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ChroniqueCulture et idées

Et si, en 2017, le summum du modernisme était d’être décroissant écologiste ?

À en croire la publicité, être moderne serait de changer d’appareil dès qu’un nouveau modèle se présente ou chercher à obtenir un service le plus rapidement possible. Les écolos, qui ne rêvent que de retourner à la bougie, seraient donc loin de l’être. Pourtant, explique notre chroniqueuse, le moderne n’est pas celui que l’on croit…

Isabelle Attard a été députée écologiste du Calvados. Elle se présente comme « écoanarchiste ».

Isabelle Attard.

Qu’est-ce qu’être moderne en 2017 ? J’ai posé cette question aux personnes présentes aux 50 ans de l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) à Lille le 6 octobre dernier, des informaticiens en majorité donc. Le thème était « environnement et numérique ». J’avais l’intention de valoriser les modélisations et les projections environnementales en tant qu’aide aux décisions prises par les élus, qu’ils soient locaux ou nationaux. J’ai alors volontairement digressé sur la justification des choix d’aménagement du territoire faits par ces élus. Si vous regardez bien, il leur suffit d’utiliser les mots « innovation » et « modernisme », mots clés indispensables, pour que leurs conseils et leurs administrés valident leurs projets, sans chercher à en savoir plus.

Parallèlement, tous les militants écologistes ont souvent entendu la célèbre phrase : « Vous, les écologistes, vous êtes pour le retour à la bougie. » Ce qui signifie évidemment que les écologistes ne sont pas du tout modernes et n’aiment pas, en bloc : la technologie, la domotique, le high-tech, le nucléaire, les start up, les TGV et l’agriculture « de pointe ». Cette liste n’est pas exhaustive.

J’ai aujourd’hui la sensation qu’il y a urgence à questionner cette notion de modernisme, sésame qui justifie apparemment tout et qui permet de se passer d’autres arguments.

Résister aux injonctions commerciales permanentes 

Depuis plusieurs décennies, plus de 50 ans pour certains, une multitude de lobbies extrêmement puissants, celui du nucléaire, du bétail et des viandes, des semenciers, des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) dépensent des milliards par le biais de la publicité pour vous convaincre qu’être moderne, c’est renouveler ses appareils ménagers tous les 5 ans, car ils sont rendus impossibles à réparer vous-même. C’est voyager en TGV car le temps est compté lorsque vous traversez la moitié de la France. Si vous prenez votre voiture, les autoroutes sont là pour vous, même si elles vous coûtent aujourd’hui autant que l’essence que vous consommez, alors qu’elles ont été rentabilisées depuis belle lurette. Mais une heure, c’est une heure, et puis c’est tout. Votre temps est tellement compté et c’est tellement innovant, que vous allez laisser un employé d’Amazon entrer chez vous, caméra au casque, pour déposer un colis, ce qui vous évitera de passer au bureau de poste le lendemain. Votre temps est tellement compté que vous appelez un livreur à vélo payé 3 € de l’heure, pour vous apporter votre dîner. De toute façon tout ceci n’est vraiment pas grave pour la planète, puisqu’avec votre nouveau compteur intelligent, vous allez économiser de l’énergie en « optimisant votre consommation d’électricité », et tant pis si, au passage, vos données personnelles sont revendues par Enedis. Après tout, vous avez laissé rentrer chez vous le livreur d’Amazon, alors bon… Et tant pis si les normes françaises concernant les ondes électromagnétiques de votre compteur n’ont rien à voir avec celles de nos voisins allemands… puisqu’on vous dit que le Linky c’est moderne !

Il faut à la fois une sacrée volonté et une forte conscience politique pour résister aux injonctions commerciales permanentes. Et pourtant, nous sommes nombreux à choisir de faire ce pas de côté. Je suis agréablement surprise de voir depuis quelques années une multitude de jeunes gens, souvent diplômés, quitter la voie tracée pour eux par le monde de la finance et des multinationales régissant notre société.

« Le libéralisme n’est pas compatible avec l’écologie » 

Ils se forment à la permaculture et/ou glanent une partie de leur nourriture, voyagent en stop, se regroupent dans des écolieux, limitent leur consommation de viande et réapprennent les gestes des métiers manuels tout en restant des geeks connectés, se transmettant leur savoir grâce aux logiciels libres. Et, crème sur la purée, comme disent les Suédois, ils revendiquent le droit à fabriquer leur propre énergie. Nous sommes vraiment très loin de la bougie.

L’écolieu de l’île du Platais, dans les Yvelines, ouvert par le collectif Mainstenant.

Selon la définition du Larousse, être moderne c’est être « de son temps, appartenir au temps présent ». Et justement, aujourd’hui, nous savons que nous consommons l’équivalent de 2,7 planètes, comme si les ressources naturelles étaient inépuisables. Aujourd’hui, nous avons cette connaissance. Être moderne, c’est vivre en ayant intégré ce savoir et corriger le tir de nos sociétés de consommation obsolètes, puisqu’elles nous disent de faire tout le contraire. Être moderne, c’est essayer de laisser une empreinte la plus faible possible sur terre, tendre au zéro déchet, fabriquer de l’électricité localement via les énergies renouvelables, s’alimenter localement avec de la nourriture produite sans pesticides et refuser les transports en bus quand la ligne de train existe ! Les multinationales elles-mêmes l’ont déjà intégré. Pourquoi, sinon, autant d’écoblanchiment, allant des faux labels aux subventions versées aux festivals, événements et fondations « nature » ? Mais le libéralisme repeint en vert reste du libéralisme…

Chers lecteurs, Nicolas Hulot avait raison il y a quelque temps dans Osons ! en écrivant que « le libéralisme n’est pas compatible avec l’écologie ». C’était tellement vrai qu’il ne l’a plus répété depuis ! Donc, si on suit notre raisonnement, le libéralisme n’est pas moderne.

Et si, en 2017, le summum du modernisme était d’être décroissant écologiste ?

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