La mise en service de l’EPR de Flamanville sera tendue, dit l’ASN

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NucléaireLors de ses voeux annuels, l’Autorité de sûreté nucléaire s’est montrée réservée sur le calendrier de la mise en service de l’EPR de Flamanville. EDF l’espère pour fin 2018. Par ailleurs, le gendarme du nucléaire estime que la situation en matière de sûreté nucléaire est « moins préoccupante » qu’il y a un an.
La mise en service de l’EPR de Flamanville (Manche) en temps et en heure — soit fin 2018 selon EDF — sera « tendue », a indiqué Pierre-Franck Chevet, président de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), lors de ses vœux à la presse, lundi 29 janvier. « Le calendrier sera ce qu’il sera, parce que la mise en service est soumise à notre autorisation et il faut qu’on ait l’ensemble des éléments. On dira oui quand on estimera qu’on sera en mesure de dire oui. […] Ce sera le calendrier de la sûreté qui s’imposera », a-t-il insisté.
Le feu vert sera délivré en deux temps, a précisé Sylvie Cadet-Mercier, commissaire à l’ASN : première étape, l’autorisation d’introduire du combustible sur le site nucléaire, et en particulier dans la piscine du bâtiment combustible ; deuxième étape, l’autorisation de charger ce combustible dans la cuve et de démarrer le réacteur.
EDF a déjà rendu son dossier de demande d’autorisation, mais « on attend encore des compléments », a indiqué la commissaire — les demandes de précisions de l’ASN ont été listées dans un courrier de cent pages adressé à EDF ce mois de janvier 2018. « On ne sait pas quand on aura ces nouveaux éléments. » Un groupe permanent d’experts doit se réunir au mois de juillet pour les examiner.
Une mise en service sous surveillance
Par ailleurs, l’ASN travaille actuellement à la définition de « points d’arrêts » avant l’entrée en pleine puissance du nouvel EPR. L’idée est que le gendarme du nucléaire demande des tests et des résultats à certaines étapes de la mise en service du réacteur — passage de seuils de température et de pression à l’intérieur du réacteur, de certains paliers de puissance et enclenchement de la réaction atomique dans le cœur — pour s’assurer que tout se passe bien. « La montée en puissance de l’EPR prendra environ un mois », a évalué Mme Cadet-Mercier.
Cet important travail encore à mener pourrait contrarier le calendrier présenté par EDF le 9 janvier dernier, de chargement du combustible et de démarrage du réacteur à la fin 2018. L’exploitant avait indiqué à la presse que les essais à froid s’étaient achevés le 6 janvier et s’étaient bien passés, et que des essais à chaud devaient commencer en juillet prochain. Des échéances décisives également pour la centrale nucléaire de Fessenheim, dont la fermeture est conditionnée à l’entrée en service de l’EPR.
Depuis son lancement en 2007, le chantier de l’EPR accumule déboires et retards — le calendrier initial tablait sur une mise en service 2012 — et une inquiétante dérive des coûts — aujourd’hui estimés à 10,5 milliards d’euros. Dernier épisode de cette série noire, Areva avait signalé fin 2014 à l’ASN des anomalies de concentration de carbone dans le couvercle et le fond de la cuve du nouveau réacteur, lesquelles pouvaient amoindrir la ténacité de l’acier et accroître le risque de rupture de la pièce. Le 11 octobre dernier, l’ASN avait toutefois validé ces grands composants forgés à l’usine Areva du Creusot, à condition de contrôler régulièrement le fond de cuve et de remplacer le couvercle avant fin 2024.

Le contexte nucléaire est « moins préoccupant », selon l’ASN
Au-delà de ces nouveaux éléments sur l’EPR de Flamanville, M. Chevet a passé en revue ses dossiers et le contexte nucléaire, qu’il considère « moins préoccupant » qu’il y a un an.
- Les anomalies de concentration de carbone — détectées sur de nombreuses pièces forgées sont « en majeure partie traitées », a-t-il annoncé. Pour mémoire, après avoir découvert ce type d’anomalie sur le couvercle et le fond de cuve de l’EPR de Flamanville fin 2014, l’ASN avait ordonné l’examen de tous les gros composants des réacteurs d’EDF. Résultat des investigations : 46 générateurs de vapeur, dont une vingtaine forgés à l’usine Areva du Creusot, présentaient des concentrations de carbone anormalement élevées. « L’hiver dernier, une douzaine de réacteurs ont été arrêtés pour des contrôles, a rappelé le président de l’ASN. L’anomalie est derrière nous au niveau français. » Reste à régler le problème au niveau international, puisque la France a vendu à l’étranger plusieurs pièces potentiellement concernées par cette malfaçon — notamment les couvercles et les fonds de cuve des deux EPR chinois de Taishan. « Le travail est en cours d’avertir nos homologues étrangers, a assuré M. Chevet. Des discussions sont également en cours au niveau européen pour changer les codes et standards qui s’appliquent aux fabrications. »
- La malfaçon du couvercle et du fond de cuve de l’EPR de Flamanville avait entraîné une enquête et la découverte d’irrégularités dans certains dossiers de fabrication de pièces nucléaires issues de l’usine Areva du Creusot — certaines s’apparentant à de véritables falsifications. « Nous avons demandé la vérification de l’ensemble de ces dossiers de fabrication, soit deux millions de pages. Nous ne sommes pas très loin de la moitié des réexamens. La fin des vérifications est attendue pour fin 2018 », a déclaré le président de l’ASN, qui toutefois « ne [peut] exclure de mauvaise surprise dans la moitié de la revue qui reste à faire ». Longtemps à l’arrêt, l’usine avait obtenu le feu vert de l’ASN pour reprendre la fabrication de pièces nucléaires, le 25 janvier dernier.
- Concernant les difficultés économiques, financières voire techniques des grands opérateurs du nucléaire, M. Chevet a salué la restructuration des groupes Framatome et Orano (ex-Areva) et leur recapitalisation, « importantes et positives pour la sûreté » même si des « points de vigilance » demeurent.
- Le président de l’ASN a attiré l’attention sur l’importance de la sûreté dans « l’exploitation au quotidien » des installations nucléaires, qu’il ne faudrait pas négliger au profit des travaux en vue de leur prolongation. « EDF rencontre des difficultés persistantes sur la gestion de la conformité des appareils », a-t-il alerté. Avant d’évoquer la digue de protection du Tricastin qui menaçait de rompre en cas de séisme, ce qui avait amené l’ASN à réclamer l’arrêt de la centrale le temps des travaux. Autre exemple, les diesels de secours d’environ vingt-cinq réacteurs, dont l’ASN a découvert en juin dernier qu’ils ne résisteraient pas en cas de séisme. L’électricien doit livrer un « plan d’action » pour remédier à ces incidents avant une réunion sur ce thème qui doit se tenir à la fin du semestre.
- M. Chevet a appelé l’exécutif à tenir compte du risque d’arrêt d’une dizaine de réacteurs pour raisons de sûreté dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), actuellement en cours d’élaboration. « Il faut que le réseau électrique soit capable d’y faire face », a-t-il insisté, rappelant que la fermeture d’une douzaine de réacteurs l’hiver dernier avait entraîné de vives inquiétudes pour l’approvisionnement en électricité du pays.
- Enfin, le président de l’ASN a défendu le projet Cigéo d’enfouissement en couche géologique profonde des déchets les plus radioactifs. « Le stockage de ces déchets, nocifs pour des centaines de milliers d’années, est un enjeu de sûreté. Pour ce type d’objets, la solution de référence est l’enfouissement en couche géologique profonde, a-t-il plaidé. Les autres solutions possibles, comme l’entreposage en subsurface, peuvent apporter une réponse pour une centaine d’années, mais pas pour des centaines de milliers d’années car elles nécessiteraient un contrôle social et sociétal — empêcher les intrusions malveillantes, entretenir les ouvrages, etc. Et personne dans cette salle n’est capable de dire des choses sensées sur la possibilité de ce contrôle pendant des centaines de milliers d’années. » L’ASN a récemment rendu un avis « positif » sur le dossier d’options de sûreté pour Cigéo remis par l’Andra. La prochaine étape sera la remise du dossier industriel, prévue en 2019. « Il reste du travail sur les colis de déchets bitumés, qui représentent 20 % des déchets, a rappelé M. Chevet. Le risque d’incendie est réel, d’où notre position de travailler soit sur un traitement de ces colis avant stockage, soit sur une installation capable de faire face à des départs de feu. »