Marche contre les violences policières : une convergence « historique »

La préfecture a annoncé des poursuites contre Assa Traoré, désignée comme « organisatrice » du rassemblement du 8 juillet interdit. - © Jérémy Paoloni / Reporterre
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Luttes Écologie et quartiers populairesMalgré l’interdiction de la préfecture, plus de 2 000 personnes ont marché le 8 juillet à Paris, en hommage aux victimes de violences policières. Une mobilisation unitaire, qui s’est notamment terminée par des poursuites contre Assa Traoré.
Paris, reportage
« Ils ne veulent pas entendre le nom de nos morts. Mais nous avons le dernier mot. » Assa Traoré se tient sur un banc devant la foule compacte, encerclée par les forces de police sur la place de la République. Une conférence de presse a été improvisée par les signataires de l’appel unitaire « Notre pays est en deuil et en colère ». Une question surgit du pool de journalistes : « Est-ce que vous appelez au calme ? ». « Est-ce que nous avons déjà appelé à la violence ? » rétorque Assa Traoré.
Pour la première fois en sept ans, la marche commémorative pour Adama Traoré, mort en 2016 à la suite d’une interpellation, a été interdite par la préfecture « dans le contexte des émeutes » qui ont suivi le décès de Nahel, tué par un policier à Nanterre le 27 juin dernier. « Ils ont dit à la jeunesse d’arrêter les révoltes du soir, réagit Assa Traoré. Mais quand on appelle cette jeunesse à venir marcher à Beaumont [Val-d’Oise] pour dénoncer l’impunité et les violences policières, on nous l’interdit. »

« Combien ont été à la place de Nahel sans qu’il n’y ait d’image ? »
À la suite des prises de parole, le cordon policier est brisé par la foule et la marche s’élance sur le boulevard Magenta. Dans le calme, les manifestants entonnent des slogans : « Justice pour Adama », « Justice pour Nahel », « Pas de justice, pas de paix ». Des membres de comités demandant justice pour des victimes de violences policières arborent des t-shirts en mémoire de jeunes des quartiers décédés « entre les mains de la police ».

« On en est au point où quand nos jeunes sortent dehors, on leur dit de faire attention à la police », décrit Toutée, habitante de Sarcelles. Sur son t-shirt, il est inscrit « Justice pour Ibo » et sur sa pancarte « On veut les vidéos ». « Ibrahima Bah a été percuté par un fourgon de police le 6 octobre 2019, sous l’œil de trois caméras de surveillance. Mais nous n’avons jamais eu accès aux images », raconte l’éducatrice spécialisée à Saint-Denis. Comme beaucoup d’autres, la maman d’un adolescent de 16 ans s’inquiète : « Ça aurait pu être mon fils. »
Il y a les morts qui marquent les esprits, mais aussi la violence « du quotidien », dénonce Yasmine, habitante d’Argenteuil. Professeure dans un collège, elle entend régulièrement ses élèves lui décrire « des interpellations musclées, des propos racistes et des humiliations ». « La question est : combien ont été à la place de Nahel sans qu’il n’y ait d’image ? » conclut-elle.
En amont de la marche, Yasmine a reçu une amende pour le port du t-shirt « Justice et Vérité pour Adama », considéré comme un « signe distinctif » de sa participation à une manifestation interdite. « Alors qu’ils ont laissé passer une collègue manifestante blanche de peau en lui demandant simplement d’aller se changer dans les toilettes les plus proches. Moi on ne m’a pas laissé cette opportunité », soupire-t-elle.

« Un tournant historique »
Dans le cortège, aux côtés de militants des quartiers populaires, se tiennent des élus d’Europe-Écologie-Les Verts (EELV) et de La France insoumise (LFI), des syndicalistes de Solidaires et de la CGT ou encore des membres d’Attac… Des activistes d’Extinction Rebellion (XR) se sont aussi joints au rassemblement. « La manifestation à Beaumont est une occasion manquée, regrette l’un d’eux. L’État en l’interdisant a voulu nous empêcher de montrer que des Parisiens pouvaient venir manifester en soutien contre les violences policières dans les quartiers. »

Les jeunes qui ont participé aux révoltes nocturnes n’ont pas été nombreux à rejoindre la marche parisienne. « Après cinq jours de révoltes très importantes et d’une répression sans précédent, avec de nombreuses comparutions immédiates, on savait que les jeunes des quartiers populaires n’allaient pas venir massivement », explique Youcef Brakni, membre du comité La Vérité pour Adama.
Cette manifestation n’en reste pas moins « une victoire » et la convergence des mouvements « un tournant historique » pour Youcef Brakni : « Ça n’était jamais arrivé que la gauche se solidarise avec les révoltes des quartiers populaires, autour de revendications pour mettre fin au racisme systémique, dont les violences policières sont la partie la plus visible. »
En France, des marches citoyennes contre les violences policières ont également eu lieu à Nantes, Strasbourg, Dijon, Bordeaux, Vénissieux ou Marseille. Elles auraient rassemblé au moins 5 900 personnes dans le pays, selon les chiffres du ministère de l’intérieur.
À Paris, la marche s’est terminée par l’interpellation de deux membres du comité Adama, dont un frère Traoré, Yssoufou, plaqué au sol par des policiers de la Brav-M. La préfecture a également annoncé des poursuites contre Assa Traoré, désignée comme « organisatrice » du rassemblement parisien interdit. Une enquête administrative a également été ouverte après des violences commises par des policiers sur plusieurs journalistes. Un prochain rendez-vous est malgré tout annoncé le 15 juillet, pour une marche au départ de place de la République, à l’appel de la Coordination nationale contre les violences policières.