Les banques françaises au secours du pétrole, du gaz et du charbon

Les grandes banques françaises ont injecté près de 100 milliards de dollars dans les entreprises actives dans le charbon, le pétrole et le gaz, depuis début 2020. BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole et BPCE ont « augmenté ces financements de 22,5 % ».
« Le nerf de la guerre, c’est la finance. Avec elle, pour protéger notre planète, nous pouvons changer la donne », a déclaré Emmanuel Macron, le 22 avril, à l’occasion du sommet sur le climat organisé par le président étasunien Joe Biden. Dans une étude publiée ce mardi 18 mai, Les Amis de la Terre et Oxfam montrent que la réalité est tout autre, et que la finance n’a rien de « vert ». Loin de protéger la planète, les banques françaises ont, en pleine pandémie de Covid-19, couru au chevet des énergies fossiles.
Dans ce document, les ONG révèlent qu’entre janvier 2020 et mars 2021, les grandes banques françaises — BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole et le groupe Banque Populaire Caisse d’Épargne (BPCE) — ont financé à hauteur de 100 milliards de dollars (environ 82 milliards d’euros) des entreprises actives dans le charbon, le pétrole et le gaz. « Les quatre grandes banques françaises ont de surcroît toutes augmenté ces financements, de 22,5 % en moyenne entre 2019 et 2020 », écrivent les auteurs, qui expliquent cette hausse par une mobilisation massive de capitaux pour aider une industrie fossile affectée par la crise sanitaire.

12 milliards de dollars financés par BNP Paribas
L’étude montre aussi que les meilleures clientes des banques sont les huit majors pétrolières et gazières : BP, Chevron, Eni, Equinor, ExxonMobil, Repsol, Shell et Total. En 2020, la dégringolade des prix du pétrole a fait chuter la valeur boursière de ces grandes multinationales. L’action du groupe Total a, par exemple, perdu 30 % de sa valeur en 2020, relève le rapport. Mais les majors pétrolières et gazières ont pu compter sur le soutien indéfectible des banques, qui leur ont injecté 25 % de leurs financements. À elle seule, BNP Paribas a financé ces majors pour 12 milliards de dollars (environ 9,9 milliards d’euros).
BNP Paribas, Crédit agricole et Société générale ont aussi acheté de nouvelles actions de ces entreprises. Fin 2020, elles en détenaient 24 millions de plus que début de cette même année. Une opération à perte : ces actions ont fait perdre aux banques 1,4 milliard de dollars (près de 1,2 milliard d’euros) en une année.
« En répondant à la demande massive de capitaux de l’industrie fossile, les banques sont en totale contradiction avec ce que dit le Programme des Nations unies : qu’entre 2020 et 2030, la production mondiale de pétrole et de gaz doit diminuer respectivement de 4 % et 3 % par an, pour être conforme à la trajectoire de 1,5 °C », déplore auprès de Reporterre Lorette Philippot, chargée de campagne finance privée aux Amis de la Terre France.
L’industrie du pétrole et des gaz de schiste, aux effets dévastateurs sur la planète, a également bénéficié de ces fonds. L’étude montre que 17,7 milliards de dollars de financements (près de 14,6 milliards d’euros) ont été dirigés vers les trente entreprises les plus agressives au monde dans le développement du pétrole et des gaz de schiste. En octobre 2020, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire exhortait pourtant les acteurs financiers français à mettre en œuvre une sortie des hydrocarbures non conventionnels.
Résultat de ce soutien indéfectible du secteur de la finance aux énergies fossiles : la reprise économique mondiale profite au charbon, au pétrole et au gaz. 2021 devrait être l’une des pires années en matière de hausse des émissions de gaz à effet de serre, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Dans le même temps, l’urgence climatique se fait de plus en plus palpable, alors que l’année 2020 est désormais la plus chaude jamais enregistrée en Europe.
« L’addiction » aux majors, « un danger climatique avéré »
Mais pourquoi une telle addiction des banques françaises à l’industrie fossile ? Les auteurs du rapport proposent deux pistes d’explication :
- En les soutenant financièrement depuis des années, les banques ont construit leur dépendance à l’industrie fossile et notamment à certaines supermajors. Une partie de la stabilité et des profits des grandes banques et investisseurs se retrouve aujourd’hui indexée à ceux de leurs clients des énergies fossiles. « En situation de crise, ces entreprises nocives sont aujourd’hui too big to fail [trop grandes pour faire faillite] pour les banques, qui préfèrent ne rien leur refuser », dit Lorette Philippot.
- Les intérêts des directions des banques et des multinationales des énergies fossiles convergent. Une enquête du média DeSmog a récemment révélé que plus de 65 % des directeurs ou directrices de grandes banques européennes ont des liens avec ces industries très intensives en carbone.
À la fin du rapport, Les Amis de la Terre France et Oxfam France somment le gouvernement de durcir le ton face aux banques, dont « l’addiction aux majors » représente « un danger climatique avéré ». Elles lui demandent « d’inscrire une obligation légale pour les acteurs financiers à se conformer à une trajectoire contraignante de réduction de leur empreinte carbone et de sortie des énergies fossiles, sous peine de sanction financière ». Cette sortie doit passer, pour les ONG, « par l’arrêt échelonné de toutes les opérations liées aux énergies fossiles, le plus rapidement possible et programmé avec les travailleurs ses et habitants tes des bassins économiques concernés ».
Plusieurs amendements avaient été déposés en ce sens à l’occasion du passage de la loi Climat et résilience à l’Assemblée nationale. Aucun n’a pu être débattu. « Ils ont tous été jugés irrecevables par la majorité », regrette Lorette Philippot, qui y voit « une nouvelle occasion manquée, pour Emmanuel Macron, de devenir le “leader de la finance verte” qu’il prétend être ».
« L’État doit imposer les règles du jeu, estime dans le rapport Alexandre Poidatz, chargé de plaidoyer finance et climat chez Oxfam France. Seul l’État a les moyens de rompre cette dépendance toxique et d’éteindre les braises sur lesquelles soufflent les banques françaises. »