Les soignants ont manifesté à Paris : « Magnifique, on nous remercie avec des gaz ! »

- Paris, reportage
« Il faut du fric, du fric, du fric, pour l’hôpital public ! » ont chanté des dizaines de milliers de médecins, d’aides-soignants et d’infirmiers le mardi 16 juin. Après trois mois d’une crise sanitaire qui les a durement éprouvé, les personnels soignants manifestaient pour rappeler le gouvernement à ses promesses sur l’hôpital, en plein « Ségur de la santé ». Près de deux-cent-vingt rassemblement se sont tenus à travers la France, à l’appel d’une dizaine de syndicats et de collectifs soignants.
« On ne veut plus d’applaudissements, de louanges et de médailles, on veut des moyens pour sauver des vies ! » dit Morgane, 23 ans, dans le cortège parisien. Infirmière à Nantes, elle a quitté sa famille et rallié la capitale pendant la pandémie, pour prêter main forte au service réanimation de l’hôpital Thonon. « On était insuffisamment protégées, c’était n’importe quoi, raconte-t-elle. On disposait d’une seule surblouse par nuit, dont on usait de 19 heures à 7 heures du matin, alors qu’il aurait fallu en changer plusieurs fois, entre chaque patient. Le manque de moyens matériels a clairement mis nos vies en danger. »

Elle n’a jamais touché sa prime, pourtant promise par le gouvernement pour récompenser « l’incroyable dévouement de tout le personnel soignant » pendant la crise, selon les mots d’Édouard Philippe. Un an après avoir obtenu son diplôme d’infirmière, elle se dit déjà « fatiguée moralement et physiquement… On tire beaucoup sur la corde et on gagne trop peu d’argent ». Son salaire culmine à 1.495 euros par mois. Passé « un temps d’abattement » face à « un rythme de travail infernal », elle ressent désormais « de la colère » et « l’envie de se battre » pour pouvoir pratiquer son travail « plus dignement, dans l’intérêt des patients ».
Pour Jean-Christophe, infirmier au service cardiologie de l’hôpital Avicenne, « nos dirigeants ont dépecé le système de santé » : « La crise sanitaire a jeté une lumière crue sur l’agonie de l’hôpital public français : des effectifs pas à la hauteur, une nombre de lit insuffisant, des moyens matériels dérisoires. C’est le fruit d’années de politiques libérales. » Très concrètement, dit-il, « on nous demande de faire du chiffre, de réduire les durées moyennes de séjour à l’hôpital, plutôt que de prendre soin de nos patients. Mais nous ne sommes pas d’accord, nous ne voulons plus être complices de ce système. La santé ne se négocie pas. »

Devant le ministère de la Santé, avenue Duquesne à Paris, les soignants en blouses blanches étaient épaulés par des Gilets jaunes, des cheminots en gilets oranges, des militantes d’Attac et des Effronté.es en blouses bleues, des couturières de Bas les masques, ou encore des militants écologistes aux t-shirts verts. Assa Traoré, du comité justice et vérité pour Adama, était présente. Le cortège bariolé a donné de la voix : « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas, nous on est là, pour l’honneur des soignants, et l’honneur des patients, même si Macron ne veut pas, nous on est là ».
Dans le nuage de fumée provoqué par un fumigène, Stéphanie, aide-soignante à Paris, s’est dite « chiffonnée » : « Nous sommes trop peu nombreux… 10.000, à tout casser ? Si tous les citoyens qui nous avaient applaudi à 20 heures s’étaient donné la peine de demander plus de moyens, nous aurions pu construire un joli rapport de forces ». « Nous ne gagnerons pas de lits, de personnels et de services sans un sursaut citoyen, poursuit-elle. Notre santé, de celle de nos enfants, de nos parents en dépendent directement. La pandémie n’a pas suffi pour nous le démontrer ? Tout le monde s’en fout ? »
Le rassemblement a été suivi d’une marche en direction de l’Assemblée nationale et des Invalides. Teïssir Ghrab, membre d’Alternatiba, a manifesté aux côtés de Sylvie, infirmière à l’hôpital Saint-Louis. « L’hôpital est juste en face de La Base, notre QG des mobilisations sociales et climatiques, explique-t-elle. Depuis quelques semaines, nous leur avons ouvert grand nos portes, et nous les avons aidé à organiser un rassemblement devant l’hôpital. »

Pour elle, « la crise écologique et la crise du système de santé sont directement liés par la nécessité de changer de système » : « Le changement climatique, l’érosion de la biodiversité et nos modes de surconsommation multiplient les menaces pour la santé : les vagues de chaleur, la malbouffe, la pollution de l’air, les pandémies... La Covid-19 nous a démontré que l’hôpital public n’était pas prêt à faire face à des tensions accrues, à cause d’années de récession, de coupes budgétaires et de mépris des métiers "sociaux". Quand on dit qu’il faut changer le système, pas le climat, c’est aussi de ça qu’on parle. » Il est temps, dit-elle, « d’avancer ensemble, dans une intersectionnalité des luttes, pour bâtir une société du soin, plus écologique, sociale, anti-raciste ».
Aux alentours de 15 h 30, l’esplanade des Invalides a commencé à se remplir. Une partie du cortège a été réprimée sans distinction. Elle a été abondamment aspergée de gaz lacrymogènes et a essuyé les charges des forces de l’ordre. « Magnifique, on nous remercie avec des gaz ! » s’est exclamé Renaud, médecin, entre deux quintes de toux. Une soignante - au moins - a été arrêtée violemment, écrasée par au moins un CRS et a été blessée à la tête pendant son interpellation, tirée par les cheveux, alors qu’elle réclamait de la ventoline (voir la vidéo). Une journaliste de Line Press a par ailleurs été blessée aux jambes par des éclats de grenade.