Repas de Noël : il y a du plomb dans le gibier

- © Étienne Gendrin / Reporterre
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Alimentation ChasseDes microfragments de plomb sont présents dans le gibier sauvage vendu pour l’alimentation. Baisse du QI, troubles, infection du cerveau... Les possibles répercussions sur la santé sont nombreuses.
En chaussons dans sa cuisine, Monique déballe une corbeille gourmande joliment empaquetée. Confit d’oignons au café, marmelade de Noël, clafoutis de cerises, vin rouge… Cette année, la mairie a choyé ses aînés. Au fond du paquet repose aussi une terrine de cerf aux airelles, venue tout droit d’un producteur périgourdin. Original, se dit-elle ! Seulement, en inspectant les plus petites lignes de l’étiquette collée au dos du bocal, on lit : « Malgré tous nos contrôles qualité, il n’est pas exclu que notre viande de cerf contienne des projectiles de tir (chasse). »
Faisan rôti aux figues, gigue de chevreuil, tournedos de biche, croustillant de caille aux girolles… Chaque hiver, les fêtes de fin d’année mettent à l’honneur le gibier et son authenticité sur de nombreuses tablées. Une authenticité qui implique de croquer dans de microfragments de balles. Dans les rayons d’un supermarché, le constat est le même sur toutes les étiquettes : « Peut contenir des projectiles de chasse. »
« Juste une obligation légale » ?
« C’est juste une obligation légale, comme pour les steaks hachés qu’on demande de cuire à cœur alors que bien des gens les consomment saignants », tempère le responsable d’une boucherie de l’Aubrac. À l’issue d’un examen post-mortem, les cervidés qu’il commercialise sont stockés en chambre froide par les chasseurs dans les deux heures qui suivent l’abattage.
Ce n’est qu’à ce moment-là que le commerçant récupère les cadavres et fait intervenir la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), c’est-à-dire les services vétérinaires, pour une inspection plus approfondie. « Il arrive qu’il y ait du plomb dans les carcasses, mais seulement à un endroit précis. Il n’y a pas d’explosion ! Et les vétérinaires sont justement là pour retirer les éventuels morceaux où l’animal a reçu la balle. » Une fois l’opération terminée, les bouchers peuvent alors entreprendre la découpe et la mise en vente : « Croyez-moi, on ne peut pas retrouver de plomb dans nos produits. Et le gibier, c’est très bon pour la santé », conclut le marchand.

Depuis des décennies, cette idée selon laquelle les projectiles de munitions resteraient intacts ou presque dans le corps de l’animal — et ainsi facilement détectables à la découpe — fait loi. À tel point que dans la législation européenne, le règlement fixant les teneurs maximales des contaminants dans les denrées alimentaires ne donne aucune limite au plomb dans le gibier. Et ce, alors même que la viande issue du bétail, et donc bien moins exposée à cette problématique, en possède une.
Près de 800 fragments de balle dans un cerf
Alors qui de l’étiquette ou du boucher faut-il croire ? En 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (Anses) s’est penchée sur la question. Du cerf à la perdrix, quelque 449 prélèvements de divers animaux chassés en France ont été analysés par un groupe d’experts. Et les résultats ont été sans appel : des particules de plomb souvent de très petite taille, invisibles à l’œil nu, avaient contaminé la viande. La concentration moyenne de plomb dans les muscles des animaux sauvages étudiés s’élevait à 3,36 mg/kg. En comparaison, celle du gibier d’élevage était de 0,018 mg/kg, soit 187 fois moins.
Les rares études menées sur le sujet semblent concorder. En 2006, le chercheur étasunien Grainger Hunt et son équipe ont notamment observé que certaines carcasses de grand gibier pouvaient contenir jusqu’à 783 fragments de plomb. Et contrairement aux dires du commerçant de l’Aubrac, ces minuscules morceaux de métal peuvent se disperser à des distances allant jusqu’à 45 cm de la trajectoire de la balle, selon une étude du même chercheur réalisée en 2009.

Plus récemment, en août, le biologiste Rhys Green et ses collègues ont utilisé un scanner à rayons X pour détecter des fragments de métaux dans les corps de huit faisans vendus dans une boucherie de Cambridge, au Royaume-Uni. Sans surprise, et « même si une préparation minutieuse des aliments [avait été] pratiquée en amont pour éliminer les projectiles et les tissus les plus endommagés », près de quarante fragments de plomb en moyenne ont été localisés dans chaque animal. Autrement dit, consommer un de ces faisans reviendrait à absorber 3 400 microgrammes de plomb, alors que les valeurs maximales tolérées pour la viande d’élevage en Europe plafonnent à 25 microgrammes par portion de 250 grammes.
Baisse du QI, troubles
Quels risques pour la santé l’ingestion de plomb fait-elle planer ? Chez l’adulte, le métal gris bleuâtre a des effets sur « la pression artérielle », « la fonction rénale » et peut provoquer de « l’anémie », des « troubles digestifs » ou encore des infections du cerveau, d’après le ministère de la Santé, qui liste des effets pour 100 à 2 000 microgrammes de plomb par litre de sang. Une fois dans l’organisme, il est stocké dans les os et peut y rester caché des années, voire des décennies, avant d’être libéré dans le sang. Au moment de la grossesse, une femme antérieurement exposée peut ainsi voir son fœtus contaminé. Le plomb se retrouvera également dans le lait maternel, continuant d’intoxiquer le nouveau-né pendant l’allaitement.
Pour une même absorption, les conséquences sur l’enfant sont décuplées en comparaison à l’adulte. En altérant le processus de développement cérébral, le plomb entraîne « une diminution du quotient intellectuel » et « des troubles à l’acquisition de certaines fonctions cérébrales supérieures », ajoute le ministère. Les enfants atteints souffrent aussi d’incapacité à se concentrer, d’irritabilité et d’impulsivité. Cela a aussi des effets sur le long terme : une étude débutée dans les années 1980 a ainsi fourni « des preuves solides que l’exposition précoce au plomb est un facteur de risque de comportement criminel, y compris les crimes violents, à l’âge adulte », notaient ses auteurs en 2008. 55 % des participants à leur étude avaient été arrêtés par des forces de police en moyenne cinq fois entre 18 à 24 ans. Tous avaient été exposés au plomb dans leur enfance.
Dans son expertise rendue en 2018, l’Anses recommande finalement aux amateurs de gibier sauvage de limiter leur consommation à une fréquence occasionnelle, de l’ordre de trois fois par an maximum. Quant aux femmes en âge de procréer et aux enfants, elle les invite à proscrire totalement ce mets de leurs repas.