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Pour la planète, faire moins d’enfants ?

Nous serons bientôt 8 milliards d’humains sur Terre. Et ce nombre ne fera qu’augmenter. Toujours plus d’humains à nourrir, chauffer, déplacer... La planète, elle, est déjà à bout de force. Faut-il faire moins d’enfants ? Enquête [1/4]

Vous lisez l’enquête « Trop d’humains sur Terre ? Le défi du siècle ». La suite sera publiée dès le jeudi 30 juin. Pour ne pas la rater, abonnez-vous à la lettre d’info de Reporterre.



Douze ans. C’est le temps qu’il a fallu à l’humanité pour ajouter 1 milliard d’individus sur la planète. Alors qu’elle passait la barre des 7 milliards en 2011, l’espèce humaine comptera bientôt 8 milliards de congénères [1]. Le 15 novembre, exactement.

La progression reste conséquente, alors que la fécondité mondiale baisse : elle flirtait avec les 2,3 enfants par femme en 2021, d’après les dernières prospectives du Bureau des populations de l’Organisation des Nations unies (ONU), parues le 11 juillet. Le taux était de 5 en 1950, et de 3,3 en 1990. D’après l’ONU, il va continuer à baisser pour atteindre le fameux 2,1 enfants par femme, taux auquel le remplacement des générations est assuré, dès 2050.

« Pour être plus précis, en 2050, la fertilité mondiale est supposée se situer entre 1,88 et 2,42 naissances par femme (avec une probabilité de 95 %) », projette le bureau onusien. « La population décélère, mais cela ne se traduit pas par un arrêt de la croissance, précise Gilles Pison, de l’Institut national d’études démographiques (Ined). La population mondiale compte encore un grand nombre d’adultes en âge d’avoir des enfants. Et même si nous étions à 1,6 enfant par personne comme en Chine ou en Europe, la croissance démographique ne s’arrêterait pas pour autant. »

© Stéphane Jungers/Reporterre

En 2021, 134 millions de bébés sont nés dans le monde. Avec un taux de progression de 1,12 % par an, la barque humaine s’alourdit de 86 à 90 millions d’individus chaque année. L’ONU prévoit une progression — ralentie certes — de la population jusqu’en 2080, date à laquelle elle atteindrait un pic autour des 10,4 milliards. Elle aura alors achevé sa « transition démographique » [2]. Avant cela, il y aura 2 milliards de vies humaines supplémentaires d’ici 2050. Croître moins vite, c’est croître quand même.

8 milliards de vies à nourrir, loger, habiller, chauffer...

Partout, les femmes enfantent moins. Le phénomène s’universalise. Dans toutes les cultures, sur tous les continents, le modèle de la famille à deux enfants gagne du terrain. Mais cette progression se ferait « toutes choses égales par ailleurs ». Gardons en tête que les évaluations onusiennes sont révisées tous les deux ans et qu’elles sont sujettes à caution [3] : le moindre paramètre de l’équation peut tout changer. peut tout changer. Entre la fourchette haute et la basse publiées en 2022, il n’y a qu’un « demi-enfant ». Un demi-enfant de moins, ce sont 8,9 milliards d’humains batifolant en 2100, un demi-enfant de plus, 12,4. Ce n’est pas la même chose. Mais de l’avis de l’ONU [4], « les projections de la population à long terme sont très incertaines, surtout dans les pays à fort taux de fertilité qui sont aux débuts de leur transition démographique ».

Par ailleurs, parler de population humaine comme d’un « cheptel » global, c’est mettre tous les reliefs au même niveau, la fosse des Mariannes à égalité avec l’Annapurna. Idiot, car ce qui est vrai en Europe ne l’est pas aux antipodes. La natalité des pays les moins développés progresse six fois plus vite que celle des pays développés.

Dans cinq ans, l’Inde deviendra le pays le plus peuplé du monde. WIkimedia Commons/CC0/Yann

Depuis dix ans, les populations de vingt-sept pays ou territoires ont baissé d’au moins 1 %, et celles de 61 pays doivent également se réduire d’ici à 2050 selon les dernières projections de l’ONU [5] ; tandis que la fécondité dépasse les 2,1 naissances par femme en Afrique subsaharienne (4,6), en Océanie — Australie et Nouvelle-Zélande mises à part — (3,4), en Afrique du Nord et Asie de l’Ouest (2,9) et en Asie centrale et du Sud (2,4). A contrario, la Russie voit déjà sa population diminuer ; la Chine vieillit et devrait perdre 31,4 millions de personnes, soit environ 2,2 % de sa population, d’ici à 2050 ; le Nigeria, pays le plus peuplé d’Afrique, atteindrait 410 millions d’habitants en 2050 (le double d’aujourd’hui) ; au rythme actuel, il n’y aura plus aucun Japonais sur Terre en l’an 3000... Même si, en pratique, personne ne sait quelle sera la natalité d’ici à quelques siècles et encore moins à quoi ressemblera le monde.

© Stéphane Jungers/Reporterre

La moitié des 2 milliards d’enfants à naître d’ici à 2050 proviendra de neuf pays : Inde, Nigeria, Pakistan, République démocratique du Congo, Éthiopie, Tanzanie, Indonésie, Égypte et États-Unis. Dans cinq ans, l’Inde deviendra le pays le plus peuplé du monde. Bref, chaque pays, chaque zone géographique est spécifique.

« Nous voilà face à un dilemme : notre population doit réduire son impact »

8, 9, 10, 11 milliards... cela n’aurait pas d’importance si nous ne vivions pas sur un système fini, isolé dans la froideur de l’espace. Que cela progresse vite ou non, peu importe : dans quelques mois, nous serons 8 milliards. 8 milliards de vies à nourrir, loger, habiller, déplacer, chauffer, éduquer, soigner ou faire rêver ; quels que soient l’âge, le niveau de vie, la situation conjugale, géographique, cultuelle, etc. Or, nous voilà face à un dilemme : constante ou non, notre population doit réduire son impact ; qu’il s’agisse des émissions de CO2, des blessures infligées à la biodiversité, prélèvements dans les gisements de ressources (minières, halieutiques, etc.) et des usages de l’eau.

Sans compter qu’homo-pas-si-sapiens se pense seul, alors que 10 millions d’autres espèces ont aussi droit à des habitats et à des ressources pour survivre, vivre et se reproduire. « Le sujet est compliqué, opaque, s’excuse presque Valérie Golaz, de l’Ined. On raisonne à l’échelle planétaire alors que les modes de vie se jouent en grande partie à une échelle plus petite, avec des besoins, des ressources et des spécificités locales. On observe ainsi une grande diversité dans les relations entre populations et leur environnement. Le débat est brouillé par le fait que ces échelles d’interprétation sont confondues. » Nous voilà bien avancés.

Une planète déjà à bout

Le Terre n’est pas une table à rallonge. Or nos émissions de CO2 ne cessent de croître, déstabilisant un système complexe de régulation air-océans-sols. En 2021, les émissions mondiales annuelles de CO2 ont atteint 34,9 milliards de tonnes. La biosphère en absorbe environ 25 % via ses puits de carbone naturels que sont le sol, les forêts en formation et les océans. Pour atteindre une neutralité carbone et une limitation de l’augmentation des températures à +2 °C, chaque Terrien devrait émettre 2 tonnes de CO2 annuelles, pas plus, en moyenne. Une humanité émettant 2 tonnes chacun, c’est déjà 16 Gt de CO2 rejetées dans l’atmosphère. Les ressources en énergies fossiles, en eau, sont connues, « finies », et déjà en 2021, près de 4 milliards d’hommes et de femmes avaient des difficultés d’accès à l’or bleu.

Et puis pour remplir nos assiettes, des chercheurs se sont demandé dans la revue Lancet si l’on pouvait nourrir une population de 10 milliards d’individus avec un régime sain, le tout dans les limites de la planète. La réponse est oui, mais pas avec nos régimes actuels. « Si nous obtenons des changements radicaux dans la production et la consommation alimentaire, c’est possible. Mais même ces changements profonds ne permettront pas de nourrir 10, voire 11 milliards d’individus sans détruire plus d’écosystèmes », ont-ils déclaré en 2019. Déjà, ces chercheurs préconisaient que l’on évite à tout prix les 11 milliards d’individus.

Déforestation liée à l’activité humaine. Pixabay/CC/FulcrumRocks

Puis est arrivé le jeudi 5 mai 2022. Le jour du dépassement écologique de la France. C’est le jour où la population française a épuisé les ressources produites en un an par le mince manteau vivant qui l’enveloppe. À partir de ce jour, nous sommes allés au-delà de ce qu’offre la biocapacité de notre pays. Quand nous excédons les possibilités terrestres, nous atteignons « le jour du dépassement ».

Et celui-ci arrive de plus en plus tôt dans l’année : « Au niveau mondial, le premier est tombé le 31 décembre 1969, retrace Mathis Wackernagel de l’ONG Global Footprint, qui a mis au point cet outil. En 1996, il se situait début novembre. En 2007, le 6 octobre. En 2008, le 15 septembre... Et dans dix ans ? » Selon lui, en 2021, il fallait 1,7 planète pour subvenir aux besoins humains. Mais 2,8 planètes si chacun vivait à la façon française ou 5,1 planètes si nous vivions tous à l’américaine.

Bilan carbone d’un bébé

Au fait, combien pèse chaque nouveau petit sapiens ? En 2017, une étude de l’université de Lund en Suède a provoqué moult remous : éviter de faire un enfant supplémentaire serait le geste le plus écolo qui soit. Il permettrait d’éviter 58,6 tonnes de CO2 par an. Mieux que de supprimer la voiture (2,4 tonnes évitées seulement) ou d’arrêter la viande (0,8 tonne). Avec le bilan carbone ou l’empreinte écologique à portée d’équation, les chercheurs s’en donnent à cœur joie.

L’université de l’Oregon, elle, a calculé le bilan carbone d’un bébé américain : 1 644 tonnes de CO2 émis en moyenne au cours de sa vie, soit 5 fois plus qu’un bébé chinois et 91 fois plus qu’un bébé né au Bangladesh. Si l’on suit cette voie, faire un enfant en Occident a une conséquence écologique quasi infinie. Des parents écolos auront beau trier leurs déchets, manger local, bio et végétarien, supprimer les vols, se chauffer au bois ou pédaler pour aller travailler, leur descendance dégraderait leur bilan carbone ad vitam aeternam. Selon Paul A. Murtaugh, du département des statistiques de l’université de l’Oregon, « un adulte peut être comptable de la moitié des émissions de CO2 de son enfant, et d’un quart du bilan carbone de son futur petit-enfant ». Alors qu’il ne faudrait pas dépasser 2 tonnes annuelles, intégrer le bilan carbone de personnes non encore nées pourrait faire des nœuds au cerveau.

Le bilan carbone d’un bébé américain est de 1 644 tonnes de CO2 au cours de sa vie, selon l’université de l’Oregon. Pixnio/CC0/Bicanski

Pour Emmanuel Pont, l’auteur de Faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète, « ces chiffres devraient être oubliés, car il s’agit d’une espérance de vie moyenne multipliée par le bilan carbone moyen annuel d’un individu ». Or, rien de tout cela n’est figé dans le marbre. « C’est embarrassant, reconnaît Valérie Golaz, de l’Ined. On attribue à une personne une trajectoire de CO2, de production de déchets, de comportements de vie, etc. comme si tout était égal par ailleurs. La façon de vivre en 2042 sera probablement bien différente de celle d’aujourd’hui. Le plus important est d’insister sur l’inertie démographique : même si nous faisions tout ce qui était possible — de manière non coercitive — pour réduire la population, la croissance continuerait. Donc, d’une certaine façon, l’emprise sur les ressources aussi. »

Dans son livre Drawdown — Comment inverser le cours du réchauffement planétaire, Paul Hawken dresse la liste des 80 mesures à prendre pour réduire nos émissions de CO2 de 80 %. L’éducation des filles et le planning familial figurent en 6e et 7e positions [6]. Éduquer toutes les petites filles du monde — présentes et à venir — pour éviter la naissance de 2 milliards d’humains d’ici à 2050, c’est 85,42 Gt de CO2 en moins entre 2020 et 2050. Hawken s’est même amusé à mesurer les avantages économiques du planning familial sur les renouvelables : 7 euros investis dans du planning familial peuvent éviter l’émission de 1 tonne de CO2. Bien moins cher que l’investissement dans l’éolien (24 euros environ) ou le solaire (51 euros).

La faute aux pays riches ?

« Distinguer la population de la consommation, c’est comme prétendre que la surface d’un rectangle dépend davantage de sa longueur que de sa largeur. » La phrase est de Paul Ehrlich, l’auteur de La Bombe P en 1968, un best-seller [7] qui prédisait une croissance démographique exponentielle propre à terrifier le monde. Sa bombe n’a pas explosé, mais il a toujours défendu que le « nombre » n’était qu’un des facteurs qui perturbaient l’équilibre du système Terre.

Dans la foulée d’une controverse avec Ehrlich, le scientifique Barry Commoner a élaboré une équation (I = P x A x T) stipulant que les conséquences environnementales (I) sont le produit de la population (P) par le revenu par tête (l’« abondance » A) et les technologies utilisées (T). Elle signifie que, certes, ne pas évoquer le nombre comme nous le faisons régulièrement, c’est se priver d’un des paramètres de l’équation. Mais ne pas se pencher sur les modes de vie l’est tout autant. Encore une fois, parler de population « globale » n’a pas de sens. À population égale, comment comparer le mode de vie des habitants du Laos et de la Finlande ? Du Japon vieillissant et de l’Éthiopie explosive ?

L’humain doit subvenir à des besoins vitaux : eau, nourriture, logement. Il doit ensuite se déplacer, travailler, se divertir, produire ou encore consommer. Chacune de ces actions peut se traduire en bilan carbone. Selon le pays d’origine, un individu va émettre 40 tonnes de CO2 par an (au Qatar) ou 2 tonnes (au Burkina Faso). Dans certaines parties du monde, l’heure n’est ni à la sobriété et encore moins à la perpétuation de la pauvreté. En Chine, la classe moyenne va atteindre près de 600 millions de consommateurs en 2030. Or, la classe moyenne mange plus de viande, achète plus de voitures et voyage plus souvent. De son côté, le continent africain ne compte que pour 4 % des émissions de CO2 et près de la moitié de sa population n’a pas accès à l’électricité. A-t-il vocation à rester pauvre ?

Viser les 2 tonnes de CO2 par personne et par an fait office de gageure dans les pays développés. D’autant que le consommateur occidental, tant décrié, n’a pas la souveraineté de ses choix. « Même les consommateurs riches ne sont pas responsables, ils décident bien de ce qu’ils achètent parmi ce qui est mis en vente mais pas de ce qui est produit, ni de la façon dont sont fabriqués les produits ; or ce sont ces décisions qui ont le plus grand impact sur l’environnement », écrivent Ian Angus et Simon Butler dans un livre [8] qui réduit pourtant à néant l’hypothèse d’une humanité en surpoids.

L’ironie de la chose, notait de son côté l’écologiste Murray Bookchin, « c’est que la plupart des gens ordinaires et leurs familles ne peuvent se permettre de vivre simplement. Se passer de voiture, c’est renoncer à un emploi, à un magasin, à la nourriture, aux aires de loisirs, aux dîners chez les amis, etc. ». On pourrait alors cibler les ultra-riches et leur gloutonnerie mortifère, mais leur effet sur l’environnement, selon Angus et Butler, « n’est pas d’abord et avant tout le résultat de leur cupidité individuelle, mais découle du fait qu’ils possèdent et contrôlent les organisations et institutions dont les activités écocides excèdent de beaucoup celles de n’importe quel individu ou groupe d’individus ».

© Stéphane Jungers/Reporterre

Tout est résumé dans le graphique ci-dessus. Plus on est riche, plus on consomme de ressources, et pour avoir tous accès au même niveau de vie, nous devrions être moins nombreux. À l’inverse, plus on est pauvre, plus la Terre peut subvenir aux besoins d’un plus grand nombre d’humains. « Il faut faire les deux, dit Alistair Currie, de l’association Population Matters. Il est évident que, parmi les plus riches, nous avons besoin de changer nos habitudes de consommation. D’un autre côté, des centaines de millions de personnes ont le droit absolu de consommer plus puisqu’elles sortent de la pauvreté. Mais ajouter des consommateurs supplémentaires ne fait qu’exacerber le problème, c’est un axe vital. Il ne faut pas opposer consommation et population. » Ce discours est dans la droite ligne de ce que Paul Ehrlich disait la fin des années 1960.

Et si au nombre, nous ajoutions le temps et l’argent... En 2010, l’espérance de vie moyenne a dépassé 70 ans et le PIB moyen d’un Terrien se situe autour des 10 000 dollars par an (avec des variations allant de 700 à 120 000 dollars selon les pays). Si nous sommes collectivement nombreux, riches et sur Terre plus longtemps, ça risque de mal se passer.



• Cette enquête est diffusée en partenariat avec l’émission La Terre au carré, de Mathieu Vidard, sur France Inter. Vous pouvez écouter l’émission sur la démographie ici, avec Laure Noualhat, Valérie Golaz et Emmanuel Pont.

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