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Loin du mondial au Qatar, une fédération défend un foot « engagé »

Accessible et engagée, la Fédération sportive et gymnique du travail permet de pratiquer un football où l’autogestion et la solidarité priment sur « le jeu de l’argent roi ».

Paris, reportage

« Allez les gars, on démarre ». Geraldo et Steve ont chaussé leurs crampons. Montées de genoux, talons-fesses, flexions, extensions. Ils foulent la pelouse synthétique du stade Louis Lumière, porte de Bagnolet (Paris). C’est là qu’ils s’entraînent, comme tous les mercredi, avec leur équipe de foot : « Melting passes ». Sa particularité ? Elle est composée de jeunes exilés, arrivés sur le territoire français sans leurs parents.

L’association est née en 2016 de l’impossibilité pour des jeunes isolés étrangers d’intégrer des clubs de foot « traditionnels ». En raison de leur situation administrative et de règlements trop restrictifs, la Fédération française de football (FFF) [1] les prive de la possibilité de jouer en compétition.

Ils ont donc opté pour un autre championnat : celui de la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), ouverte à tous types d’équipes et de joueurs, quelle que soit leur situation administrative ou leur nationalité.

En football, la FSGT promeut l’autogestion et des pratiques alternatives pour pouvoir continuer à jouer à tous les âges. © Nnoman / Reporterre

Depuis près d’un siècle, la FSGT propose un service public du sport populaire, inclusif et solidaire. Son histoire est indivisible de ces valeurs. Elle est née en 1934, de la fusion des deux grandes entités du sport travailliste : la Fédération sportive du travail (FST) et l’Union des sociétés gymniques et sportives du travail (l’USSGT).

« Devant les menaces fascistes et les dangers de guerre, les organisations sportives des travailleurs ne sauraient prolonger plus longtemps leur division », précisait leur charte d’unité.

Elle n’a, ensuite, plus cessé de relier le sport aux questions de société. Elle a milité dans le Front Populaire de 1936 — qui a introduit les congés payés —, dans la Résistance à l’occupant nazi — au sein du mouvement « Sport Libre » —, contre le colonialisme, l’Apartheid en Afrique du Sud ou l’armement nucléaire, et aux côtés du mouvement sportif palestinien.

Les locaux de la FSGT témoignent d’une longue histoire de solidarité internationale. © Nnoman / Reporterre

Dans le prolongement de ces combats, « nous militons aujourd’hui pour le droit au sport pour toutes et tous, dit Emmanuelle Bonnet Oulaldj, coprésidente de la FSGT. Le football, entre autres, est un puissant instrument d’émancipation, que ce soit pour les femmes, les ouvriers, les personnes trans, les jeunes des quartiers populaires ou des personnes en exil. »

Pour ce faire, « nous n’hésitons pas à combattre pour les conditions d’existence des populations, car nous considérons qu’il n’y a pas de sport pour tous dans une société qui n’est pas pour tous, ajoute-t-elle. Nombreuses sont les femmes et les hommes qui renoncent aux pratiques physiques et sportives pour des raisons économiques ou par exclusion liée à leur condition sociale ».

À Paris, la fédération permet à des jeunes exilés de pratiquer régulièrement le football en équipe. © Nnoman / Reporterre

Fin 2019, la fédération s’est ainsi positionnée contre la réforme des retraites, qui allait faire reculer l’âge de départ à taux plein, baisser le montant des pensions, et plonger nombre de femmes dans la précarité. Elle participe à des maraudes en soutien aux personnes migrantes à Briançon.

Pour les jeunes licenciés de Melting passes, l’aventure sportive et extra-sportive semble porter ses fruits. « Grâce au football, on laisse au vestiaire un quotidien fait de galères, d’hôtels miteux, de nuits à la rue, et de démarches administratives stressantes », explique Geraldo, qui porte le maillot rouge du Portugal.

Pour ces jeunes joueurs, la solidarité ne s’arrête pas aux démarcations du terrain. © Nnoman / Reporterre

Un peu en retrait, Silly, 17 ans, se familiarise avec sa nouvelle équipe. « Je suis arrivé de Mauritanie il y a deux semaines », dit-il timidement. « Au départ, on baisse la tête, on ne sait pas où se mettre, et puis peu à peu on se libère », le rassure Steeve, un peu plus âgé, qui assure avoir trouvé « une vraie famille » en cette équipe.

Certains membres de l’association — principalement des avocats les aidant dans leur démarche de régularisation — l’ont plusieurs fois hébergé quand sa seule option « c’était dormir dehors ».

« Il n’y a pas de sport pour tous dans une société qui n’est pas pour tous » © Nnoman / Reporterre

Léo de Longuerue, coach de Melting passes, se dit ravi d’évoluer au sein de la FSGT. « En plus d’être une "fédé" engagée, ses championnats ne sont pas au rabais, assure-t-il. Ça permet aux jeunes de vraiment se défouler, de progresser face à des adversaires coriaces. »

La fédération compte près de 270 000 pratiquants à qui elle propose une centaine d’activités sportives, avec ou sans compétition. Les tarifs, pour une licence omnisports d’un an : à peine 33,92 € par adulte, 27,47 € entre 13 et 17 ans, 17,58 € pour les plus jeunes enfants. À la Fédération française de football, il faut compter près de 100 € de plus pour un adulte.

Outre le jeu classique, la FSGT propose également des parties à 7 sur demi-terrain. © Nnoman / Reporterre

Afin d’encourager l’autonomie des pratiquants et de leur permettre de faire du sport toute leur vie, la FSGT développe par ailleurs des pratiques créatives. En football, elle promeut par exemple du football à 7 — disputé sur une moitié de terrain —, des championnats en mixité ou encore du Walking football, de plus en plus populaire auprès des plus de 50 ans. Elle a introduit le carton blanc, qui entraîne une sortie temporaire de 5 minutes en cas de faute.

Elle propose, aussi, l’autoarbitrage. « Arbitrer ensemble change complètement l’état d’esprit dans lequel on se lance dans un match avec nos adversaires, explique Léo Maous, attaquant à l’AS Pintes de Frappe, qui sévit en foot à 7 en Île-de-France. Parfois, on se frite un peu, il y a des désaccords, mais globalement nous sommes deux équipes partenaires de jeu. »

« En plus d’être une « fédé » engagée, ses championnats ne sont pas au rabais », défend l’entraîneur Léo de Longuerue. © Nnoman / Reporterre

Pour Emmanuelle Bonnet Oulaldj, le tissu associatif doit favoriser l’autogestion : « Elle représente une forme de réponse face aux crises qui se présentent : du dérèglement climatique, des prix de l’énergie, du pouvoir d’achat. Il est essentiel de créer des espaces de solidarité, de lien social, car les inégalités vont augmenter. »

Nicolas Kssis-Martov, journaliste à So Foot et à la revue de la FSGT, remarque un attachement grandissant à « l’esprit FSGT » : « C’est le punk et le hip-hop du sport. Le punk pour son coté politique subversif contestataire, et le hip-hop car on prend des éléments ailleurs et on les sample. Chez nous, des équipes détournent des noms de grands clubs : le Bayern de Monique (en référence au club allemand Bayern de Munich), ou le Bayer Leverculsec (Bayer 04 Leverkusen). »

« D’autres, comme l’AS Pintes de Frappe, poursuit-il, se moquent des terrains pourris, de l’éclairage, de leurs propres résultats… » « Un niveau plus bas que nous, c’est pas possible, se marre Léo Maous. Mais au fond, on s’en fiche, on a plaisir à se retrouver et à rencontrer tous types de joueurs, de tous milieux sociaux, des assos LGBT, des potes, des collègues… »

Geraldo et Steve s’entraînent tous les mercredis sur ce terrain parisien. © Nnoman / Reporterre

Ancré dans les défis de l’époque, la FSGT a publié un communiqué contre la coupe du Monde au Qatar, qui se tiendra du 20 novembre au 18 décembre 2022. « Après la Russie en 2018 et avant l’édition de 2026 reliant Canada, États-Unis et Mexique tout aussi désastreuse sur le plan écologique, la FIFA fait une fois encore le jeu de l’argent roi, a-t-elle dénoncé. Au-delà de cette édition de 2022, c’est tout un modèle qui est à revoir ! »

« Cette coupe du monde montre que le sport ne porte pas de valeur positive intrinsèque », observe Emmanuelle Bonnet Oulaldj. À mille lieues des stades climatisés, des ouvriers morts sur les chantiers, des atteintes aux droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, elle veut rappeler qu’« un autre football, plus populaire, est possible ». Et à la FSGT, « il existe déjà ».



Notre reportage en images :


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