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Mon bio sapin, roi des forêts d’Ariège

En Ariège, la famille Vuillier cultive des sapins biologiques sans produit phytosanitaire. Un secteur qui reste marginal : il ne représente que 1 % du marché du sapin de Noël. Reportage en photos.

Montjoie-en-Couserans (Ariège), reportage

Le sapin, roi des forêts et, surtout, des fêtes de Noël. À cette époque de l’année, le conifère le plus célèbre de notre culture se retrouve dans les foyers, les magasins, sur les places des villes. En 2019, près de 5,8 millions de sapins ont été coupés et vendus pour les fêtes de fin d’année, selon le ministère de l’Agriculture.

Malgré sa popularité, il n’échappe plus au questionnement écologique : d’où vient-il ? Quelles conséquences sa culture a-t-elle sur l’environnement ? À raison : bien souvent issus de plantations, les sapins vivent sous perfusion d’engrais et aspergés de produits phytosanitaires. Quant à la production de sapin bio, elle reste confidentielle : elle représente 1 % du marché du sapin de Noël, soit entre 50 000 et 55 000 sapins vendus chaque année.

Les sapins biologiques de la famille Vuillier. ©Thomas Baron/Reporterre

Au sein de la propriété familiale agricole de Belloc, dans la commune de Montjoie-en-Couserans, au pied des Pyrénées ariégeoises, la famille Vuillier cultive des sapins biologiques depuis une trentaine d’années. Michel, à l’origine du projet et de l’exploitation, est issu de quatorze générations d’agriculteurs travaillant sur ces terres.

« C’est au début des années 1990 que j’ai commencé à produire des sapins, raconte Michel. J’étais déjà producteur bio (grande culture, autonome sur semi jusqu’à la récolte des céréales, s’adressant essentiellement aux éleveurs), c’est donc naturellement que j’ai commencé cette nouvelle activité sans utiliser de produit phytosanitaire. J’avais envie de sortir de la PAC (Politique agricole commune), les sapins m’ont permis de le faire.
Compte tenu du temps de maturation de ces arbres, je n’ai vraiment commencé à développer France sapin bio qu’au début des années 2000, en travaillant avec des collectivités. Et c’est en 2007 que la culture de sapins biologiques a décollé, après qu’Airbus m’a commandé un sapin de 18 mètres de haut pour le premier Noël de l’A380, en 2006. »

Aujourd’hui, il fait prospérer une des plus grandes exploitations de sapin bio du sud de la France, soit près de 450 000 arbres sur une cinquantaine d’hectares. Tous les plants proviennent de France et sont cultivés de manière naturelle. Aucun produit chimique n’est utilisé pour ces cultures.

© Thomas Baron/Reporterre

Aucun traitement phytosanitaire

Dans son exploitation, la famille Vuillier se consacre à deux essences de sapin, le Nordmann (80 % des ventes) et l’épicéa (20 % des ventes). Le premier est cultivé pour son port dense et majestueux. Ses aiguilles tiennent longtemps et ne piquent quasiment pas. Traditionnellement, c’est l’épicéa qui trouvait sa place au sein des foyers, avec son odeur de citronnelle et de résine et son port équilibré de la base à la cime.

L’entretien des sapins se fait au rythme des saisons. Au printemps, ils sont taillés à la main par des saisonniers, à la manière du vigneron qui entretient sa vigne. Ils leur donnent une forme conique et les font respirer pour qu’ils soient prêts pour les fêtes. Tout au long de l’année, les parcelles exploitées sont débroussaillées à la main ou avec des animaux, comme certaines races de mouton qui ne se nourrissent pas de sapins. Le traitement des nuisibles, comme les pucerons, est réalisé avec des lâchers de coccinelles. Ces techniques permettent d’éviter tout traitement phytosanitaire, alors qu’en agriculture conventionnelle certains arbres peuvent recevoir de nombreux traitements chimiques avant d’être coupés.

Sapin de l’exploitation de la famille Vuillier. © Thomas Baron/Reporterre

Au début du mois de décembre, les coupes commencent. Les arbres sont taillés à environ 20 centimètres du sol, en veillant à laisser quelques branches afin que le pied puisse repartir. Avec un entretien régulier, et la sélection de la plus belle branche, sur ce même pied repoussera un nouveau sapin quelques années après.

© Thomas Baron/Reporterre

Il faut huit à dix ans de culture pour avoir un sapin prêt à être coupé pour trôner dans les maisons. Pour assurer la continuité de l’exploitation, des arbres sont conservés plus d’une vingtaine d’années pour produire des semences. Leurs « cônes » sont récoltés au début de l’automne.

La famille s’entoure d’une équipe de jeunes saisonniers. © Thomas Baron/Reporterre

Made in France

Michel est aidé par sa famille tout au long de l’année. Sa compagne, Laurence, gère l’intendance et développe un certain nombre de produits dérivés. Depuis quelques années, ils proposent des huiles essentielles, du sinaigre (du vinaigre de sapin), une eau florale ou encore un sirop de sapin. Ses enfants, maintenant grands, l’ont aidé à moderniser ses processus de production. Un de ses fils, ingénieur, a dessiné et construit une remorque de tracteur avec une mâchoire permettant de fagoter les sapins après la coupe sans les abîmer.

La mâchoire du tracteur permet de fagoter les sapins après la coupe sans les abîmer. © Thomas Baron/Reporterre

La famille s’entoure d’une équipe de jeunes saisonniers pour l’aider à préparer les milliers de sapins qui seront vendus à travers tout le pays. Les sourires sont de rigueur entre la mi-novembre et la mi-décembre, malgré le mois de travail soutenu, que ce soit sous les tièdes rayons du soleil ou les trombes d’eau d’une pluie d’hiver. « Malgré des jours parfois très humides, comme en ce mois de décembre 2021, raconte Michel, tous les jeunes gardent le sourire et sont contents de se retrouver. Nous partageons de nombreux moments ensemble, que ce soit entre les sapins, ou lors de nos déjeuners, ce qui crée une véritable dynamique. » D’autant que tout le monde est logé sur la propriété, dans un grand gite que Laurence Vuillier a rénové au fil des années. « Cette année, nous avons même fait appel à une cuisinière, qui adapte les repas aux besoins des saisonniers qui aiment se retrouver chaque soir. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils reviennent chaque hiver. »

© Thomas Baron/Reporterre

Avec les années, un réseau d’exploitants bio s’est développé dans la région. En tant que pionnier, Michel les accompagne dans le développement de leurs forêts de conifères bio, en assurant aussi l’achat d’une partie de leur production à prix constant. Soutenue par la chambre d’agriculture, cette filière assure la distribution de plus de 30 000 sapins bio et made in France chaque fin d’année. Cette fin d’année 2021, Michel constate tout de même une nette baisse des commandes et espère vendre environ 15 000 sapins. Bien que le volume soit inférieur, Michel travaille moins avec les grosses centrales, et se concentre plus sur les demandes des associations et des entreprises, ce qui lui permet de réaliser son chiffre d’affaires.

Depuis quelques années, la propriété familiale agricole de Belloc propose au grand public de venir choisir son sapin directement sur la propriété, au cours d’une grande journée de fête début décembre.


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