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Énergie

Macron renvoie la baisse du nucléaire à ses successeurs

Dévoilée mardi 27 novembre, la programmation pluriannuelle de l’énergie prévoit la fermeture de quatorze réacteurs d’ici 2035. Actant, en creux, le prolongement du parc au-delà des quarante ans. Des annonces ont été faites sur les énergies renouvelables mais les économies d’énergie restent quasiment absentes.

Tout ça pour ça. Attendu depuis plus de cinq mois, le projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), dévoilé mardi 27 novembre par le président de la République Emmanuel Macron, le Premier ministre Edouard Philippe et le ministre de la Transition écologique et solidaire François de Rugy, a suscité plus de déception que d’enthousiasme.

Notamment parce que cette feuille de route censée piloter la politique énergétique de la France sur les périodes 2019-2023 et 2024-2028, pour atteindre les objectifs de la loi sur la transition énergétique (LTE) de 2015 [1], repousse aux prochains quinquennats des mesures importantes – comme une politique ambitieuse d’économies d’énergie, ou la fermeture de nouveaux réacteurs, outre ceux de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin).

Mardi soir, les journalistes n’avaient reçu qu’un dossier de presse assez succinct. La première version de la PPE devrait leur être fournie dans les prochains jours. Ensuite, elle sera soumise à l’avis de plusieurs organismes, notamment l’Autorité environnementale, qui dispose d’un délai de trois mois pour livrer ses commentaires. Le décret définitif devrait être livré au deuxième semestre 2019, vraisemblablement au début de l’été. En attendant, Reporterre vous en livre les grandes lignes.

Une occasion manquée de fermer des réacteurs

M. Macron a confirmé le report à 2035 de l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, contre un peu plus de 70 % à ce jour. La LTE, qui fixait cet objectif à 2025, sera modifiée dans les semaines ou les mois à venir, indique-t-on au ministère de la Transition écologique.

Concrètement, quatorze réacteurs devraient être mis à l’arrêt d’ici 2035. En premier lieu, les deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim devraient être débranchés à l’été 2020. Rien d’autre pendant le quinquennat de M. Macron. Ensuite, deux réacteurs seront arrêtés « en 2027-2028 », a annoncé le président de la République. Deux autres fermetures pourraient éventuellement avoir lieu en 2025-2026, « si la sécurité d’approvisionnement est assurée » et « si nos voisins européens accélèrent leur transition énergétique », notamment en réduisant le poids du charbon et en développant les renouvelables. Les autres fermetures devraient elles débuter « à partir de 2029 ». Ce faisant, M. Macron tranche entre les vœux du ministre de M. de Rugy – et de son prédécesseur Nicolas Hulot –, qui voulaient six arrêts supplémentaires d’ici 2028, et Bercy, qui voulait repousser les fermetures à l’après 2029, tout comme EDF.

L’électricien a été chargé d’établir la liste des réacteurs de 900 mégawatts les plus anciens qu’il concède à fermer, dans les centrales du Tricastin (Drôme et Vaucluse), Bugey (Ain), Gravelines (Nord), Dampierre (Loiret), Blayais (Gironde), Cruas (Ardèche), Chinon (Indre-et-Loire) et Saint-Laurent (Loir-et-Cher). Par contre, le président de la République a exclu la fermeture d’un site nucléaire dans son intégralité : « Fermer des réacteurs n’est pas renoncer au nucléaire, a-t-il dit dans son discours. Je n’ai pas été élu sur une sortie du nucléaire mais sur une réduction de sa part à 50 % du mix électrique. » Avant de louer une « énergie décarbonée et à bas coût », et de juger que « l’essor des énergies renouvelables [n’était] pas lié à la fermeture de réacteurs » et qu’il « était faux de dire que le nucléaire pourrait être remplacé par les énergies renouvelables, ces dernières étant intermittentes. » Autant de mythes colportés au sujet de l’atome et des énergies renouvelables, dénoncés de longue date par les écologistes.

Ecolos et ONG n’ont d’ailleurs pas tardé à réagir : « Emmanuel Macron continue dans la politique des grands discours et des tous petits pas. Il nous enferme dans un nucléaire en faillite. On n’éteint pas la colère avec des belles paroles sans actes de justice sociale. On ne prépare pas l’avenir avec les énergies du vieux monde », s’est insurgé Yannick Jadot, leader d’EELV, sur Twitter.

« En repoussant l’échéance pour réduire la part du nucléaire à 50 % dans le mix électrique à 2035, en refusant de fermer dès ce quinquennat des réacteurs (outre ceux de Fessenheim) et en repoussant les premières fermetures à l’après 2025, la PPE acte – en creux – la prolongation de très nombreux réacteurs au-delà de 40, voire 50 ans, s’est alarmé Greenpeace dans un communiqué. C’est aussi occulter la question de la faisabilité technique et économique d’un tel programme de prolongation qui coûtera au minimum 100 milliards d’euros selon la Cour de Comptes, alors qu’EDF est déjà lourdement endetté. C’est faire fi de l’augmentation du risque pour les populations lié au vieillissement des réacteurs ainsi que de la production de gros volumes de déchets nucléaires hautement radioactifs dont le stockage pose déjà problème. »

En revanche, le président de la République a reporté à 2021 la décision de lancer la construction de nouveaux EPR : « Je demande à EDF de travailler à l’élaboration d’un programme de ’’nouveau nucléaire’’ en prenant des engagements fermes sur le prix, pour qu’ils soient plus compétitifs. Tout doit être prêt en 2021 pour que le choix qui sera proposé aux Français puisse être un choix transparent et éclairé. » Pour rappel, la construction en cours d’un EPR à Flamanville (Manche) accuse un retard de sept ans et un dérapage de coûts de plus de 7 milliards d’euros.

Enfin, le gouvernement a demandé à EDF de faire des propositions pour sa restructuration, tout en exprimant son souhait qu’il reste « un groupe intégré ». M. Macron a aussi annoncé en passant que le gouvernement travaillait à la révision du mécanisme appelé Arenh (pour « Accès régulé à l’électricité nucléaire historique »), jugé défavorable pour EDF puisqu’il l’oblige à vendre à prix fixe l’électricité du parc nucléaire à ses concurrents. « On ne va pas entrer dans les détails techniques, ce n’est pas très grand public », a balayé M. de Rugy, alors qu’un journaliste demandait des précisions à ce sujet.

Un soutien accru aux énergies renouvelables

Le soutien au développement des énergies renouvelables va de son côté passer de 5 milliards actuellement « à 7 à 8 milliards d’euros par an », a annoncé M. Macron. Il a ainsi évoqué un triplement de l’éolien terrestre et une multiplication par cinq du photovoltaïque d’ici 2030. Concernant l’éolien en mer, le premier parc sera mis en service au large de Saint-Nazaire durant le quinquennat « et nous lancerons quatre nouveaux appels d’offres ».

La voiture électrique pour réduire la dépendance aux énergies fossiles

Le gouvernement a annoncé un objectif de réduction de 40 % de la consommation d’énergies fossiles d’ici 2040. « C’est un objectif plus fort que celui inscrit dans la dernière PPE, qui était de 30 % », a souligné M. de Rugy.

Pour ce faire, une série de mesures ont été annoncées :
-  la fermeture des quatre centrales à charbon encore en activité d’ici 2022 ;
-  la fin de la vente des véhicules neufs émettant des gaz à effet de serre d’ici 2040. D’ici là, le gouvernement a annoncé une baisse des émissions de CO2 des voitures : elles ne devraient plus émettre que 95 grammes de CO2 par kilomètre parcouru en 2021, conformément à l’objectif européen, puis 60 grammes de CO2 par kilomètre parcouru d’ici 2030.
-  la mise en circulation d’un parc de 4,8 millions de véhicules électriques d’ici 2028, pourtant pointés comme peu écolos jusque chez l’Ademe ;
-  le maintien de la prime à la conversion pour l’achat d’un véhicule moins polluant, entrée en vigueur le 1er janvier dernier.

Économies d’énergie : toujours négligées

Les deux secteurs les plus gros consommateurs d’énergie sont les transports et le résidentiel tertiaire (logement des ménages et activités de services). Un des leviers pour réduire rapidement la consommation énergétique aurait été d’accélérer le plan de rénovation des 27 millions de logements mal isolés en France, parmi lesquelles 7,5 millions de passoires énergétiques. Las, la PPE se contente surtout de rappeler un certain nombre d’aides déjà annoncées dans le cadre du plan climat, comme le crédit d’impôt pour la rénovation énergétique (Cite) bientôt transformée en prime. A noter que l’enveloppe dédiée au Cite a été divisée par deux dans le projet de loi de finances 2019. Par ailleurs, la PPE ne prévoit pas de réintégrer le remplacement des fenêtres dans ce dispositif.

Le gouvernement prévoit de se concentrer sur le remplacement des chauffages au fioul d’ici dix ans. Pour ce faire, la PPE prévoit l’élargissement du Cite à la main-d’œuvre pour l’installation de systèmes de chaleur renouvelable ainsi qu’à la dépose des cuves à fioul, ainsi qu’une prime à la conversion de 3.000 euros pour les ménages modestes, 2.000 euros pour les autres.

La justice sociale, grande absente de la PPE

La PPE a été dévoilée dans le contexte troublé du mouvement des gilets jaunes, qui protestent contre la hausse de la fiscalité écologique sur le carburant. En réaction, M. Macron a annoncé que les taxes sur le carburant pourraient être suspendues en cas de forte fluctuation du prix du baril, ainsi qu’une « grande concertation de terrain sur la transition écologique et sociale », rassemblant associations, élus et « représentants des gilets jaunes », pour, « dans les trois mois qui viennent », élaborer des « solutions », des « méthodes d’accompagnement ». Rien de concret, donc, et pas un mot sur l’injustice fiscale.

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