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ReportagePolitique

Arrestations, subventions coupées... Verfeil, un village sous surveillance

À Verfeil, village au bouillonnement associatif fort, des habitants disent être surveillés par la police.

Parmi les arrestations spectaculaires menées dans le cadre de l’enquête sur le sabotage d’une usine Lafarge, deux personnes ont été interpellées à Verfeil, en Tarn-et-Garonne. Des habitants dénoncent « l’ostracisme » dont ils font les frais au quotidien.

Verfeil-sur-Seye (Tarn-et-Garonne), reportage

Mercredi 5 juillet, 10 heures, le village de Verfeil, entre Albi et Cahors, s’éveille doucement. Dans la rue qui borde la place de la halle, quelques personnes prennent le soleil ou le café à la terrasse des Deux tontons zingueurs. Difficile d’imaginer qu’à quelques pas d’ici, un mois auparavant, soixante-dix policiers de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) et la sous-direction antiterroriste (Sdat) débarquaient cagoulés et armés pour interpeller deux personnes.

À l’heure où les enfants étaient emmenés à l’école, la scène a choqué les habitants du bourg. « Quand on a su qui avait été arrêté, on a halluciné. Ces jeunes femmes-là n’auraient pas fait de mal à une mouche », affirme Audrey Tavernier, la restauratrice. « On s’est sentis atteints personnellement par ces arrestations, dit Marie-Fernande Jacquesson, verfeillaise et ancienne maire de la commune. Comment justifier une telle violence ? »

Lire aussi : En France, une vague d’arrestations contre le mouvement écologiste radical

Le sujet est encore sur toutes les lèvres dans cette commune rurale du Tarn-et-Garonne. Dans le cadre d’une enquête ouverte à la suite des dégradations commises dans une usine du cimentier Lafarge dans les Bouches-du-Rhône, une quinzaine d’arrestations ont été réalisées simultanément le 5 juin dernier à Marseille, Montreuil, Dijon, Lyon, Toulouse, Bayonne… ainsi qu’à Verfeil, 450 habitants, et à Caylus, commune voisine de 1 500 administrés. Les deux personnes arrêtées ont été libérées après 80 heures de garde à vue sans motif.

Cette vague d’interpellations, qui a été suivie d’une seconde le 20 juin, marque la volonté de l’État de réprimer une forme de militantisme écologique et notamment Les Soulèvements de la Terre. La dissolution de ce mouvement a été annoncée par le ministre de l’Intérieur le 21 juin.

Des habitants de Verfeil prennent un verre au café associatif La Maison de la halle. © Alain Pitton / Reporterre

Dans ce village au vif bouillonnement associatif, cela résonne : Verfeil pourrait bien être dans le collimateur de la préfecture, ce qui expliquerait le sentiment de surveillance des habitants, les contrôles fréquents et inopinés des pouvoirs publics, les faux-bonds faits aux associations.

Des « consignes hiérarchiques et politiques »

Un communiqué écrit par une dizaine de Verfeillais du milieu culturel et associatif et signé par une centaine d’autres dénonce « des entraves et des discriminations » dont souffre une partie des habitants et des associations depuis deux ans environ. Ici, une promesse de mécénat au café associatif n’a finalement pas été tenue, là des compagnies artistiques ont été déréférencées d’une structure financée par le conseil départemental et la direction régionale des affaires culturelles (Drac) [1]… Plusieurs agents administratifs expliquent en sous-main « se plier à des consignes hiérarchiques et politiques ». L’un d’eux a conseillé à une réalisatrice de ne pas domicilier son projet de festival à Verfeil. Des difficultés d’accès à l’emploi ou au logement sont aussi évoquées. Cette somme de signaux mis bout à bout devient insupportable.

Les habitants attestent aussi d’une forme de « surveillance » du village, à travers des contrôles de gendarmes insistants. Une situation qui remonte à l’époque de Sivens — où s’est tenue une lutte contre la construction d’un barrage destiné à l’irrigation, situé à moins d’une heure du village — et qui a forci au moment de la crise sanitaire. Récemment, un café associatif et une recyclerie ont subi un contrôle inopiné sur la commune voisine de Varen : au Boui-boui, l’Urssaf a débarqué en début de soirée, et un contrôle d’identité des clients a été effectué.

La rue principale de Verfeil : à droite, La Maison de la Halle, à gauche, la halle du village. © Alain Pitton / Reporterre

Pour comprendre pourquoi les administrations leur tournent le dos, les Verfeillais ont interpelé le maire, Didier Chardenet, leur députée socialiste, Valérie Rabault, ou encore le préfet du Tarn-et-Garonne, Vincent Roberti. En vain.

Café, jardins, ludothèque... une effervescence associative

Comment un tel climat de suspicion s’est-il installé ? Il n’y a qu’à écouter les rumeurs qui reviennent aux oreilles des villageois pour comprendre. Verfeil serait « le repaire de dangereux séparatistes-gauchistes-zadistes-fichés S, voire d’une secte impénétrable, et pour alimenter ces groupes, les associations locales rivaliseraient d’astuces pour détourner des fonds », ironisent les habitants dans le communiqué.

« Que l’on soit un lieu alternatif, oui, explique Stephan, habitant de l’écohameau construit en périphérie du bourg. Mais pas un lieu où des militants radicaux sont en train de construire un bastion imprenable. » La commune est située dans un « triangle d’or » dessiné sur le Tarn-et-Garonne, le Tarn, l’Aveyron et le Lot où la mouvance altermondialiste et écologiste est vivace.

Charles et Audrey Tavernier, gérants du café-restaurant Les Deux tontons zingueurs à Verfeil. © Alain Pitton / Reporterre

Mais Verfeil se caractérise moins par son esprit militant que par l’effervescence associative qui y règne. « Il y a de fortes dynamiques collectives, qui s’appuient sur des locaux achetés par des structures d’intérêt général », explique Quentin Denys, un jeune Verfeillais qui s’est spécialisé dans le droit des biens communs fonciers. Le village compte ainsi un café associatif, des jardins collectifs, un atelier métal, une ludothèque ou encore une friperie. Une dynamique visiblement attractive : entre 2013 et 2020, la commune a gagné une centaine d’habitants dont beaucoup de familles pour s’établir à 426 personnes.

Camille, métallier dans l’atelier associatif au rez-de-chaussée d’une maison que la mairie, sous l’impulsion de Didier Chardenet, voulait préempter. © Alain Pitton / Reporterre

Quid de l’accusation de sectarisme ? L’installation il y a une dizaine d’années d’un groupe de jeunes dont certains ayant vécu dans la communauté Longo Maï a suffi à faire courir ce bruit. Les villageois questionnés sur le sujet lèvent les yeux au ciel.

Parmi les « bruits » qui circulent, des soupçons de détournements de fonds : certains s’interrogeraient sur l’origine de l’argent qui permet aux associations d’acheter des biens immobiliers — logements et lieux collectifs. « Les associations peuvent avoir des fonds et des financements pour mettre en place des projets, explique François Poux, conseiller municipal de Verfeil et militant associatif pour Alternatiba et ANV-COP21. Je ne ferai pas de suppositions sur les intentions de ces associations. » Contacté à ce sujet, le parquet de Montauban n’a pas donné suite à notre demande d’entretien.

« Comment justifier une telle violence ? » interroge Marie-Fernande Jacquesson, Verfeillaise et ancienne maire de la commune. © Alain Pitton / Reporterre

Un climat de suspicion entretenu par le maire

Ces « rumeurs » ne semblent pas être remises en cause par le maire. Selon Didier Chardenet, la population à Verfeil « s’est radicalisée ». « On sait qu’il y a beaucoup de gens qui appartiennent au mouvement ultracontestataire écologiste, dit-il. Certains néoruraux s’installent et veulent imposer leur mode de vie. »

Entre l’élu et une partie des habitants actifs dans les associations du centre-bourg, le divorce est consommé. Plusieurs conseillers d’opposition sont d’ailleurs partis en claquant la porte. L’un des sujets de dissension réside dans le logement. Des biens mis à la vente et que la mairie a tenté de préempter ont finalement été retirés par les propriétaires pour être proposés à des structures associatives qui souhaitaient elles aussi les acquérir. « La mairie s’est fait flouer », dit Didier Chardenet, qui pense que les propriétaires cédant leur bien se sont fait manipuler. « Il a peur d’une colonisation », répond-on du côté des habitants.

Le maire de Verfeil, Didier Chardenet. © Alain Pitton / Reporterre

Les canaux de communication semblent rompus. Charles Tavernier, le patron des Deux tontons zingueurs depuis un an, a su réunir tous les habitants dans son bistro, les néoruraux, les gens du cru, les agriculteurs, les habitants de l’écohameau… Tous, sauf un : le maire. « On le voit rarement au village depuis qu’on est arrivés », indique le restaurateur. Depuis son bureau ou dans sa maison située en périphérie du centre-bourg, Didier Chardenet serait-il bien en prise avec les réalités du village ? « Oui, il y a des décalages culturels entre différents groupes de Verfeillais, mais les fêtes de village se passent bien, il y a peu de conflits, les gens sont solidaires », assure Quentin Denys.

« Le premier magistrat de la commune devrait aussi être son premier défenseur, estime pour sa part François Poux, l’un des deux conseillers municipaux d’opposition. Je pense qu’il y a une méconnaissance et une incompréhension totale de la mairie autour de ces associations qui portent des alternatives. »

De l’incompréhension à la suspicion, il n’y a qu’un pas. Et les soupçons peuvent vite remonter au niveau de la préfecture. Le préfet s’est récemment rendu dans le bureau du maire de Verfeil. « Une réunion déjà prévue du temps de l’ancienne préfète, sans aucun lien avec les arrestations de juin », assure Didier Chardenet. La préfecture n’a pas souhaité répondre à nos questions.

« L’État devient paranoïaque et prend des gens pour une menace »

Ces événements font écho à ceux vécus dans les communes du plateau de Millevaches, qui depuis « l’affaire Tarnac » sont une cible du gouvernement contre la mouvance d’ultragauche et écologiste en milieu rural. Dans l’ex-région du Limousin, en plus de la surveillance disproportionnée des gendarmes, des associations ont subi des coupes de subventions, notamment au prétexte du « non-respect du contrat d’engagement républicain », instauré par la loi Séparatisme.

« Ce qui touche les militants écologistes et les habitants de ce territoire, c’est ce qui touche les quartiers populaires, bien que l’intensité ne soit pas la même, analyse une source locale qui souhaite rester anonyme. L’État devient paranoïaque et prend des gens pour une menace, au point de refuser de subventionner une crèche. » « Mais ces discriminations sont très compliquées à prouver, observe François Poux. Les associations n’ont avec elles qu’un faisceau d’indices. » En rendant publics leurs questionnements, les Verfeillais espèrent en tout cas inciter d’autres « territoires subissant un sort comparable […] à sortir du silence ».


DROIT DEPONSE DE LA MAIRIE DE VERFEIL-SUR-SEYE

Nous avons reçu le droit de réponse suivant de Didier Chardenet, maire de Verfeil-Sur-Seye

L’article précité me met personnellement en cause concernant de supposées discriminations dont souffriraient « un collectif » verfeillais.

Dans cet article il est beaucoup de question de rumeurs, de on-dit, de sentiments sans jamais dire qui les subit ni en quoi elles consistent.

Lorsque j’ai donné mon accord pour l’interview (je signale que je suis la seule personne « en responsabilité » à avoir accepté de recevoir les journalistes), je ne me faisais aucune illusion sur l’orientation politique que celle-ci prendrait.

C’est pourquoi j’ai tenu à être très précis dans mes propos, précisions quelque peu omises dans l’article finalement paru.

Je souhaite donc apporter quelques commentaires et rectificatifs aux écrits uniquement me concernant.

Quant au fond, je laisse chacun en juger.

En premier lieu, je conseille à Charles et Audrey, propriétaire du restaurant, de consulter rapidement pour s’assurer qu’ils ne souffrent pas d’un début d’Alzheimer, et je sais de quoi je parle.

J’ai déjeuné à plusieurs reprises dans leur établissement, le midi avec les employés de la Mairie et autres invités, mais aussi pour des soirées organisées entre amis.

Plus sérieusement, je n’ai pas connaissance de « contrôles fréquents et inopinés des pouvoirs publics » sur le village ?

Personne ne s’en est ouvert ni plaint à la Mairie.

Je n’ai pas plus connaissance « des entraves et des discriminations dont souffrent une partie des habitants et des associations depuis plus de 2 ans », ni « des difficultés d’accès à l’emploi ou au logement…signaux insupportables » et encore moins « des contrôles de gendarmerie insistants ».

Beaucoup de « on-dit » infondés qui alimentent à coup sûr la désinformation des verfeillais.
Concernant l’accès à l’emploi, il n’y a qu’à consulter le site de Pôle Emploi pour constater que dans un rayon de 30 km autour de Verfeil environ 200 CDI temps complet sont proposés en permanence.

Je ne vois pas qui et pourquoi on empêcherait celle ou celui qui souhaite travailler de postuler ?

A la Mairie, nous proposons parfois des emplois PEC de 20h/s pour une durée de 2 ans et nous ne recevons qu’1 ou 2 CV des habitants de la commune.

S’agissant plus particulièrement du logement et des préemptions, mes propos n’ont pas été rapportés honnêtement.

J’ai pris le soin d’expliquer que nous avions dès 2020, avec mon prédécesseur, réussi à convaincre Tarn et Garonne Habitat (TGH), bailleur social du département, de réaliser 5 logements sociaux neufs en centre bourg et gratuits pour la commune.

Que ce projet avait dû être abandonné suite à une fronde et une pétition pilotée par notre opposition de l’époque, pétition signée par 160 personnes dont la plupart des verfeillais qui auraient dû bénéficier de ces logements.

L’argument principal mis en avant était le manque d’information sur le programme alors que j’avais organisé une concertation citoyenne élargie au travers de la Commission municipale ad’hoc à laquelle aucun des signataires de la pétition n’a souhaité participer.

Les préemptions que j’ai souhaitées réaliser par la suite, n’avaient d’autre objectif que de pouvoir réaliser enfin des logements sociaux tant réclamés, dans les immeubles acquis, en compensation du programme TGH abandonné et non de nuire à qui que ce soit.

Voilà la réalité et les raisons pour lesquelles aucun logement n’a pu se créer malgré note volonté.

Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude.

Quant aux « associations qui souhaitaient acquérir ces biens » voilà encore une affirmation fausse puisque les acquéreurs déclarés de ces biens étaient des personnes physiques.

Je maintiens par ailleurs que la Mairie et les verfeillais se sont fait flouer dans ces affaires.

Au sujet des financements des associations communales, j’ai indiqué que j’avais augmenté la dotation globale 2023 de 15%.

Je n’ai donc jamais souhaité leur couper les vivres.

Enfin, pour répondre à Mr POUX, je suis bien le premier défenseur de la commune dans toutes les instances auxquelles je participe.

Je rappelle que nous avons obtenu depuis 3 ans environ 100 k€ de subventions pour réaliser des travaux ce qui ne serait pas arrivé si je n’avais pas défendu notre belle commune.
Pour finir, je réfute totalement, comme cela est écrit, « entretenir un climat de suspicion » envers qui que ce soit.

Je continuerai donc à encourager le bien vivre ensemble en luttant contre l’entre-soi et le communautarisme.

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