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Climat

Sans parole à l’Assemblée, les députés écolos débattent de la loi Climat sur Twitch

Une dizaine de députés écologistes, faute d’appartenir à un groupe parlementaire, sont privés de temps de parole durant l’examen du projet de loi Climat. Ils débattent donc du texte sur la plateforme de vidéos en direct Twitch, avec des invités scientifiques, associatifs, et avec les internautes.

« On a énormément de choses à dire sur le texte de la loi Climat. Puisqu’on ne peut pas les dire au sein des institutions, on a trouvé cette façon de faire. » Depuis lundi 29 mars, une dizaine de députés débattent du projet de loi Climat et résilience sur la plateforme de vidéos en direct Twitch, habituellement prisée des jeunes adeptes de jeux vidéo.

Ces élus, qui formaient auparavant le groupe parlementaire Écologie, Démocratie, Solidarité (EDS), sont considérés comme « non-inscrits » depuis la disparition du collectif en octobre 2020, faute d’un nombre de membres suffisants [1]. Or, le projet de loi Climat étant examiné selon le dispositif de temps législatif programmé – chaque groupe parlementaire a un temps de parole attribué qu’il ne peut pas dépasser – les députés non-inscrits ne disposent à eux tous que de cinquante minutes pour les débats en séance.

« Dès le deuxième jour [alors que les débats vont durer pendant trois semaines], notre temps était écoulé, déplore le député Matthieu Orphelin (Maine-et-Loire). C’est une stratégie politique, le gouvernement a choisi ce dispositif pour couper le sifflet aux écologistes. »

« Depuis deux ans, beaucoup de techniques sont mises en place pour maîtriser les débats parlementaires, pour qu’ils soient plus courts, pour qu’ils aillent plus vite, pour qu’ils ne débordent pas, juge Paula Forteza, députée des Français établis hors de France. Un peu comme si on ne pouvait débattre que des sujets que le gouvernement veut bien mettre sur la table. »

Qu’à cela ne tienne, la petite dizaine d’élus ex-EDS a décidé d’organiser son propre débat sur les réseaux sociaux. Chaque jour, en même temps que les discussions en séance plénière, ils se retrouvent sur Twitch, où ils retransmettent en direct leur « émission ». Mercredi 31 mars, par exemple, pendant que l’article sur l’affichage environnemental était discuté, Paula Forteza animait une table ronde, en ligne, sur le même thème. Avec ses invités, elle a évoqué l’intérêt (social ou environnemental) de rendre accessibles certaines données, comme la recyclabilité ou l’empreinte carbone, de biens ou services.

Au même moment, le député Cédric Villani (Essonne), présent dans l’hémicycle de l’Assemblée, suivait les débats, les racontait par écrit sur le chat de Twitch, et répondait aux questions des internautes. « J’essaie de suivre ce qui se dit en séance et sur le live, c’est toute une organisation ! », raconte-t-il, amusé, à Reporterre.

« Sans cette émission, le débat n’aurait été vu par personne »

Leur émission, baptisée « Débat sans filtre » — le jingle est un remix de la voix d’Emmanuel Macron promettant que les propositions de la Convention citoyenne pour le climat seraient reprises « sans filtre » — est le plus souvent regardée par une centaine de personnes en direct. Un chiffre encore modeste, mais les internautes semblent de plus en plus intéressés par le dispositif.

Dans la soirée du mardi 30 mars, les spectateurs ont regardé en live, tel un épisode de feuilleton palpitant, le vote d’un amendement pour imposer, en plus d’un affichage environnemental sur les vêtements, un indicateur sur le respect des critères sociaux lors de leur production. Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, a perdu son calme dans l’hémicycle et crié son opposition, estimant que c’était « infaisable ». Le député socialiste Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle) a défendu avec ténacité la proposition.

Résultat : un vote à égalité, 102 voix pour, 102 voix contre (l’amendement a finalement été rejeté), et des spectateurs sur Twitch tenus en haleine jusqu’au bout. « Les commentaires étaient géniaux, ils étaient vraiment intéressés, se réjouit Matthieu Orphelin. On fait vivre aux gens les échanges, sinon ce débat-là n’aurait été vu par personne. »

Pendant les lives du « Débat sans filtre », les députés alternent entre des tables rondes avec leurs invités et des commentaires sur les débats dans l’hémicycle.

Autre moment de partage entre les élus et les internautes : dans la soirée de mercredi 31 mars, alors que la députée Delphine Batho (Deux-Sèvres) discutait du site « Touche pas à ma vitrine » (censé être une action de commerçants refusant une réglementation des écrans publicitaires présents dans leur boutique), un spectateur a relevé que le nom du domaine internet avait en fait été créé… par un fabricant d’écrans publicitaires. « Bravo les Twitcheurs, en dix minutes vous venez de découvrir un nouveau lobbying ! », s’est exclamé Matthieu Orphelin.

Les députés le reconnaissent aisément : leur débat n’aura sûrement aucune conséquence sur le résultat de la loi Climat et résilience. Critiquée par le Haut Conseil pour le climat comme par le Conseil économique, social et environnemental, la loi ne permettra certainement pas d’atteindre l’objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre. « Il n’y aura que des modifications mineures du projet de loi, prévoit Cédric Villani. Mais on veut marquer le coup, et amorcer ces débats de société. »

« On veut donner à voir la fabrique de la loi, et toucher de nouvelles communautés, parfois plus jeunes »

En outre, les spectateurs ne s’intéressent pas qu’au projet de loi. Ils semblent particulièrement intéressés par l’organisation même de l’Assemblée nationale. « Je ne comprends pas qu’autant d’amendements aient été rejetés, je veux mieux comprendre les arcanes du système politique », écrit un internaute. « J’ai envie d’en savoir plus, suivre les débats, apprendre le fonctionnement concret du Parlement », renchérit un autre.

En plus d’expliquer les enjeux de la loi Climat, les députés se retrouvent donc à expliquer plusieurs fois par jour ce qu’est un scrutin public, ou pourquoi tel député s’exprime avant tel autre. « La vie parlementaire est complexe, avec les ballets des amendements, les prises de parole, cela prend un certain temps avant d’intégrer tout ça, explique Cédric Villani. Les débats peuvent être difficiles à suivre de l’extérieur. Notre objectif, c’est de mettre en relief cette complexité. » « On veut donner à voir la fabrique de la loi, et toucher de nouvelles communautés, parfois plus jeunes, parfois méfiantes aussi des politiques », abonde Paula Forteza. Un rapide sondage dans le chat a toutefois montré que l’émission ne rassemblait pas que des jeunes, les tranches d’âge des spectateurs variant de vingt à soixante ans.

Les lives Twitch vont donc continuer jusqu’au 16 avril, date de fin de l’examen du projet de loi. Les députés ex-EDS comptent bien continuer à afficher leur opposition au gouvernement. Dans l’hémicycle, des parlementaires d’autres groupes (La France insoumise, Parti socialiste) protestent également contre le texte, qui ne va pas assez loin selon eux. Le combat se poursuit même en face du Palais Bourbon : depuis le 29 mars, des dizaines de jeunes activistes se relaient pour maintenir une « permanence » et alerter les députés sur le manque d’ambition du projet de loi. Dans l’espoir d’obtenir, enfin, « une vraie loi Climat ».

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