Plusieurs milliers de personnes ont manifesté contre la loi de sécurité globale

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À Paris mais aussi dans de nombreuses villes en France, des manifestations ont eu lieu mardi 17 novembre pour défendre les libertés publiques. Elles ont été réprimées brutalement, les forces de police s’en prenant souvent aux journalistes.
- Paris, Toulouse, reportage
Le rassemblement contre la proposition de loi relative à la sécurité globale a rassemblé plus de 2.000 personnes devant l’Assemblée nationale, mardi 17 novembre en fin d’après-midi.
Plusieurs appels de participation ont convergé. Celui des syndicats de journalistes et d’associations de protection des droits de l’Homme, mais aussi la manifestation des Gilets jaunes, qui fêtaient leur deuxième anniversaire, ainsi que de multiples collectifs et associations : Attac, Alternatiba, Extinction Rebellion, Youth for climate, etc. Des politiques tels que les députés France insoumise Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin, ou encore des familles de victimes de violences policières étaient également présents, dans une ambiance joyeuse.

Le texte, porté par les députés La République en marche (LREM) Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, était examiné par les députés en séance publique à partir de ce mardi soir, pour la séance de 21 heures. L’examen devrait durer plusieurs jours. Plusieurs dispositions, permettant l’usage de drones par les forces de l’ordre ou ouvrant la voie à l’utilisation de la reconnaissance faciale inquiètent.

« Je ne pensais pas connaître de mon vivant un Etat allant vers le totalitarisme. Je le lisais dans les livres de science-fiction, et c’est en train d’arriver », dit FredericX, activiste au sein d’Extinction Rebellion. « Le filmage par les drones de la police, couplé à la reconnaissance faciale qui nous identifiera, nous empêchera d’agir. »
Mais c’est surtout l’article 24 qui est visé par les protestataires : il risque de restreindre de façon très importante la possibilité de diffuser des images d’agents des forces de l’ordre et est perçu comme une volonté de cacher les violences policières.
« La loi permettra de transmettre en temps réel les images des caméras embarquées des policiers, ce qui n’était pas possible jusqu’à présent, a expliqué Arthur, de l’association de défense des libertés numériques La Quadrature du net. Avec les progrès de la reconnaissance faciale, les policiers pourront de plus en plus facilement identifier les manifestants. »

« Nous sommes maintenant dans un État où la police fait la loi, regrettait Arié Alimi, avocat et membre du conseil national de la Ligue des droits de l’Homme. Cette loi va protéger la police alors que le rôle de la police est de protéger les citoyens. »

« Cette loi touchera d’abord les jeunes des quartiers populaires, craignait le journaliste de Là-bas si j’y suis Taha Bouhafs. Les vidéos et images diffusées par réseaux sociaux sont leur seul outil pour que des journalistes puissent ensuite s’en saisir. »
« Avec cette loi, les policiers auront le droit de tout faire, redoutait Fatima Chouviat, mère de Cédric Chouviat, mort par étouffement lors d’un contrôle de police en janvier 2020. Notre chance pour Cédric était que nous avions des vidéos. C’est un scandale si la loi passe. J’ai été à la manifestation pour Charlie en 2015. On peut tout écrire, tout caricaturer mais on n’aurait plus le droit de filmer ? »

En début de soirée, un nouvel afflux de manifestants, notamment beaucoup de jeunes, est venu renforcer les troupes devant l’Assemblée nationale. « Cette manifestation est un succès, mais j’ai un bémol, notait Dominique Pradalié, secrétaire nationale du Syndical national des journalistes (SNJ). Les patrons de presse restent dans un silence total. Vont-ils diffuser les images de la police à la place de leurs reportages ? Il devraient s’engager, mener des démarches auprès des ministres et des députés, mais ne font rien. »
Le Gilet jaune Jérôme Rodrigues allait dans le même sens : « Il y a deux ans, j’avais dit aux journalistes que ce serait bientôt leur tour. Nous y sommes. »

Des rassemblements ont également eu lieu à Toulouse, Marseille, Lyon, Chalon-sur-Saône, Le Mans, Bordeaux (200 personnes), Nice, Nantes, Grenoble, Orléans (plus de 100 personnes) etc. À Rennes, France Bleu rapportait ainsi que plus de 350 manifestants avaient bravé le confinement pour protester contre le projet de loi.
À Toulouse, plus de 1.000 personnes se sont rassemblées à partir de 18h. A l’issue des prises de paroles — Amnesty International, Ligue des droits de l’Homme — la manifestation a commencé à s’avancer sur le boulevard, mais a duré moins de quinze minutes. Les forces de l’ordre l’ont tout de suite dispersée avec des gaz lacrymogènes. Notre journaliste a été pris à parti par un CRS alors qu’il lui montrait sa carte de presse. « Je n’en ai rien à foutre de ta carte de presse » lui a-t-il été dit, avant qu’elle soit jetée par terre. Alors que notre journaliste le prenait en photo, le CRS lui a répondu : « Profites-en, c’est la dernière fois. »
Une fin de manifestation parisienne dans la violence

À Paris, vers 19h15, une manifestation sauvage a tenté de partir sur le boulevard Saint-Germain. Les forces de l’ordre ont répondu à coups de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement lancées sur les manifestants.
Ceux-ci étaient cependant encore présents vers 20 heures (l’examen du texte contesté démarrant à 21 heures), quand la situation s’est fortement dégradée. Les forces de l’ordre ont émis de nombreux jets de gaz lacrymogènes dans la foule et ont tenté de disperser des manifestants assis à l’aide d’un canon à eau tandis que des Gilets jaunes trouvaient encore la force de chanter « Joyeux anniversaire » pour les deux ans de leur mouvement.
Des personnes se sont retrouvées nassées dans certaines parties du boulevard Saint Germain. Le photographe travaillant pour Reporterre, NnoMan Cadoret, a été plusieurs fois frappé avec une matraque dans le dos et sur la main. Il pense que son appareil photo était visé, pour l’empêcher de faire son travail.

Vers 22 h 30, les CRS ont demandé aux journalistes encore présents de quitter les lieux. « Dernière sommation pour les journalistes, vous quittez les lieux avec votre carte de presse ou on vous interpelle. »
« Dernière sommation pour les journalistes, vous quittez les lieux avec votre carte de presse ou on vous interpelle. » : comme un symbole en cette journée de mobilisation des journalistes et syndicats contre la #loisécuritéglobale #assembléenationale #PPLSecuriteGlobale pic.twitter.com/6ipmeJWw1F
— Thibault Izoret (@TIM_7375) November 17, 2020
Au total à Paris, sept reporters ont été menacés, frappés ou interpellés : notre photographe, NnoMan Cadoret, Clément Lanot (Line Press), Rémy Buisine (Brut) Simon Louvet (Actu Paris), Taha Bouhafs (Là-Bas si j’y suis), Ulysse Logéat (indépendant) et Hannah Nelson (indépendante).
Cette dernière, jeune reporter de 18 ans, été interpellée pour attroupement après sommation et dissimulation de visage car elle portait un masque... Un rassemblement de soutien devant le commissariat du 10e arrondissement où elle est détenue est prévu ce matin, mercredi 18 novembre.
Manifestation anti loi sécurité globale. Les forces de l'ordre procèdent à plusieurs arrestations dont une photographe.#paris #AssembleeNationale #SecuriteGlobale pic.twitter.com/8eYJMk5f1u
— Amar Taoualit (@TaoualitAmar) November 17, 2020
- Source : Reporterre
- Photos : © NnoMan pour Reporterre