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L’État mise sur les métropoles au détriment de l’intérêt général

Sous prétexte de « mutualisation » des ressources des communes et de présence « au plus proche du terrain », l’État favorise le développement des intercommunalités. Or, expliquent les autrices de cette tribune, l’augmentation de leur pouvoir se fait au détriment de l’intérêt général en renforçant le poids des métropoles, en favorisant une inégalité d’accès aux services publics et en fragilisant le lien politique entre les citoyens et leurs représentants.

Léa Ferri et Louise Rouan sont fonctionnaires territoriales en région parisienne et dans le nord de la France. Elles ont animé la rédaction de la note « De la libre association des communes et de leur contribution à la bifurcation écologique » du laboratoire d’idées Intérêt général, publiée avant le premier tour des municipales en mars 2020


C’est dans un contexte de campagnes électorales largement perturbées par la crise sanitaire qu’Emmanuel Macron a annoncé réfléchir à donner davantage de responsabilités aux échelons locaux.

Pourtant, loin de plaider pour un renforcement du pouvoir des collectivités, la crise sanitaire a souligné le besoin criant de redonner à l’État, surtout dans ses administrations déconcentrées, des moyens humains, d’expertise et de soutien aux collectivités.

Plutôt que de s’aventurer dans une nouvelle étape de décentralisation, le gouvernement et les municipalités nouvellement installées devraient faire le bilan des précédentes. Le phénomène de métropolisation de notre territoire, corollaire du dogme de la concurrence entre territoires et collectivités, a renforcé les inégalités d’accès aux services publics et ne permet pas de répondre aux urgences écologiques, sociales et démocratiques auxquelles nous faisons collectivement face.

Des mastodontes technocratiques, en compétition les uns avec les autres pour obtenir des ressources, attirer la population et les emplois 

À l’origine simples outils de gestion des services en réseau tels que l’eau et les déchets, les intercommunalités sont devenues la figure de proue des dernières lois de décentralisation. Leurs tailles ont augmenté en même temps que leur ont été transférées de nombreuses compétences des communes et départements. La loi « d’affirmation des métropoles » de 2014 est l’aboutissement de cette démarche.

Sous prétexte que la « mutualisation » des ressources des communes permettrait la réalisation d’économies d’échelle, les gouvernements successifs ont installé dans le paysage institutionnel ces mastodontes technocratiques, en compétition les uns avec les autres pour obtenir des ressources, attirer la population et les emplois.

L’organisation de la vie économique et sociale autour de quelques grands centres urbains a dessiné des bassins de vie à des échelles toujours plus larges, insoutenables en termes écologiques.

L’urgente et nécessaire bifurcation écologique impose pourtant de favoriser la réduction des distances entre les lieux de vie et de travail, entre les lieux de production des ressources alimentaires et leurs lieux de consommation, de lutter contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols.

La lutte contre les inégalités territoriales nécessite de renforcer le maillage territorial de nos services publics — de santé, d’éducation, de services sociaux. Pourtant, le phénomène de métropolisation a entraîné une concentration de tous les services publics dans les grands centres urbains. Comme l’a fortement dénoncé le mouvement des Gilets jaunes, la carte de France d’implantation des services publics s’est progressivement clairsemée, y compris pour les villes moyennes. Alors que l’ensemble du pays a exprimé son attachement aux services de santé, le nombre de femmes se trouvant à plus de 30 minutes d’une maternité a quasiment doublé au cours des vingt dernières années. À quoi bon donner plus de pouvoir au niveau local pour gérer des services publics s’ils disparaissent ?

Enfin, les intercommunalités en général, et les métropoles en particulier, représentent un désastre démocratique. Leur fonctionnement est opaque et méconnu du grand public. Elles encouragent une culture du consensus qui technicise les enjeux, dépolitise le débat et rend impossible l’émergence de politiques réellement ambitieuses. Alors que les élections municipales sont également intercommunales, la déconnexion entre les résultats des premières et leur traduction dans les politiques intercommunales ne peut que creuser le gouffre entre les citoyens et leurs représentants.

Derrière la justification de la décentralisation par la supposée pertinence de décisions prises « au plus proche du terrain » se dissimulent en fait deux leitmotivs des politiques libérales. En donnant plus de responsabilités aux collectivités, celles-ci se trouvent en compétition les unes contre les autres, tant pour la valorisation de leurs actions que pour l’accès aux ressources.

Ne pas céder à la tentation d’un renforcement des responsabilités locales si celui-ci se fait au détriment de l’État 

Pourtant, ce qui est perdu en matière d’égalité entre les citoyens n’est pas pour autant gagné en efficacité. Alors que l’État aurait pu — et aurait dû — assumer des commandes massives de masques pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19, les collectivités territoriales ont dû déployer des efforts pour assurer leur propre approvisionnement. Ce raisonnement s’applique au quotidien dans les territoires, renvoyés dos à dos pour l’obtention de fonds européens ou pour la recherche de médecins dans les déserts médicaux.

Il est dangereux de penser qu’un affaiblissement des moyens — voire un retrait — de l’État et de ses administrations déconcentrées permettrait de meilleures prises de décisions au niveau local. Au contraire, la crise sanitaire a montré l’impérieuse nécessité de redonner aux agences régionales de santé, aux services préfectoraux, aux services déconcentrés de l’Éducation nationale, de véritables moyens humains et d’expertise pour informer, contrôler et adapter les décisions prises.

Les listes municipales élues dimanche 28 juin dans des métropoles qui ont pour ambition de porter des politiques locales radicales ne doivent pas céder à la tentation d’un renforcement de leurs responsabilités si celui-ci se fait au détriment de l’État.

La feuille de route de ces nouvelles équipes doit être claire : défendre le rôle de l’État comme garant de l’égalité sur tout le territoire et considérer la commune comme un lieu central de la démocratie. Refuser l’intercommunalité imposée depuis 2014 et plaider pour un démantèlement des métropoles, tout en envisageant la coopération volontaire entre communes comme condition de la mise en œuvre de politiques écologiques et redistributives.

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