à tout-va, il faut « s’intéresser aux origines de la chaleur, qui se trouvent dans le bitume des chaussées et dans la climatisation excessive de certains bâtiments aux couleurs foncées inappropriées. Si on veut lutter contre la chaleur il faut des bâtiments blancs, sauf façade nord, et trouver un autre revêtement pour les chaussés ». Et « sur la question du CO2, il faut éradiquer la voiture de la ville, et limiter la circulation automobile aux taxis et transports en commun avec des parkings aux entrées et sorties pour ceux qui viennent des périphéries ».

Une des craintes que suscitent les projets de « forestation » urbaine est que, en tant que compensation des émissions par la création de puits de carbone, ils ne fassent de l’ombre aux objectifs de baisse des émissions. De plus, planter des arbres et assurer leur survie n’est pas si simple. Les monocultures sont des écosystèmes fragiles, vulnérables aux maladies et aux parasites. Les 42.000 platanes (sur 180.000 arbres) du canal du Midi ont été attaqués par un champignon, le chancre coloré, venu des États-Unis en 2006. 30.000 d’entre eux ont déjà été abattus et les autres sont également condamnés.

Planter des arbres et assurer leur survie n’est pas si simple. Les monocultures sont des écosystèmes fragiles, vulnérables aux maladies et aux parasites.

Dans le cas d’une polyculture, c’est l’utilisation d’espèces d’arbres non indigènes qui peut se révéler néfaste pour les autres, les arbres venus d’ailleurs devenant envahissants ou peu accueillants pour la faune locale. C’est le cas du platane, pourtant présent en France depuis maintenant 300 ans, et qui n’est associé qu’à deux espèces d’insectes contre 400 pour le chêne ou le saule.

L’utilisation des arbres d’alignement atteint rapidement ses limites en matière de services écologiques 

Un plan de végétalisation mal mené peut se révéler contre-productif. Sous l’effet du rayonnement solaire, certains arbres comme le platane (qui représente près de 40 % des arbres d’alignements à Paris) peuvent émettre des composés chimiques volatils qui viennent aggraver la pollution à l’ozone d’origine anthropique lors des pics de chaleur. Une étude publiée en 2017 dans ACS publication a démontré que 60 % du smog lors de la canicule de 2006 à Berlin pouvait être attribué aux rejets de composés végétaux. Certaines espèces comme le frêne ou le bouleau peuvent être allergisantes. D’autres, comme les eucalyptus, particulièrement adaptés aux climats arides, ont une forte capacité de rétention d’eau et sont capables d’aller la puiser très profondément. Ils peuvent donc accentuer le risque de sécheresse et provoquer un rabattement des nappes phréatiques, mettant en péril la flore locale en la privant d’eau. Enfin, dans des rues étroites, un feuillage trop dense peut empêcher la dispersion des polluants.

Pour toutes ces raisons, l’utilisation des arbres d’alignement atteint rapidement ses limites en matière de services écologiques. S’ils ont le mérite de créer de l’ombre et d’être un moyen simple d’inviter la nature dans la ville, il est important de composer les alignements avec une diversité des essences afin d’augmenter leur résilience, de favoriser des espèces indigènes pour soutenir la biodiversité locale et de bien les sélectionner selon le rôle qu’ils doivent remplir. De plus un élagage et un espacement trop important peuvent limiter leur capacité à créer de l’ombre et à abriter la faune. Enfin, il est toujours préférable de les coupler avec des arbustes et des herbacées, tout en conservant une portion de sol en terre meuble au pied de l’arbre afin de reproduire des écosystèmes moins pauvres.

Les espaces verts publics que sont les parcs et jardins obéissent à la même logique. Ils sont cependant de véritables refuges pour la biodiversité et présentent une empreinte carbone réellement négative dans le cadre d’une gestion différenciée ou écologique. Ces modes de gestion s’appuient sur une réduction de l’usage des machines, le recours aux énergies renouvelables, une meilleure gestion de l’eau, un accroissement de la biodiversité végétale et animale et le recyclage des déchets pour la fabrication de compost pour nourrir les sols. Les tontes sont différenciées selon l’usage de l’espace vert, avec des fauchages moins fréquents là où c’est possible.

A contrario, l’aménagement sur 44 ha de talus du périphérique parisien de bosquets ultradenses, avec au moins un arbre au m2 et multipliant les essences, proposition qui entre dans le cadre des 170.000 arbres promis par Anne Hidalgo, est inspiré par la méthode Miyawaki, conçue par le botaniste japonais du même nom. Elle permettrait de favoriser une croissance extrêmement rapide des arbres sans utilisation d’engrais chimique et de générer des écosystèmes autonomes en seulement quelques dizaines d’années sur des terrains urbanisés ou dégradés par l’Homme.

Nicolas de Brabandère, biologiste, naturaliste et fondateur d’Urban Forest en 2016, se montre enthousiaste envers cette méthode qui présente comme avantage de « reconnecter les citoyens à la nature en créant des forêts à forte diversité avec une sélection d’espèces fondée sur ce que serait une forêt locale naturelle ». Il la considère également comme la meilleure méthode de végétalisation urbaine « pour le filtrage de l’air, la biodiversité et le stockage du carbone ». Cependant, il met en garde sur un projet qui nécessite « une véritable implication » de la part des participants et qui est fortement consommatrice en « énergie humaine ». Elle implique en effet un certain « coût en main-d’œuvre », puisque l’utilisation d’engrais chimique et de moyens mécaniques y est proscrite. Des contraintes qui semblent souvent rédhibitoires puisque « ces projets survivent rarement au stade de la première réunion, les élus favorisant des plans de végétalisation plus classiques ».

La nature en ville est aussi un débat philosophique 

Mais, dans les villes à très forte densité, planter beaucoup d’arbres ou créer des espaces verts peut s’avérer difficile. Une alternative intéressante est alors la végétalisation des toitures et façades, pour laquelle notre pays accuse un grand retard, d’après Frédéric Madre. « En Allemagne, on compte 15 millions de m² de façades et toitures végétalisées pour dix fois moins en France. » L’architecte et urbaniste Alain Sarfati observe quant à lui qu’« il faut avoir une attitude différente sur chaque façade selon l’orientation, sinon cela va marcher sur certaines et sur les autres pas du tout ».

Frédéric Madre admet que l’orientation va jouer « sur le choix des plantes », mais il considère que végétaliser les toits et les murs peut rendre de nombreux services « sur la gestion des eaux pluviales comme à Paris. La végétalisation permet d’absorber les eaux d’orages et d’éviter la saturation des stations d’épuration. Elle améliore l’étanchéité des bâtiments et les rafraîchit par évapotranspiration ». Selon lui, des toits végétalisés peuvent permettre « jusqu’à 80 % de réduction de la consommation énergétique par la climatisation ».

La végétalisation des toitures et façades est une alternative à la plantation d’arbres.

Si en théorie, tous les bâtiments peuvent être végétalisés, la démarche rencontre de vives résistances de la part des bailleurs sociaux et des copropriétaires, selon Joëlle Morel, qui appelle les mairies à faire « pression sur eux pour les obliger à plus de transversalité ».

La nature en ville est aussi un débat philosophique. Alain Sarfati estime qu’à vouloir trop mettre de la nature dans la ville, « on finit par tuer les deux. Il faut garder un équilibre entre la densité, les activités et une présence équilibrée de la nature pour assurer la mixité et le vivre ensemble. On doit garder le choix de vivre à la nature ou en ville et laisser la nature où elle est pour cesser de la maltraiter ». Frédéric Madre au contraire invite à sortir du « paradigme selon lequel la ville serait forcément en opposition avec la nature ». Il explique en effet que « la nature se développe là où elle peut. Dès qu’on crée des conditions favorables, la rapidité d’apparition de la biodiversité est étonnante. Toutes les espèces s’adaptent, il faut leur laisser le temps ». Et il invoque les bienfaits que la nature peut apporter à la ville car « avec une biodiversité plus riche, on crée des écosystèmes urbains plus résilients. Et de nombreuses études ont montré le lien très fort entre la présence de la nature et le bien-être de la population ».

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