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Forêts

La forêt publique est fermée pour faire place aux chasseurs

Dans l’Aveyron, la forêt de Grésigne est fermée au public pour permettre la « régulation des populations de cervidés ». Mais il s’agit d’un blanc-seing à la chasse, reflet d’une gestion qui a fait fi des prédateurs naturels et de l’équilibre des écosystèmes


L’ONF (Office national des forêts) a interdit l’accès à la Forêt de Grésigne [en Aveyron] pour cause de chasse du 15 septembre au 15 octobre 2012. Des affiches sont placardées partout le long des routes adjacentes. L’affiche ne précise pas les heures : la nuit aussi ? En plein week-end du Patrimoine, ça fait désordre.

Cette forêt domaniale est un haut lieu naturaliste mais aussi historique. Les promeneurs ne sont pas les seuls à fréquenter cette forêt. De nombreux chercheurs historiens, géographes, botanistes, biologistes, archéologues y travaillent à titre professionnel ou privé. Leurs publications font autorité. Les vestiges d’un riche passé (mur de Colbert - fours de verrier – ponts – pierres signées – fontaines - bornes médiévales ....) sont néanmoins mal répertoriés et peu à peu détruits. Les engins forestiers, les pistes forestières d’accès pour les chasseurs creusent des ornières qui participent largement à l’érosion des sols peu profonds, pentus et donc fragiles. Le promeneur lambda lui, n’a qu’à bien se tenir et bien respecter les interdictions d’accès.

L’ONF veille !

Cette forêt est intégrée dans le périmètre de la ZPS (Zone de Protection Spéciale ) depuis 2011 pour la richesse de sa faune - aigle botté, circaète Jean-le-blanc, Pic mar, taupin violacé et bien d’autres espèces - qui ont justifié aussi de longue date ce classement en Zone Natura 2000.

Cette interdiction montre que les intérêts de la chasse sont au dessus de tout : la ZPS, Natura 2000, le Grenelle de l’environnement, la Conférence Environnementale qui vient d’ouvrir ne sont que des bouts de papier face aux excès du lobby de la chasse.

Elle montre aussi qu’une certaine catégorie de chasseurs et l’ONF ne veulent
plus risquer d’avoir de témoins dans leurs activités. Animaux blessés agonisant sur le bord des ruisseaux, dérangements par les meutes de chiens, équipages de chasse à courre qui parcourent la forêt dans un tintamarre assourdissant, tirs incessants, promeneurs affolés, ne donnent pas une image très positive de ce loisir.

Pour cette raison peut-être, depuis 2010, une loi protège ce type de pratiques : le décret 2010-603 du 4-06-2010 punit de lourdes peines toute « entrave à l’activité de chasse ». Il permet donc aisément d’empêcher les promeneurs et les observateurs naturalistes d’être présents librement et de témoigner. Grâce à ce décret, cette interdiction de fréquentation de la forêt au public a été dictée au préfet par les chasseurs et l’ONF qui la justifient par la soi-disante augmentation du nombre de cervidés dans la forêt.

En réalité cette affirmation est gratuite et infondée. Elle est avancée sans chiffres sérieux à l’appui. Aucun comptage indépendant n’existe. C’est l’ONF qui s’en charge avec les chasseurs : juge et partie. Ce comptage est d’ailleurs difficile à faire car le terrain est accidenté en Grésigne. On peut prétendre faire une évaluation tout au plus ; en particulier les mâles durant le brame. Quant aux femelles et aux jeunes c’est beaucoup plus difficile, voire impossible.

Le souci est surtout de justifier une chasse à l’abri des regards indiscrets, afin de couvrir des pratiques peu conformes à l’éthique de la chasse. Chasser au moment du brame, c’est facile et peu glorieux. Les animaux ne perçoivent pas le danger et restent longtemps à découvert. Chemins fermés, sans témoin, l’ONF passe avec des 4x4 pour amener les "clients" sur les places de choix. Ce n’est pas une question de régulation puisqu’elle ne fait tirer que les mâles, les plus beaux et donc les plus rémunérateurs. Pour qui ? Là aussi, c’est l’opacité la plus complète. Combien ça coûte au chasseur ? Qui touche l’argent ? l’Etat ? l’ONF ? les agents ? Dans quelle proportion ? Aucun chiffre n’est publié. C’est pourtant d’argent public dont il s’agit, et de sommes conséquentes !

Les termes du texte en lui même sont intéressants : "Faute de prédateurs naturels, les cervidés se multiplient"

Ce sont les mêmes qui constatent l’absence de prédateurs mais qui par ailleurs les détruisent sans relâche en toute période de l’année. Comme le renard par exemple. C’est donc un aveu patent d’incapacité à "gérer" la faune de la part de l’ONF et des chasseurs concernés. Les écosystèmes sont têtus, les termes gibier et nuisibles leur restent inconnus.

Les cerfs ont été introduits en Grésigne par les chasseurs en 1956 à des fins cynégétiques avec l’accord de l’ONF. Un constat d’échec sur presque 60 ans de gestion chaotique de ce milieu naturel. Le sanglier, le ragondin en sont encore des exemples.

Au-delà de leur incapacité à gérer, ils s’approprient l’espace public et s’octroient des interdictions sans borne. Que dirait-on d’une association naturaliste, de promeneurs, qui demanderait l’interdiction d’accès à un territoire ? Il est vrai cependant que le nombre d’accidents de chasse est en augmentation en France et qu’il touche beaucoup de non chasseurs. On peut s’étonner alors qu’on justifie les mesures de précaution non pas en régulant un loisir dangereux pour la sécurité des citoyens et la préservation de notre patrimoine, mais au contraire en limitant le droit fondamental du citoyen à se déplacer librement dans l’espace public ! C’est tout de même un comble !

Pourquoi ce texte est-il révélateur ?

Il clarifie les enjeux :

-  Il nous montre une progression continue et sans scrupule de la pression de chasse sur les territoires : jusqu’à l’année dernière le mercredi, samedi et le dimanche pendant 8 mois de l’année, cette année on rajoute en plus 1 mois tous les jours (même la nuit ?) et demain ? Qu’en sera-t-il ? Interdiction totale toute l’année comme un terrain militaire ?

-  Il prouve ensuite que le lobby d’une certaine chasse est un acteur majeur, puissant, qui agit de manière hégémonique sur la gestion des territoires. Ce n’est pas nouveau hélas pour la plupart des naturalistes. Ils le constatent de manière croissante sur le terrain.

-  Il nous montre aussi que la faune est en déclin. C’est une lutte pour s’approprier les derniers lieux où il reste quelques animaux.

-  Il nous montre enfin que la culture historique, l’étude scientifique, la biodiversité notre héritage à tous sont bafoués par des intérêts privés et mercantiles.

Pourquoi cet arrêté préfectoral est-il inacceptable ?

-  il approprie de fait l’espace public de façon unilatérale à un groupe social très minoritaire

-  C’est une décision prise sans concertation des associations

-  C’est une décision prise sans concertation des naturalistes experts du secteur

-  C’est une décision prise sans consultation des instances départementales ad-hoc sur la gestion de la faune

-  aucune expertise extérieure indépendante n’atteste du "trop grand nombre des cervidés" ;

-  ni sur les dégâts en forêt et leur éventuel impact économique ;

-  ni sur les dégâts aux riverains ;

-  ni sur les accidents de la route ;

-  il fait fi de tous les programmes officiels mis en place (ZPS, Natura 2000, Grenelle) et de la concertation qu’elle prétend défendre.

Il est temps de faire de la Forêt Domaniale de Grésigne un enjeu pour un avenir durable de nos pays. Avant qu’il ne soit trop tard, il faut exiger d’urgence un autre mode de gestion piloté par un collège scientifique sérieux et indépendant venant d’horizons divers. Il ne s’agit pas d’interdire la chasse en Grésigne mais c’est plutôt avec des étudiants et des chercheurs qu’il faut repeupler la forêt. Il s’agit de redonner la parole aux savoirs, de faire respecter les droits de tous les citoyens dans la préservation du Bien Commun.


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