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Plogoff contre le nucléaire : « Nul n’avait parié sur notre victoire »

Près de 50 ans après le début de la mobilisation contre la centrale nucléaire de Plogoff, huit militants de l’époque racontent leur participation à ce combat victorieux.

Plogoff (Finistère), reportage

La victoire de Plogoff, racontée par celles et ceux qui l’ont vécue. De 1974 à 1981, la population de la pointe du Finistère a lutté contre un projet de centrale nucléaire qui devait être construite sur cette petite commune. Elle obtint gain de cause le 12 décembre 1981. Près de quarante-deux ans plus tard, huit de celles et ceux qui se sont engagés reviennent sur leur combat.

© Louise Allain / Reporterre


  • Jean Moalic, 70 ans, Mahalon

    Jean Moalic. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

« J’ai été très tôt sensible à la protection de la nature. Fin 1974, quand on a ouï dire du projet de centrale, on a créé le Comité régional d’information nucléaire (Crin) du Cap-Sizun. L’année suivante, on a lancé l’association Evit Buhez Ar C’hap (Pour la vie dans le Cap), avant la naissance du comité de défense Plogoff, en 1976.

En 1978, quand la ville a été retenue pour installer la centrale [d’autres communes avaient été pressenties], la mobilisation a pris une autre ampleur, des comités locaux ont été créés partout dans la région. Du 31 janvier au 14 mars 1980 a eu lieu l’enquête d’utilité publique — la veille du lancement de l’enquête, le maire de Plogoff avait brûlé les dossiers devant la mairie !

Cela a été le début des “messes de cinq heures” : chaque jour, à 17 h, les gardes mobiles qui surveillaient les camions où se déroulait l’enquête publique [appelés les mairies annexes] quittaient leur position. Cela donnait lieu à des manifestations et à des heurts entre les policiers et les manifestants. Le 29 février reste pour nous le “vendredi noir” : des gendarmes parachutistes avaient arrêté une quinzaine de personnes. Pour les soutenir, des militants étaient venus au tribunal avec des lance-pierres autour du cou !

Sur le site de Feunteun Aod, tous les pitons rocheux devaient être dynamités pour préparer l’installation de la centrale. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

Fin 1980, le décret d’utilité publique du projet a été pris. On a alors misé sur la présidentielle de 1981, et on s’est mis à faire de la politique ! On avait aussi des liens avec le volcanologue Haroun Tazieff, qui était opposé au nucléaire civil. Or, il soutenait la candidature de Mitterrand… qui a annoncé qu’il n’y aurait pas de centrale à Plogoff s’il était élu. Ce fut le cas, mais, hélas, il a poursuivi par ailleurs son programme nucléaire.

Après cette période, j’ai fait un burn-out. Mais je continue aujourd’hui à militer au travers de l’association Plogoff, mémoire d’une lutte. Je retiens aussi que nul n’avait parié sur notre victoire à Plogoff. Cela donne espoir, même si la criminalisation des mouvements écologistes aujourd’hui est effrayante. »


  • Arlette Le Corre, 69 ans, Plogoff

    Arlette Le Corre, fille de marin, femme de marin. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

« Les femmes ont eu un rôle très important : à Plogoff, beaucoup d’hommes étaient marins-pêcheurs et étaient souvent en mer. Pendant l’enquête d’utilité publique, les femmes allaient tous les jours se planter devant les cordons de gardes mobiles qui surveillaient les mairies annexes.

J’avais 26 ans, j’y allais avec ma mère. Il y avait aussi des grands-mères qui disaient aux policiers : “Si vous étiez mon petit-fils, je n’aimerais pas vous voir là !” On les harcelait ! Les femmes étaient très débrouillardes et courageuses.

Jean Moalic et Noella Coatmeur devant la carte de l’installation de la centrale de Plogoff dans la baie de Feunteun Aod. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

Nous avions en outre une force que les hommes n’avaient pas : celle de la parole. Quand le projet a été abandonné, on a lancé un club arts et loisirs pour que les femmes continuent à se retrouver. Le lien est resté entre nous, et grâce à cette lutte, on est devenus une grande famille. Je serai toujours reconnaissante envers les nombreuses personnes, de Plogoff ou d’ailleurs, qui nous ont aidés à défendre notre pays, qui est si beau !

Cela dit, on a aussi vécu des moments très durs : à l’époque, on ne connaissait pas les grenades lacrymogènes, mais on a vite compris ce que c’était ! Je me souviens aussi d’un ex-gardien de prison qui avait été interpellé, et qui avait été attaché toute une nuit au pied d’un lit… Quand je vois aujourd’hui les images des violences commises par des CRS, ça me fait remonter plein de souvenirs atroces. »


  • Roland Chatain, 70 ans, et Annie Gloaguen, 75 ans, Treguennec
    Roland Chatain et Annie Gloaguen. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

Roland :

« À l’époque, on militait déjà pour les énergies nouvelles. Au-delà d’être opposés au projet de centrale, on voulait être force de proposition. Dans ce cadre, et à des fins pédagogiques et d’expérimentation, je m’étais occupé en avril 1981 d’un concours pour la construction d’une maison autonome à Plogoff. L’idée : montrer qu’avec une maison bien isolée et bien orientée, on peut se passer du tout électrique et donc du nucléaire.

Hélas, une telle bâtisse n’a finalement pas été construite. Voilà notre regret : que Plogoff et les communes alentour ne soient pas devenues un laboratoire des énergies douces, dont on a besoin de nos jours. Pourtant, au lieu de mettre le paquet là-dessus, Emmanuel Macron veut imposer le nucléaire avec des prétextes fallacieux, en disant par exemple que c’est une énergie verte. Bref, il se passe beaucoup de choses aberrantes mais, arrivé à un certain âge, on a l’habitude… »

Le village de Pendreff, non loin du centre de Plogoff. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

Annie :  

« Il y avait une incroyable activité sociale : des réunions, des rencontres. Des actions aussi, comme lorsqu’on s’allongeait sur la route pour bloquer les CRS, ou lorsqu’en 1976 on avait formé des barrages autour de la ville pour empêcher EDF d’effectuer des sondages géologiques. Tout cela se mêlait à une effervescence autour du combat régionaliste. Au travers de cette lutte se jouait en effet la défense d’une identité bretonne retrouvée. C’était très intense, joyeux. Tout le monde se sentait vraiment Breton ! »


  • Patrick et Mayette Guiavarch, 72 et 76 ans, Pouldergat
Patrick et Mayette Guiavarch. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

Mayette : 

« À l’époque, j’étais étudiante à Paris. J’avais reçu une proposition de spécialisation de la part des Beaux-Arts, mais j’ai décidé de revenir dans mon département de naissance : cette lutte, il fallait que l’on en soit acteurs.

Dès 1974, avec Patrick, on a fait le tour du cap Sizun pour distribuer des flyers informatifs. Les manifestations de 1980 sont les événements les plus connus de la lutte. Mais nous avons participé en amont, et ce dans le secret, à un travail de fourmi : faire venir des scientifiques, organiser des réunions…

On vivait presque dans la clandestinité ; on était surveillés et on a été arrêtés plusieurs fois. Je portais toujours la même cape grise : je n’avais pas le temps de penser à autre chose, il y avait urgence ! On continuait malgré tout à travailler : je faisais des stages, et Patrick était enseignant. Je me rappelle aussi de la grande fête de la baie des Trépassés, en 1980 : 100 000 personnes étaient venues.

Dans le village de Pendreff. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

On avait organisé des conférences, des concerts — Jacques Higelin était là, par exemple. Pour le stand librairie, j’avais fait venir des livres sur le nucléaire depuis les États-Unis car, à l’époque, on n’en trouvait pas en France.

Quand le projet de centrale a été abandonné, on a bu un verre de vin, et je peux vous dire qu’il était bon ! Il y a eu beaucoup de joie, mais aussi des larmes d’émotion : cette lutte représente plus de cinq ans de notre vie, et on sait le poids de tout cela. »

La sculpture “Le lance-pierre” de Robert Vaillant, réalisée en 1981, a été installée en 2017 à l’entrée de Trogor. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

Patrick :  

« J’ai participé en 1978 à la création d’un groupement foncier agricole (GFA) au niveau du site envisagé pour construire la centrale. On voulait montrer que ce site était viable économiquement et, dans le même temps, compliquer la tâche d’EDF pour l’acquisition de ces terres.

Au-delà de notre opposition à la centrale, on voulait avoir une démarche constructive. Ce GFA a bien fonctionné, même s’il n’a pas été aisé de convaincre les propriétaires de céder leurs terrains. Le GFA était constitué de 5 000-6 000 parts sociales, qui valaient 100 francs, et on y avait construit une bergerie.

La baie choisie pour l’installation de la centrale. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

Quand le projet de centrale a été abandonné, il y a eu quelques tensions autour de la suite à donner à ce GFA, et finalement les terres ont été cédées au Conservatoire du littoral. Ensuite, on a eu besoin de prendre du recul.

Certes, la centrale n’a pas été construite, mais ce ne fut qu’une petite victoire : le nucléaire a continué à se développer ailleurs. Je pense cela dit qu’il faut garder un peu d’optimisme : aujourd’hui, plein de problèmes jusqu’ici camouflés sont en train de remonter. »


  • Ronan Bourdon, 78 ans, Mahalon 
    Ronan Bourdon, ancien berger. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

« J’étais ingénieur pour le ministère de l’Agriculture, mais je suis revenu en 1975 à Mahalon, où je suis né, pour élever des moutons. J’ai été bombardé à la présidence de l’asso Evit Buhez Ar C’hap. On organisait de nombreuses réunions, et les militants sont devenus de plus en plus pointus sur des sujets qu’ils ne maîtrisaient pas à la base.

J’étais également l’un des cogérants du GFA, c’est moi qui ai proposé d’y construire une bergerie et d’y installer un berger. Je revois les pêcheurs de Plogoff monter un grillage pour les moutons avec des câbles de marins, c’était drôle ! On avait fait venir des brebis du Larzac : c’était la concordance des luttes.

L’ancienne bergerie construite en 1979 sur le GFA pour accueillir des moutons du Larzac a été transformée en centre équestre. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

Je n’allais pas aux manifestations : la police avait déjà chargé mon casier judiciaire. En 1978, j’avais été condamné pour une action agricole : le vol de morceaux de viande venant de l’étranger — en tant que paysans, on était opposés à leur importation. On avait déposé la marchandise à Quimper devant le directeur de la police urbaine.

Selon moi, cette affaire — qui en définitive n’a rien donné — était un prétexte pour enquiquiner les militants luttant contre la centrale. Idem, juste avant le début de l’enquête publique, j’avais été condamné pour la construction de la bergerie du GFA, car on n’avait pas de permis de construire. Pour moi, il s’agissait d’une police et d’une justice politiques. »


  • Henri Peuziat, 76 ans, Plouhinec
Henri Peuziat, ancien éleveur de porcs biologiques. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

« Avec ma femme, Catherine, on avait déjà une fibre militante et écolo, on exploitait une ferme en agriculture biologique. Ce projet nous a bien sûr inquiétés, notamment concernant les lignes à haute tension qui allaient partir de la centrale : c’est un problème qui n’est que rarement soulevé. J’ai aussi été l’un des responsables du GFA. Je retiens de cette période la solidarité qui s’est créée autour de Plogoff, on n’était pas seuls !

Notre victoire fut malgré tout en demi-teinte : quand je vois aujourd’hui la banalisation du nucléaire, ça me fait peur. Macron veut construire six nouveaux EPR, alors que l’on voit bien le fiasco de celui de Flamanville… Pour moi, il s’agit d’une énergie du passé. »

Feunteun Aod, Finistère. © Nicolas Gallon / Contextes / Reporterre

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