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Luttes

Pris pour un autre, un militant EELV fait 36 h de garde à vue

Félix Blanc, militant EELV, et Marine Tondelier, secrétaire générale du parti, au siège parisien d'EELV le 28 juin 2023.

Confondu avec un autre, le militant écologiste Félix Blanc a fait 36 heures de garde à vue dans le cadre des dégradations d’une usine Lafarge. Il dénonce la dérive sécuritaire de l’État.

36 heures de garde à vue pour avoir été confondu avec un autre. C’est l’histoire vécue par Félix Blanc, membre d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) et chargé de la transition écologique à la mairie de Marseille. Il a été arrêté lors du « coup de filet » qui a visé plusieurs militants écologistes le 20 juin dernier. Plus d’une quinzaine de personnes, dont cinq à Marseille, ont été interpellées et accusées d’avoir participé à des dégradations dans l’usine Lafarge de Bouc-Bel-Air le 10 décembre 2022. Face aux enquêteurs, Félix Blanc a assuré qu’il ne se trouvait pas sur le site de l’usine ce jour-là. Une semaine après sa garde à vue, il a organisé une conférence de presse au siège parisien d’EELV pour donner sa version des faits.

Il est 6 heures du matin ce mardi 20 juin lorsque Félix Blanc entend des gens tambouriner à la porte de son immeuble. Il regarde par la fenêtre et voit sept membres des forces de police. Il ouvre sa porte et apprend qu’il est en état d’arrestation pour association de malfaiteurs, dégradations en bande organisée et dégradations aggravées. Il est menotté et son appartement est perquisitionné. L’un des enquêteurs lui dit « C’est pour Lafarge » et lui donne une date : « Le 10 décembre ».

Mis à part des photos vues dans la presse montrant des personnes vêtues de blanc, Félix Blanc ne se rappelle pas très bien de cette action. « On me demande si je possède une casquette rouge. Je ne sais pas de quoi il parle et je commence à flipper. Je vois un sentiment de peur et de colère dans les yeux de ma compagne qui était présente. Je commence à me demander ce que j’ai pu faire dans mon sommeil », explique-t-il.

Félix Blanc est ensuite emmené en garde à vue à la gendarmerie de Carnoux-en-Provence (Bouches-du-Rhône), puis interrogé avec des questions qu’il estime « absurdes » : est-il « influencé » par la question du réchauffement climatique ? Est-il sensible à l’écoanxiété ? Les enquêteurs lui demandent ensuite s’il a participé à une mobilisation contre l’extension d’une zone commerciale à Pertuis (Vaucluse) en juin 2022. Il confirme : il a même été contrôlé à l’entrée de la manifestation. « C’est alors que les gendarmes m’apprennent que ce contrôle a déclenché la surveillance de mon téléphone. »

Un engrenage « kafkaïen »

Les enquêteurs lui font ensuite retracer sa journée du 10 décembre, date de l’action contre l’usine Lafarge. Félix Blanc affirme qu’il se trouvait à une fête de famille puis à un dîner entre amis. Plusieurs témoins ont confirmé ses déclarations, notamment sa compagne Carina. « J’ai passé beaucoup de temps à chercher des photos de cette journée, mais Félix n’était jamais dessus. J’ai donc retrouvé des messages qu’on avait échangés. J’ai ensuite tout fait valider par huissier, cela m’a coûté 500 euros », confirme-t-elle à Reporterre. L’un des frères de Félix, présent au repas de famille, est également venu témoigner.

Malgré tout, les enquêteurs reprochent à Félix Blanc l’inactivité de son téléphone entre 14 et 17 heures. Soit le laps de temps où les manifestants auraient commis des dégradations à Bouc-Bel-Air. « J’étais à un repas de famille, donc je n’ai pas répondu aux appels et messages. Ensuite mon téléphone s’est éteint, car je n’avais plus de batterie. »

Au bout de trente heures de garde à vue, les enquêteurs lui ont montré la photo qui aurait permis de l’identifier. Il y voit l’image floue d’un homme barbu, dont les yeux ne seraient pas visibles et surtout, sans lunettes, « alors que je ne sors jamais sans », précise Félix Blanc. L’homme sur la photo porte la fameuse casquette rouge. Un couvre-chef que les enquêteurs n’ont pas trouvé à son domicile.

La cimenterie Lafarge a été sabotée près de Marseille le 10 décembre 2023. Twitter/Les Soulèvements de la terre

Suite à cette audition, il a été libéré sans aucune charge retenue contre lui. Un soulagement pour le militant EELV qui avait peur de rester enfermé dans cet engrenage « kafkaïen » : une garde à vue de 36 heures sur une simple suspicion de ressemblance avec un homme barbu portant une casquette rouge.

« On ne doit placer quelqu’un en garde à vue qu’après avoir fait un acte suffisant d’enquête qui permette d’avoir des indices objectifs sur la commission d’une infraction, explique Me Nathalie Tehio, avocate pénaliste et membre de la Ligue des droits de l’Homme, présente durant la conférence de presse. On ne peut pas dire qu’une photo floue soit un indice objectif. Il n’y a donc eu aucune enquête préalable. C’est un souci, cela ne correspond pas à l’objectif d’une démocratie où la privation de liberté doit être la dernière mesure à envisager. »

Fabien Perez, l’avocat de Félix Blanc, dénonce un « dérapage ». « Au vu de l’absence d’élément à charge, il n’aurait jamais dû faire l’objet d’une garde à vue et d’une perquisition à 6 heures du matin chez lui. » Il critique également ce vaste coup de filet au sein du milieu écologique la veille de la dissolution des Soulèvements de la Terre. « On tend le filet large pour communiquer sur X interpellations et l’on se rend compte que des gens qui n’ont rien à voir dans l’affaire se retrouvent dedans. Au lieu de réfléchir pour accélérer dans la trajectoire fixée par le Giec [1], le gouvernement préfère étouffer les critiques en présentant les activistes comme des terroristes. »

Une « dérive autoritaire » du régime politique

Félix Blanc tente aujourd’hui de tirer les leçons d’une affaire « qui dépasse de loin » sa propre personne. Normalien, agrégé de philosophie, il est spécialiste de la défense des libertés numériques et a travaillé pendant des années sur le contrôle démocratique des forces armées, notamment durant sa thèse. Il a donc profité de cette conférence pour dénoncer « la dérive autoritaire de notre régime politique », rendue possible par une série de lois adoptées en France : celle sur la surveillance ou contre le séparatisme.

« L’appareil sécuritaire de notre pays repose sur des dispositifs d’exception prolongés qui autorisent les arrestations arbitraires de n’importe quel habitant. On peut monter un dossier à partir d’une photo de quelqu’un qui vous ressemble vaguement et de votre inactivité téléphonique durant quelques heures », poursuit-il.

« Ce qui arrive à Félix aurait pu arriver à toutes celles et ceux qui participent à des actions, assure Marine Tondelier, la secrétaire générale d’EELV. Lorsque Gérald Darmanin parle d’“écoterroristes, il met une cible dans le dos de tous les militants écolos. » Son parti travaille d’ailleurs à la mise en place d’un observatoire sur les violences faites aux écologistes. « Ce qui vient de se passer est effrayant. D’autant que cette histoire n’est pas isolée. Mais cela ne va pas entraver notre sérénité ni nous intimider », conclut Marine Tondelier.

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