Après la mort de Nahel, « l’urgence de bâtir une écologie antiraciste »

En haut, de g. à d. : Léna Lazare, Camille Étienne, Youlie Yamamoto et Steven Arfeuille. - © Montage Reporterre
En haut, de g. à d. : Léna Lazare, Camille Étienne, Youlie Yamamoto et Steven Arfeuille. - © Montage Reporterre
Durée de lecture : 7 minutes
Luttes Écologie et quartiers populairesLéna Lazare des Soulèvements de la Terre, Steven Arfeuille d’Alternatiba, Camille Étienne... Après la mort de Nahel, des militants écologistes rappellent pourquoi l’écologie doit s’emparer de la question des violences policières.
Le 27 juin dernier, un adolescent de 17 ans est mort à Nanterre (Hauts-de-Seine), tué par un policier au cours d’un contrôle routier. Ce drame étire la liste déjà longue des homicides commis par la police suite à un refus d’obtempérer. Depuis, plusieurs militants écologistes ont pris part aux rassemblements demandant justice pour Nahel.
« On ne peut pas mener un projet écologiste sans mener en même temps un projet antiraciste, anticolonial et internationaliste », estimait la politologue Fatima Ouassak dans Reporterre, quelques jours après la mort de Nahel. Six autres figures et activistes du mouvement climat réagissent à leur tour, et expliquent la manière dont l’écologie doit s’emparer de la question des violences policières.
• Léna Lazare : « Les quartiers populaires ont toujours été les laboratoires de la répression »

« Au sein des Soulèvements de la Terre, nous avons subi une répression glaçante à Sainte-Soline et une dissolution administrative.
Les quartiers populaires ont toujours été les laboratoires de la répression, par exemple avec les premiers tests de LBD lors des émeutes de 2005. L’élargissement des procédures de dissolution qui permet aujourd’hui la dissolution de notre mouvement est fondé sur la loi Séparatisme, profondément raciste et islamophobe. Nous sommes toutes et tous liés à ce qu’il se passe actuellement dans les quartiers populaires.
Comme après Sainte-Soline, l’État dénonce principalement la violence des manifestant
es. N’oublions jamais que la violence qui s’exprime dans la rue n’est que la réaction à une violence systémique d’État. Cela fait des années que la police terrorise, mutile, tue. Que les inégalités sociales s’aggravent, que le gouvernement mène une politique qui broie le vivant et nous dirige vers une planète inhabitable. C’est cette violence systémique qui est bien plus importante, bien plus grave. Face à elle, nous n’avons d’autre choix que de nous soulever. »• Camille Étienne : « Un impératif vital de se soulever davantage »

« L’exécution de Nahel est le symbole de l’inégalité des vies, de leur exposition inégale aux violences de l’appareil de l’État, aux discriminations, à la mort. Il n’y a aucun doute que si, moi, j’avais refusé d’obtempérer, je n’aurais pas reçu de balle dans la tempe.
Cette exécution et la demande de justice qui l’accompagne appellent une réponse politique, à commencer par une réforme structurelle de la police, en abrogeant la loi de 2017 sur l’usage des armes à feu par les policiers. Et de notre côté, en tant qu’écologistes, il faut faire de ce macabre rappel de la puissance mortifère de l’État — qui détruit les corps racisés quand son racisme s’exprime, comme il détruit le corps social quand la révolte s’élève — un impératif vital de se soulever davantage. »
• Steven Arfeuille : « L’urgence de bâtir une écologie antiraciste et antifasciste »

« L’assassinat de Nahel est un drame de plus qui s’inscrit dans un système raciste, créé par la classe dominante et qui tend vers l’autoritarisme. Nous n’avons pas oublié Alhoussein, Lamine ou Zyed et Bouna. Les habitants des quartiers populaires combattent ces rapports de domination depuis longtemps. Ce système, qui s’acharne à concentrer les pouvoirs et les richesses, écrasant les pauvres et les racisé es, doit tomber.
C’est pourquoi, en tant que mouvement écologiste, nous devons nous tenir aux côtés de celles et de ceux qui subissent ces violences. En 2020, nous répondions à l’appel du Comité Adama et portions ce cri commun : « Génération climat, Genération Adama, On veut respirer. » Aujourd’hui, nous réaffirmons l’urgence de bâtir une écologie antiraciste et antifasciste qui combat toutes les formes d’oppression et d’exploitation du vivant. Une démission ne suffira pas. Ce dont on a besoin, c’est d’une modification en profondeur de l’institution policière et du modèle de société qu’elle protège. »
• Teïssir Ghrab : « Nous nous battons tous pour un seul droit, qui a été arraché à Nahel : celui de vivre »

« Nous nous battons tous pour un seul et même droit, qui a été arraché à Nahel : celui de vivre. Toutes les luttes, qu’elles soient écologiques, sociales ou antiracistes, ont la même revendication : le droit de vivre, de vivre dignement.
La mort du jeune Nahel n’est pas anecdotique, elle s’inscrit dans la continuité de l’histoire coloniale française qui déshumanise et exploite les personnes racisées. Cette machine capitaliste, productiviste et paternaliste exploite les corps et les ressources naturelles. Pendant des décennies, sa stratégie pour exploiter au mieux était de faire peur, de réduire au silence et de nous déshumaniser aux yeux de ceux qui servent ce système.
Ce système nous tue, radicalement à bout portant pour un simple contrôle, et à petit feu, dans les quartiers où l’air est devenu irrespirable. Les non-colonisés ne comprennent pas la mémoire traumatique que notre génération subit. Quand l’un des nôtres meurt de la main des mêmes institutions qui ont jeté nos ancêtres dans la Seine, ils s’attendent à ce qu’on se taise.
Le silence, c’est fini. L’histoire se répète, mais notre génération a décidé de ne plus se laisser faire. »
• Youlie Yamamoto : « Une convergence des justices »

« L’appel à la justice pour Nahel lors du rassemblement des Soulèvements de la Terre s’est présenté comme une évidence qui n’existait pas il y a quelques années. Une convergence des justices qui semble avoir franchi un seuil après de multiples tentatives d’alliance entre les mouvements des quartiers populaires, sociaux et écologistes. La stigmatisation est le catalyseur commun : écototalitarisme, fraude aux aides sociales, menaces des valeurs de la République… C’est elle qui permet le déferlement de la répression politique et policière de l’exécutif de Macron, comme le racisme structurel délivre un permis de tuer dans les quartiers.
Les révoltes en cours arrivent juste après une succession de répressions du mouvement contre la réforme des retraites, de Sainte-Soline, des activistes écologistes, des libertés associatives et publiques. Cet enchaînement appelle l’ensemble des forces progressistes à une réaction commune qui pourrait prendre la forme : d’un soutien effectif (du juridique au soin), d’une création de cadres à la convergence réelle, des revendications et actions concrètes. Ce sont les conditions préalables pour qu’un front de transformation profonde de la société arrive. »
Pierre (Saccage 2024) : « La lutte pour l’écologie est aussi une lutte pour mieux vivre dans nos quartiers »

« On ne peut pas avoir d’écologie si on peut se faire tirer dessus à bout portant. Notre lutte pour l’écologie est aussi une lutte pour mieux vivre dans nos quartiers. L’écologie, c’est global. Ça inclut d’avoir des arbres, mais aussi de ne pas avoir un loyer à 2 000 euros, de ne pas avoir de policiers qui vous tirent dessus à un contrôle routier parce que vous êtes noir ou arabe.
J’ai très peur de la répression qui s’intensifie. Nous sommes face à un tournant sécuritaire global qui s’accélère, notamment à cause des Jeux olympiques. Gérald Darmanin a lancé, l’année dernière, un plan « zéro délinquance JO ». Il prévoit de mettre des policiers dans les transports pour que Paris soit une vitrine bien propre. La seule réponse de l’État, sur toutes les questions sociales, c’est la violence. »