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Alternatives

Généraliser la consigne du verre ? Le « plus tard, peut-être » du gouvernement

Plébiscitée par la Convention citoyenne pour le climat, la généralisation de la consigne de verre n’a pas été reprise dans le projet de loi Climat, malgré ses bénéfices écologiques. À peine sera-t-elle mollement préconisée et à partir de 2025.

La consigne sur verre va-t-elle faire son grand retour dans nos magasins ? Après neuf mois de travaux, c’était l’une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat. « On a eu de longues heures de formation et d’information, raconte à Reporterre Claire Morcant, l’une des 150 membres. On a rencontré à la fois ceux qui souhaitent le retour de la consigne, mais aussi les industriels qui nous disaient que c’était compliqué et que cela pouvait être long à mettre en place. Effectivement ! On avait pris ça en compte pour fixer un calendrier. » Il avait été proposé d’imposer aux distributeurs la mise en place d’un système de consigne sur le verre obligatoire, dès 2021 pour les grandes surfaces, 2022 pour les moyennes surfaces et 2023 pour les petites.

Qu’est-il advenu de leur proposition ? Le 8 mars dernier débutait à l’Assemblée nationale l’examen du projet de loi Climat issue de cette convention citoyenne. Une loi dans laquelle l’ambitieuse idée est désormais résumée en deux phrases dans l’article 12 : « L’obligation de mise en place d’une consigne pour les emballages en verre, de manière à ce qu’ils soient lavables et réutilisables, pourra être généralisée. Cette généralisation ne peut entrer en vigueur avant le 1er janvier 2025. » Fini, le calendrier échelonné. Selon la députée En Marche Aurore Bergé, rapporteuse de cette partie du texte de loi, « le déploiement ne peut pas se faire au même rythme pour tous et doit se faire en fonction des filières. On ne peut pas fonctionner de la même manière avec des produits très standardisés qu’avec les vins ou spiritueux, par exemple », dit-elle à Reporterre. Argument irrecevable pour le député La France insoumise Loïc Prud’homme, membre de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Climat : « C’est un choix politique qui a été fait », résume-t-il.

Autre déception : la mise en place de la consigne a perdu son caractère obligatoire. « La loi est vidée de son sens initial, la façon dont cet article a été rédigé ne veut plus rien dire. Chacun pourra avoir sa propre compréhension de l’article et c’est la porte ouverte pour ne rien modifier, déplore Claire Morcant. Je suis très déçue. » Même constat pour Loïc Prud’homme : « Cet article est une déclaration de bonne intention, ça n’oblige rien ni personne et ça ne fonctionnera pas. On a déposé des amendements, mais aucun n’a été retenu pour l’instant. »

Moins de gaz à effet de serre, moins d’eau

La consigne a pourtant moult avantages écologiques. D’après le rapport de l’association Zero Waste Europe et Reloop, le réemploi d’une bouteille de verre engendre une diminution de :

  • 85 % des émissions de gaz à effet de serre comparé à son équivalent à usage unique ;
  • 57 % par rapport à son équivalent en aluminium ;
  • 70 % au regard de son équivalent en plastique (PET, polytéréphtalate d’éthylène).

D’ailleurs, de nombreux cafés, hôtels et restaurants ont encore recours à la consigne. Un réemploi qui permet d’éviter près de 500 000 tonnes de déchets chaque année en France (chiffres de 2013). « Il y a de multiples acteurs et de multiples acheteurs en supermarché, contrairement aux hôtels et restaurants qui eux ne travaillent qu’avec quelques grossistes. On ne peut pas calquer ce modèle », rétorque la députée Aurore Bergé.

De nombreux cafés, hôtels et restaurants ont encore recours à la consigne.

Précisions que la fabrication d’une bouteille en verre demande une grande quantité d’énergie. Certes, mais d’après le rapport de Zero Waste Europe et Reloop, les émissions de gaz nécessaires à sa production sont réduits de 40 % après deux ou trois utilisations. L’idée de la consigne pour réemploi s’inscrit donc dans le mandat qui a été confié aux citoyens de la Convention : trouver des solutions pour atteindre une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990. Dans un rapport de 2010, l’Ademe a d’ailleurs reconnu l’intérêt de la consigne : « Le verre consigné est en moyenne moins impactant de 50 % pour l’indicateur “effet de serre”. Le bilan carbone s’améliore évidemment lorsque les distances, nécessaires au transport des bouteilles consignées jusqu’au stations de lavage et de remplissage, sont réduites. »

« C’est honteux : on ne va clairement pas vers une massification de la consigne »

Quid de la consommation d’eau, nécessaire pour laver et rincer les bouteilles en verre ? Le système de réemploi permet d’économiser 33 % d’eau comparé aux contenants à usage unique, selon un rapport de 2009 [1]. Cette méthode de consigne pourrait également permettre de diminuer l’utilisation des bouteilles en plastique. Pour Moïra Tourneur, responsable de plaidoyer pour Zero Waste France, « le projet de loi Climat n’est pas à la hauteur des enjeux environnementaux, et de la demande des citoyens. C’est honteux de résumer le projet de la consigne pour réemploi à deux phrases. Si ça reste en l’état, on ne va clairement pas vers une massification de la consigne. Le projet de départ était ambitieux », dénonce-t-elle auprès de Reporterre.

Ma bouteille s’appelle Reviens propose le réemploi des bouteilles dans la Drôme et en Ardèche.

« Il faudrait que les distributeurs aient l’obligation de le faire : les engagements volontaires, ça ne fonctionne pas »

Standardiser les contenants est l’une des clés pour permettre aux consommateurs de rapporter leurs bouteilles dans n’importe quel magasin. « Cela favorise et permet d’optimiser les circuits de lavage et de réemplois » souligne le député insoumis Loïc Prud’homme. Les citoyens de la Convention avaient ainsi proposé la création de contenants standards, en laissant aux marques la possibilité de les personnaliser avec des étiquettes en papier recyclé — et ce, dès 2021 — mais cette idée n’apparaît plus dans le projet de loi actuel.

« Ce n’est pas si simple, selon la députée En Marche Aurore Bergé. Il y a des marques qui ont développé toute leur identité au travers de leur bouteille. Les flaconniers font aussi partie de l’excellence française, et outre le fait que cela crée de l’emploi, c’est aussi de la recherche et des métiers d’art pour un certain nombre d’entre eux. » D’où la proposition de la Convention : une taxe de 30 % du prix net sur les contenants non standardisés.

« Il faut aussi créer tout le circuit logistique pour rapporter les bouteilles vides vers le remplissage. Il faudrait que les distributeurs aient l’obligation de le faire : les engagements volontaires, ça ne fonctionne pas. Et pour l’instant, la loi telle qu’elle est présentée n’évoque aucun de ces aspects » critique Loïc Prud’homme. « Il faut faire les choses dans le bon ordre », répond Aurore Bergé. « On vient de créer l’Observatoire pour le réemploi pour permettre aux filières de se constituer. Une fois les critères déterminés, on pourra s’appuyer sur des données environnementales pour embarquer toutes les filières qui peuvent l’être, avec des cahiers des charges et des objectifs. L’Observatoire devrait livrer des éléments dans l’année, en tout cas sur la question du verre. »

Quid du recyclage du verre ?

Pourquoi favoriser la consigne, alors que le recyclage du verre existe ? Dans ce domaine, la France a de bons résultats puisque le taux de recyclage du verre dépasse 86 % [2]. Certes, ce matériau est recyclable de nombreuses fois, mais l’opération consomme en moyenne quinze fois plus d’énergie que le seul lavage.

« Il ne faut pas qu’on mette en opposition ou en concurrence le recyclage du verre et la consigne. On a évidemment un bénéfice écologique qui est plus important sur le réemploi, sous réserve qu’un certain nombre de conditions soient remplies : à la fois la question du transport pour l’incidence carbone, mais aussi le nombre de réemplois des contenants en verre », dit Aurore Bergé. De tels éléments ne doivent pas faire l’objet d’une loi, mais sont du « domaine réglementaire car ils peuvent être amenés à évoluer », selon elle.

Des alternatives existent déjà

Certains acteurs n’ont pas attendu ces conclusions pour remettre sur le devant de la scène la consigne. À l’exemple de Jean Bouteille. « On est associé à la vente en vrac de produits liquides avec une bouteille qui est réutilisable et consignée, explique à Reporterre le fondateur, Gérard Bellet. Le consommateur pourra utiliser autant de fois qu’il veut sa bouteille avant de la rendre », précise-t-il. L’initiative est accessible aux consommateurs dans des magasins bio et chez plusieurs épiceries en vrac indépendantes. « La difficulté de la consigne est qu’il s’agit d’un métier de très gros volumes, et pour que ce soit économiquement viable, il faut transporter et laver des milliers de bouteilles en permanence. Or, comme toute l’infrastructure a disparu, c’est très compliqué. On a été obligé de redémarrer de manière créative et en réadaptant la consigne au marché actuel, donc en l’associant au vrac », explique-t-il. Pour lui, la mise en place de la consigne à l’échelle nationale « ne va pas se faire du jour au lendemain, c’est certain, et c’est là où il y a besoin d’un programme d’accompagnement des pouvoirs publics ».

Jean Bouteille propose des bouteilles réutilisables dans des magasins bio et épiceries en vrac.

Pour un déploiement efficace de la consigne, il faudrait effectivement que les industriels se mettent d’accord pour revoir leur logistique. « Ils ne veulent pas le faire. Cela supposerait de se mettre d’accord avec la concurrence pour la standardisation des bouteilles. Et cela imposerait de changer les lignes de production, soit des frais supplémentaires qu’il ne veulent pas engager. Remettre en place la consigne, qui suppose de dépenser de l’argent alors que le plastique reste moins cher, ça ne les arrange pas », observe Loïc Prud’homme.

La Convention citoyenne avait proposé que « l’État accompagne la transformation de la filière puisqu’il lui imposait de changer ses pratiques. Pour les industriels qui passeraient à la consigne, l’accompagnement aurait été financier ainsi que pour la formation des employés », souligne Claire Morcant. L’idée n’a pas été retenue. « L’emballage à usage unique est favorisé alors que les dommages qu’il produit ne sont pas supportés par ceux qui les génèrent. Ce n’est pas juste que ces emballages soient moins chers, plus facilement rentables, plus simples », dit Gérard Bellet, de Jean Bouteille.

Les participants à la Convention avaient également pour directive de faire des propositions « dans un esprit de justice sociale ». Avec la consigne, l’objectif semblait atteint puisqu’une étude à destination de la Commission européenne a souligné qu’un recours soutenu à la consigne sur verre pour réemploi pouvait mener à la création de 27 000 emplois — dans le cas de l’Allemagne. Les stations de lavage des bouteilles consignées n’ayant d’intérêt écologique que lorsqu’elles sont proches des lieux de lavage, de remplissage et de vente, ces nouveaux emplois seraient locaux et non délocalisables.

Dernier avantage de la consigne de verre : elle peut être plus économe pour les consommateurs, si les vendeurs jouent le jeu. En effet, si une bouteille est réutilisée, cela évite les coûts de production d’un nouveau contenant : en Alsace, où la consigne sur le verre n’a pas totalement disparu, les viticulteurs peuvent acheter une bouteille jusqu’à 40 % moins cher si elle est réutilisée [3]. Il n’est donc pas surprenant que 88 % des Français interrogés lors d’un sondage Ifop / WWF fin 2019 s’y soient déclarés favorables.

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