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À l’écoute du brame du cerf, la nuit, au fond des bois

De mi-septembre à début novembre, le cerf en rut pousse un étonnant cri d’amour, à la fois rauque et guttural. Reporterre est allé écouter ce brame en forêt de Rambouillet en compagnie du naturaliste Grégoire Loïs. Voici le deuxième épisode de notre série « La balade du naturaliste ».

Ce reportage s’inscrit dans notre série La balade du naturaliste : une randonnée à la découverte d’une espèce ou d’un milieu exceptionnel, en compagnie d’une ou d’un passionné.


-  Forêt de Rambouillet (Yvelines), reportage

Le plus étrange, c’est de se retrouver en forêt la nuit tombée. Bien emmitouflés dans nos polaires, micro aux aguets, nous empruntons le chemin qui quitte la rue de la Tuilerie, à Auffargis (Yvelines), pour nous enfoncer dans le massif forestier de Rambouillet. Le ciel rougeoie vaguement — la faute de la pollution lumineuse reflétée par les nuages. Dans le silence à peine troublé par les stridulations des orthoptères (sauterelles, criquets et grillons) et le lointain passage d’un avion, le bruit de nos pas sur le gravier est assourdissant. Nous avons beau tendre l’oreille, pas encore de brame du cerf.

Une entrée de la forêt de Rambouillet.

Grégoire Loïs, responsable du programme de sciences participatives Vigie-Nature au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), ne désespère pas. « Les coups de brame les plus précoces sont entendus au début de l’été, les derniers début novembre », nous explique-t-il. La période la plus active s’étend du 15 septembre au 15 octobre. Ce vendredi 7 octobre, tous les espoirs sont donc permis. Surtout que les 200 kilomètres carrés de la forêt de Rambouillet, même traversés par la RN 10 et parsemés de zones pavillonnaires, se prêtent bien à l’exercice. « Avec ses boisements entrecoupés de grandes cultures fourragères, ce massif est très favorable aux grands cervidés. Ils y trouvent toute la nourriture dont ils ont besoin : bourgeons et jeunes pousses d’arbres et d’arbustes, herbe, graminées mais aussi maïs, colza et chanvre fourrager », décrit le naturaliste. Il connaît ce coin depuis qu’il y a effectué des points d’écoute pour des relevés de populations d’oiseaux, en mai et juin 1992 : « J’avais accès à tout, même si je devais faire des comptes-rendus aux gardes. J’ai croisé plein de sangliers, de lièvres, de renards, de chevreuils et de faisans, mais aussi de cervidés. » Une aubaine, pour ce grand amateur du brame du cerf, à l’affût depuis son enfance auprès des gardes-chasse.

Les cerfs se jettent l’un contre l’autre, ramures en avant

Toujours rien. Pas non plus de rouge-gorge ni de grive. Seuls les canards colverts cancanent, très fort et en chœur — « bizarre, parce que ce n’est pas du tout leur période de reproduction ». Nous nous asseyons dans un champ, en face d’un panneau « propriété privée ». « D’habitude, on entend les cerfs se bastonner juste derrière la haie, regrette Grégoire Loïs. Peut-être sont-ils fatigués. S’il avait plu pendant trois jours, ça les aurait obligés à se calmer et ils auraient repris de plus belle après. Mais là, l’herbe est sèche, il n’est quasiment rien tombé depuis deux ou trois semaines. » Comme pour le contredire, un coup de brame retentit quelques instants plus tard. Impossible de s’y tromper : ce cri profond, à la fois rauque et guttural, est caractéristique.

Deux femelles faisan vénéré.

Pourquoi le brame ? Ce drôle de chant est indissociable de la période de reproduction, également appelée le rut. Les cerfs atteignent leur maturité sexuelle à l’âge de 3 ans. Alors, « ils utilisent le brame pour marquer leur territoire et manifester leur excitation sexuelle, explique Grégoire Loïs. Le mâle se met à découvert et brame. Les femelles qui se trouvent à proximité se rapprochent. Les autres mâles aussi, ce qui entraîne des bagarres pour la reproduction avec le harem. » Pendant ces combats, les cerfs se jettent l’un contre l’autre, ramures en avant, dans le but de déstabiliser l’adversaire. « C’est extrêmement impressionnant, témoigne le naturaliste. Ils se courent après, se rentrent dedans, se courent après, se rerentrent dedans... On n’a pas envie de rester sur le chemin ! » Souvent, dans l’intensité de l’affrontement, les belligérants ne s’aperçoivent même pas que d’autres mâles profitent de la pagaille pour s’accoupler tranquillement avec les femelles… Les biches donnent ensuite naissance à leur faon une huitaine de mois plus tard, à la sortie de l’hiver.

Affrontement de cerfs mâles au moment du rut.

Nous reprenons notre marche en direction du brame, qui retentit régulièrement. Alors que nous nous apprêtons à traverser un champ en direction du bois, une voiture de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) s’approche. Le garde, un brin méfiant, nous demande de rester sur les chemins. Nous obtempérons. « Ils sont un peu stressés en ce moment, glisse Grégoire Loïs, une fois le véhicule reparti. Le brame du cerf, très populaire, peut attirer beaucoup de monde. Sans parler du braconnage : ici, ça va encore, mais à Chambord, certains viennent la nuit chercher des trophées. » À Rambouillet, la chasse au cerf est une tradition introduite au XVIe siècle par les rois de France. Elle est aujourd’hui autorisée — faute de prédateur naturel, les animaux prolifèrent — mais réglementée : « Pour avoir le droit de tirer un cervidé, il faut lui avoir acheté un bracelet avant, et il coûte assez cher, explique le naturaliste. On ne peut pas non plus tuer n’importe quel individu ». Cette saison, la chasse au cerf sera autorisée du 4 novembre 2016 au 27 février 2017, de 9 h à 17 h 30, les lundis à l’ouest de la RN 10 et les vendredis à l’est. Les nombres minimal et maximal d’individus à abattre sont déterminés par un plan de chasse faisant l’objet d’un arrêté préfectoral. Pour la saison 2015/2016, dans l’ensemble du département des Yvelines, les chasseurs devaient tuer entre 1.075 et 1.611 bêtes — un tiers de cerfs, un tiers de biches et un tiers de jeunes.

Nous sommes des intrus chez le peuple de la forêt

Nous poursuivons notre route sur une bande enherbée pour être le plus discret possible. Dans le noir, quand la vue n’exerce plus son quasi-monopole, les autres sens s’exacerbent : le contact des mottes de terre et des racines sous les semelles, les souffles et les craquements, les cris des animaux nocturnes et le vent dans les arbres… tout est ressenti plus intensément. À chaque pause, nous retenons notre souffle. Les brames, même étouffés par la distance, procurent un sentiment étrange : nous sommes des intrus chez le peuple de la forêt. Las ! Le chant rauque et puissant semble s’éloigner au fur et à mesure que nous avançons. Grégoire Loïs se console en imitant le cri de la souris, lequel provoque le chant de la hulotte : « Au début, c’était une femelle. Là, c’est un mâle, parce qu’il hulule — hou hou… »

Le cri de la hulotte.

De retour dans le plus grand champ, nous touchons presque au but : deux cerfs à couvert, l’un à gauche et l’autre à droite, se répondent en bramant, plus proches que jamais. Mais bientôt, le calme revient. À une heure du matin, il est temps de regagner les voitures. « De toute façon, ça m’étonnerait qu’ils se réveillent plus tard », confie Grégoire Loïs, un peu dépité, et surtout déçu de ne pas avoir vu de sangliers : « C’est vraiment cool à voir. Ici, il m’est arrivé d’observer des laies le nez dans la terre, tellement absorbées par la recherche de vers qu’elles ne faisaient pas attention à moi. Jusqu’à ce qu’une d’elles lève la tête, pousse un cri, et que tout le monde décampe ! » L’année prochaine, peut-être ?

Une mare dans le domaine de Rambouillet.

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