La loi Biodiversité enfin adoptée : des progrès, des regrets, voici le bilan

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NatureAnnoncée au début du quinquennat de François Hollande, la loi sur la biodiversité a finalement été adoptée. Reporterre fait le bilan d’un texte ballotté entre les pressions des lobbys et les hésitations des parlementaires.
Après un périple de plus de deux ans, la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a été définitivement adoptée le 20 juillet dernier. Elle avait d’abord dû attendre quasiment un an pour arriver, après un passage en conseil des ministres, devant l’Assemblée nationale. Puis de nouveau patienter plus de 9 mois pour sa première lecture en séance publique au Sénat. Le jeu de ping-pong entre les deux chambres a ensuite duré le temps de trois lectures au Sénat et quatre à l’Assemblée nationale, pour que cette dernière emporte la partie, il y a une semaine.
Avec ce texte, il s’agit d’« agir non plus contre la nature mais avec elle et de la traiter en partenaire », explique la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, dans le dossier de presse de présentation du texte. La secrétaire d’État chargée de la Biodiversité, Barbara Pompili, parle quant à elle d’un texte « réaliste et ambitieux ». Les associations de protection de l’environnement (FNE, WWF, LPO, FNH, Humanité et Biodiversité, Agir pour la biodiversité, ANPCEN), qui ont suivi de près le parcours du texte, sont plus mitigées et notent dans leur déclaration commune « de réelles avancées, malgré des occasions manquées ». Même constat pour le collectif Semons la biodiversité, qui regrette des « avancées inachevées ». Les mêmes avancées sont saluées par les parlementaires écolos, qui parlent tout de même d’une « loi fragile ». Alors que peut-on retenir ? L’inventaire des mesures de ce nouveau texte serait presque digne de Jacques Prévert.
La biodiversité est mieux reconnue
- Les paysages nocturnes sont reconnus pour leur spécificité ;
- Les sols sont cités comme participant à la biodiversité ;
- Les poteaux creux, mortels pour les oiseaux et petits rongeurs qui s’y retrouvent pris au piège, sont désormais interdits. Mais, regret des parlementaires écolos, l’obligation de boucher les anciens n’a pas été adoptée ;
- Pour chapeauter toutes les actions de protection de la biodiversité en France, l’Agence française de la biodiversité est créée. Mais, « elle ne dispose pas à ce jour des moyens humains et financiers nécessaires », regrettent les associations de défense de l’environnement. Et puis, autre manque selon elles, l’Office national de la chasse, de la forêt et de la faune sauvage n’est pas intégré, à la demande des chasseurs. Cela diminue les pouvoirs de la nouvelle agence dans le domaine de la protection de la biodiversité terrestre.

Le droit de l’environnement évolue
- Plusieurs grands principes sont inscrits dans la loi : celui de solidarité écologique, qui incite à prendre en compte l’impact des activités humaines sur la biodiversité, ainsi que celui de non-régression du droit de l’environnement, et le principe « d’absence de perte nette de biodiversité, voire [de] tendre vers un gain de biodiversité » ;
- Surtout, outil puissant pour les défenseurs de l’environnement, le préjudice écologique oblige désormais le responsable d’un dommage à l’environnement à le réparer. Il était né dans la jurisprudence du droit français lors de la condamnation de Total au moment du procès de l’Erika ;
- Mesure très contestée, la compensation écologique est prévue par l’article 69. La destruction d’un espace naturel pourrait donc être « compensée » par la création ou l’entretien d’espaces similaires. Ce principe pourrait notamment être utilisé dans le cadre du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ;
- La lutte contre la biopiraterie est inscrite dans la loi française, grâce à la retranscription du protocole de Nagoya. Les peuples autochtones — l’outre-mer est donc particulièrement concerné — voient ainsi les ressources génétiques de leurs territoires et leurs savoir-faire traditionnels relativement protégés. Mais « gouvernement et parlement ont refusé que les communautés locales soient consultées pour l’accès aux ressources génétiques situées sur le territoire qu’elles habitent. À défaut, elles seront informées. La principale amélioration apportée par le Parlement est que la compensation financière sera désormais fonction du chiffre d’affaire généré par la ressource génétique (5 % maximum, au lieu de 1 % comme demandé par le Sénat) », précise France nature environnement dans son communiqué.
Concernant l’agriculture
- Bataille âpre et symbolique, les néonicotinoïdes, ces pesticides tueurs d’abeilles, seront interdits à partir du 1er septembre 2018, mais… avec possibilité de dérogations jusqu’au 1er juillet 2020 ;
- Pour les jardiniers amateurs, le droit d’échanger et d’acheter des semences et plants issus de variétés « libres », c’est-à-dire non inscrites au catalogue officiel, est reconnu… mais la loi demande l’application des mêmes normes sanitaires que celles conçues pour les semenciers industriels. « On ne voit pas comment ces règles pourraient être respectées par des amateurs qui font une bourse aux plantes un dimanche du mois de mai. C’est contre-productif ! » s’inquiète Émilie Lapprand, du Réseau semences paysannes. Autre restriction, seules les associations peuvent vendre ces plants et graines, les paysans et artisans semenciers ne sont pas reconnus. « On a donc beaucoup de questions sur les contraintes ajoutées dans l’article », poursuit-elle.
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ACTUALISATION le 29 août 2016 :
Les associations craignaient que ces contraintes rendent la disposition anticonstitutionnelle. Leurs craintes ont été confirmées le 4 août dernier. Dans son avis sur la loi biodiversité,le Conseil constitutionnel a retoqué la possibilité pour les associations de vendre des semences et plants non inscrits au catalogue officiel. Le commerce et l’échange de telles semences n’est pas remis en cause. Mais les sages ont estimé que la loi ayant restreint le commerce aux seules associations, cette disposition porte atteinte au « principe d’égalité ». Pour que la disposition soit valide, il aurait fallut qu’elle permette à toute personne morale ou physique d’exercer ce commerce : c’est justement ce que demandaient les associations de défense des semences paysannes…
- Pour les agriculteurs, l’échange de semences et de plants de variétés non inscrites au catalogue officiel des semences est aussi reconnu ;
- Concernant le brevetage du vivant, les plantes issues de procédés traditionnels de sélection, leurs parties et leur matériel génétique ne pourront pas être brevetés. « Mais la loi a refusé de s’intéresser aux nouveaux procédés de sélection utilisant les biotechnologies, qui pour nous sont des OGM », regrette Émilie Lapprand. Ainsi, les gènes de plantes obtenues à partir de ces techniques pourront être brevetés, même quand ils sont aussi naturellement présents dans des plantes. Il devient alors facile de breveter toutes sortes de gènes, même quand ils n’ont pas été véritablement inventés, mais juste copiés. « Les paysans et les petits semenciers verront leurs propres semences et animaux menacés d’appropriation par ceux qui auront breveté certains de leurs caractères », avertit le collectif Semons la biodiversité. Ces « OGM cachés » échappent donc, pour l’instant, à une réglementation en France.

Ce qu’il n’y a pas dans la loi, et que les écolos auraient voulu y voir
- La taxe sur l’huile de palme a été évincée du texte ;
- Le chalutage en eau profonde n’a pas été interdit par la loi française… mais l’Union européenne l’a fait ;
- L’interdiction du dragage des fonds marins en présence de récifs coralliens ;
- Le statut d’être sensible pour l’animal sauvage.