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Présidentielle

Laïcité, sécurité, décroissance, nucléaire… ce qui s’est dit dans le débat des écologistes

Les cinq candidats à la primaire écologiste, qui va désigner le candidat « vert » à l’élection présidentielle de 2022, ont débattu ensemble pour la première fois dimanche 5 septembre. Un échange apaisé, où les prétendants ont esquissé leur vision d’une présidence écologique.

Aucun doute, les écolos sont devenus des personnalités politiques comme les autres. Les cinq candidats à la primaire du pôle écologiste – Delphine Batho, Jean-Marc Governatori, Yannick Jadot, Éric Piolle et Sandrine Rousseau [1] – ont débattu ensemble pour la première fois, dimanche 5 septembre, lors d’une émission organisée par France Inter, France Télévisions et Le Monde. Et étonnamment, les échanges n’ont pas été centrés sur les thèmes de climat, de biodiversité ou de transformation de la société.

Dans la première partie du débat, les journalistes ont préféré questionner longuement les candidats sur la sécurité et la laïcité. « Est-ce qu’on pourrait parler d’écologie ? », a fini par recadrer, agacée, la députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho. Reporterre vous résume le débat en cinq points.

  • Une ambiance pacifique entre les candidats

Cela pourrait sembler anecdotique mais le ton courtois entre les cinq prétendants tranchait avec l’atmosphère parfois observée lors d’élections internes dans d’autres partis. Pendant près de deux heures, les candidats ont échangé tranquillement, en évitant les attaques personnelles. Depuis le début de la campagne, ils se sont d’ailleurs refusé à critiquer publiquement leurs adversaires. Le but : prouver le sérieux des écologistes et leur capacité à gouverner. « Je ne participerai pas à nous abîmer collectivement avec une primaire, où les phrases assassines, les guerres picrocholines prendraient le dessus. Nous devons être à la hauteur des défis qui sont devant nous », a déclaré le député européen Yannick Jadot.

Le maire de Grenoble Éric Piolle et l’eurodéputé Yannick Jadot (Europe Écologie — Les Verts). « Je ne participerai pas à nous abîmer collectivement avec une primaire où les phrases assassines prendraient le dessus », a assuré le député européen. Capture d’écran chaîne YouTube France Inter.

Seules petites tensions à noter : Delphine Batho a levé les yeux au ciel lorsque l’économiste Sandrine Rousseau a affirmé qu’on n’émancipait pas les femmes en interdisant le crop top (un tee-shirt dévoilant le nombril) ou le voile – la députée a ensuite dénoncé des « pressions » exercées sur certaines femmes pour porter le voile. Le conseiller municipal de Nice, Jean-Marc Governatori, a quant à lui laissé planer le doute sur son futur soutien (ou non) au vainqueur de la primaire.

  • Des questions focalisées sur la sécurité et la laïcité

On aurait pu se croire à une primaire de la droite : les journalistes ont longuement interrogé les candidats sur les « sujets régaliens », notamment la sécurité et la laïcité. Les cinq aspirants à l’Élysée se sont prêtés à l’exercice, en semblant toutefois regretter le temps passé sur ces questions. Elles ont en effet occupé 23 minutes, presque un tiers d’un débat d’une heure trente. La séquence a commencé par un rappel : Yannick Jadot, Delphine Batho et Jean-Marc Governatori ont participé en mai dernier à une manifestation de soutien aux policiers [2], où des personnalités d’extrême droite étaient également présentes.

« Je suis prête à travailler avec les policiers sur leurs conditions de travail sans problème, a réagi Sandrine Rousseau. Par contre je ne peux pas soutenir les revendications de ces policiers, particulièrement pas à côté de l’extrême droite qui a profité de cette manifestation pour faire son défilé. » Elle a enchaîné en exprimant son souhait d’une « police de proximité installée dans les quartiers », « exemplaire », et de sortir l’IGPN [3] de la police. Yannick Jadot, de son côté, a dénoncé des sous-effectifs dans les services de police et de gendarmerie, tout comme dans les écoles, les hôpitaux et les tribunaux.

Jean-Marc Governatori, conseiller municipal de Nice (Cap Écologie), a surpris en affirmant son rejet du droit au blasphème. Il est le seul candidat de la primaire écologiste à s’y opposer. Capture d’écran chaîne YouTube France Inter.

Jean-Marc Governatori a ensuite surpris en affirmant que s’il était « tout à fait d’accord [avec] la liberté d’expression », il avait néanmoins des réserves sur le droit à blasphémer, de peur d’« exciter certaines personnes ». Ses rivaux ont tous fait bloc : « Le droit au blasphème ça ne se discute pas, c’est un des fondements de notre République. […] Il n’y a même pas de débat, je regrette vraiment qu’on ait ce débat au sein de [cette émission] », a répliqué Sandrine Rousseau. « Il y a un consensus entre Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Delphine Batho et moi, a poursuivi le maire de Grenoble, Éric Piolle. Le blasphème est légal, ce qui est une infraction à la loi, ce sont les attaques contre des personnes au nom de leur religion. » L’édile en a profité pour exprimer sa « colère contre tous ceux qui se servent de la laïcité pour opposer les Françaises et les Français ».

  • Des projets de société différents

Tout au long du débat, les journalistes se sont employé à faire définir les projets de société des candidats. Delphine Batho a mis en avant une vision de décroissance« pas de récession », a-t-elle précisé. « La décroissance, c’est le fait de baser toutes les décisions sur la recherche d’un équilibre entre les nécessités humaines et les nécessités de la préservation du climat, du vivant, de la santé, a-t-elle poursuivi. Le logiciel de l’obsession de la croissance économique est épuisé, les Françaises et les Français n’y croient plus. » À trois reprises, les journalistes ont demandé à la députée des Deux-Sèvres si elle ne craignait pas de « faire peur » en proposant un tel projet. « Ce qui doit nous faire peur aujourd’hui, c’est l’impuissance à agir face aux événements comme les inondations à New York ou les récoltes amputées de 30 % cette année dans le secteur viticole », a-t-elle répondu.

Face à elle, Jean-Marc Governatori a rétorqué qu’il n’employait pas le mot « décroissance », estimant qu’il n’était « pas audible » par les personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté en France. Il a toutefois affirmé que « nous [avions] un devoir de revoir notre mode de vie », notamment grâce à une éducation à la santé et à une alimentation bio accessible. S’il était élu président, il prévoit de mettre en place une troisième assemblée, en plus de l’Assemblée nationale et du Sénat : une assemblée de citoyens tirés au sort. Ces trois chambres nommeraient alors trois Premiers ministres qui exerceraient le pouvoir, le président ayant seulement un rôle d’« ambassadeur ».

La députée des Deux-Sèvres, Delphine Batho (Génération Écologie), prône un projet de décroissance. « La décroissance, c’est le fait de baser toutes les décisions sur la recherche d’un équilibre entre les nécessités humaines et les nécessités de la préservation du climat, du vivant, de la santé. » Capture d’écran chaîne YouTube France Inter.

Interrogé encore une fois sur la « peur » que pourraient ressentir des citoyens et citoyennes comme les Gilets jaunes face à un projet écologique, Éric Piolle a répondu qu’une insécurité existait, qu’elle ne faisait pas « face à l’arrivée de potentiels écologistes au pouvoir », mais plutôt « face à un modèle social qui broie [les citoyens] et ne répond pas à la question du climat. » Il a alors sorti les chiffres : le maire de Grenoble prévoit de créer 1,5 million d’emplois durant son mandat. S’il était élu, il mettrait en place la proportionnelle aux élections législatives et introduirait les référendums d’initiative citoyenne (RIC).

De son côté, Yannick Jadot s’est opposé aux traités de libre-échange. Il a mis en avant une écologie de « grande réconciliation ». Sans nier les « efforts » qui devraient être fournis par les citoyens et citoyennes s’il était élu — notamment pour « sortir des pesticides » et « interdire l’élevage industriel » — l’eurodéputé l’a assuré : cela se ferait dans la justice sociale. Il prône un revenu citoyen et l’équivalent d’un 13ᵉ mois. Il souhaite également « mettre de la démocratie partout », y compris dans les entreprises. Parmi les outils à sa disposition : des référendums d’initiative locale « pour que les citoyens et citoyennes se sentent partie prenante de la vie qu’on crée », des conventions citoyennes ou encore des conférences de consensus.

Sandrine Rousseau a quant à elle évoqué les « humiliations de millions de Français et de Françaises qui vivent un racisme systémique, des discriminations ». « Ces discriminations-là sont inadmissibles aujourd’hui, a-t-elle poursuivi. Ce n’est pas une option dans un projet politique, c’est profondément au cœur de la transformation écologique parce que si on ne change pas la structure du pouvoir et de notre société, on ne changera pas notre manière de produire et de consommer. » Elle a promis une augmentation du prix du carbone pour les entreprises, une augmentation du Smic et la mise en place d’un revenu citoyen de 850 euros par mois. Dans une formule empruntée à l’autrice Virginie Despentes [4], elle a affirmé : « Pour toutes les personnes qui à un moment donné dans leur vie se sont levées et se sont cassées, et ont tourné le dos au processus démocratique, j’ai envie de dire “Revenez maintenant avec nous parce que la présidentielle n’est pas jouée, les scénarios qu’on nous décrit comme déjà verrouillés peuvent être changés.”  »

  • Comment financer la transformation écologique de notre société ?

À la question du financement des investissements publics, Delphine Batho s’est montrée directe : « Votre question du chiffrage n’est pas posée à Emmanuel Macron, à Jean-Luc Mélenchon, au Parti socialiste, a-t-elle dit. […] J’interprète votre question comme "Est-ce que c’est bien sérieux le fait que les écologistes veuillent gouverner ?" La réponse est oui, c’est extrêmement sérieux. » Elle a notamment mis en avant le déplacement de certaines dépenses, comme celles de la Politique agricole commune (PAC) ou des aides aux énergies fossiles, vers « ce qui est utile et ce qui concourt au bien-être humain ».

L’économiste Sandrine Rousseau (Europe Écologie — Les Verts) propose une réforme de la fiscalité où les personnes les plus riches seraient taxées. Capture d’écran chaîne YouTube France Inter.

Yannick Jadot a affirmé que toutes les dépenses publiques devaient être conditionnées, afin d’éviter que des projets climaticides soient financés. L’économiste Sandrine Rousseau a proposé une réforme de la fiscalité où les personnes les plus riches seraient taxées, tout comme Éric Piolle, qui a évoqué un « ISF [impôt de solidarité sur la fortune] climatique ». Jean-Marc Governatori a simplement estimé qu’une « éducation à la santé et le plein emploi » permettraient de faire des économies et donc de financer la transition écologique.

  • Des différences de calendrier sur la sortie du nucléaire

Les candidats étaient tous d’accord sur un constat, le besoin de sortir de l’énergie nucléaire. « L’EPR [réacteur nucléaire en construction] de Flamanville est une hérésie, une absurdité. On était partis sur un coût de 3 milliards d’euros, on va probablement arriver à 19 milliards d’euros », a lancé Sandrine Rousseau. En revanche, les écologistes sont moins unanimes sur le calendrier à tenir.

Soulignant les risques d’accident, les problèmes de stockage des déchets radioactifs et le prix des EPR (réacteurs nucléaires), Yannick Jadot a déclaré qu’il fallait sortir du nucléaire « de manière responsable, c’est-à-dire sur 15 ou 20 ans ». Il a évoqué des investissements à faire en parallèle dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. « Nous avons à sortir du nucléaire quand on pourra, ça peut être dix ans, ça peut être trente ans », a tempéré Jean-Marc Governatori, mettant également en avant les investissements dans l’efficacité énergétique.

Les candidats pourront aborder d’autres thématiques dans les jours à venir. Deux autres débats sont prévus, mercredi 8 septembre à 20h45 sur LCI puis vendredi 10 septembre à 19h30 sur le site de Médiapart, avant le premier tour de la primaire, du 16 au 19 septembre. Le scrutin est ouvert à tous les Français de plus de 16 ans, à condition de payer deux euros et de signer une charte d’adhésion aux valeurs du pôle écologiste. Les inscriptions sont ouvertes en ligne jusqu’au 12 septembre.

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