Affaire Lafarge : des mises en examen pour « étouffer » le mouvement écologiste

Un manifestant brandit un message de soutien aux arretés de Lafarge, lors de la manifestation contre la réforme des retraites le 6 juin 2023. - © Jeremie Lusseau / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
Un manifestant brandit un message de soutien aux arretés de Lafarge, lors de la manifestation contre la réforme des retraites le 6 juin 2023. - © Jeremie Lusseau / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP
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Luttes Justice LibertésDeux personnes ont été mises en examen le 11 juillet, dans le cadre de l’affaire du sabotage de l’usine Lafarge. Devant le tribunal d’Aix-en-Provence, les militants venus en soutien ont dénoncé l’intensification de la répression policière.
Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), reportage
Cela fait trois jours qu’un dôme de chaleur s’est installé au-dessus de la Provence. La canicule est là, pire que celle de l’année dernière. Sur l’esplanade minérale du tribunal d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), la chaleur avoisine les 40 °C. Cela n’a pas empêché une grosse centaine de militants, depuis Extinction Rebellion jusqu’à la Ligue des droits de l’Homme en passant par la Confédération paysanne, d’accompagner deux prévenus, un homme et une femme, convoqués par la juge d’instruction Laure Delsupexhe dans le cadre de « l’affaire Lafarge ».
Une des usines du cimentier, située à Bouc-Bel-Air, près de Marseille, a été « désarmée » le 10 décembre dernier par 150 à 200 militants écologistes, qui ont revendiqué leur action dans un communiqué relayé par Les Soulèvements de la Terre, mouvement dissous le 21 juin. Une heure après leur entrée dans le tribunal, les deux prévenus ont finalement été mis en examen. La première pour « association de malfaiteurs », et « dégradation aggravée en bande en organisée » pour l’incendie de véhicules de chantier, avec un contrôle judiciaire (interdiction d’apparition dans les Bouches-du-Rhône, de manifestation près d’un site Lafarge et de toute communication avec l’autre prévenu). Le second prévenu, le photojournaliste Joan Jäger, a été lui aussi mis en examen pour association de malfaiteurs et dégradation en bande organisée.

Tous deux font partie de vagues d’arrestations survenues les 5 et 20 juin dans toute la France. Plus d’une trentaine de personnes soupçonnées par la police d’avoir dégradé la cimenterie — dont les deux aujourd’hui mises en examen — avaient été interpellées avec des moyens démesurés : portes défoncées au petit matin, mobilisation de la SDAT (Sous-direction antiterroriste de la Direction centrale de la police judiciaire), gardes à vue de quatre jours.
« On essaie d’étouffer les mouvements écologistes »
Quelques minutes avant d’entrer dans le tribunal, Martha s’est longuement exprimée devant la petite foule, racontant les conditions de son arrestation. Elle témoigne de la dureté des 96 heures de sa garde à vue à la brigade antiterroriste, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). « À la fin, on m’a bandé les yeux afin de me déposer dans une rue inconnue », raconte-t-elle, arrachant un cri de colère de la part de la foule. Elle dénonce un pouvoir qui « tolère une écologie des mesurettes et [qui] condamne celle qui tente de visibiliser les responsables de la dégradation générale des conditions de vie sur Terre en cours et à venir ».
La jeune femme rappelle aussi les poursuites actuelles à l’encontre de Lafarge, pour complicité de crimes contre l’humanité, ainsi que la présence de l’usine de Bouc-Bel-Air parmi les cinquante sites les plus polluants de France. Elle attaque enfin les méthodes d’enquête des services de police : « Dans ce dossier, quand ils ne savent pas, c’est qu’il y a infraction, et quand ils ne voient pas, c’est qu’il y a conspiration. » Dans l’auditoire, Sylvain, qui fait partie des Faucheurs volontaires, peste dans son coin : « Je suis là parce que je suis très choqué de la montée en puissance de la répression et de sa judiciarisation. Il y a eu un glissement de moyens d’exception qui sont devenus des moyens de droit commun. »
« On assiste au retour d’une police politique »
Benjamin Rosoux, un des anciens de Tarnac venu apporter son soutien aux deux prévenus, confirme : « L’affaire de Tarnac est un des grands fiascos de l’antiterrorisme. Le procès a été celui de l’antiterrorisme plus que celui des inculpés ! Alors pendant un temps, la section antiterroriste et la DGSI [1] ont fait profil bas dans le domaine de la contestation intérieure. Mais aujourd’hui, on assiste au retour de cette police politique, dans le sens où il y a une porosité entre le renseignement et la police judiciaire. » Et d’ajouter : « Le fiasco de Tarnac n’était pas un dérapage : les moyens de police d’exception sont en train de devenir réguliers. C’est une torsion de l’État de droit. » « On sait que quand on est militant, ça peut nous arriver à nous aussi. La répression est trop forte », s’inquiète Valentin, tout jeune militant.
Beaucoup de militants étaient également présents pour continuer de protester contre la dissolution des Soulèvements de la Terre, le 21 juin. Adèle Planchard est venue en tant qu’ancienne des 150 000 militants du mouvement, rappelant l’« urgence de mettre un coup de frein à certaines des industries les plus toxiques du pays ». Pour elle, « on essaie clairement d’étouffer les mouvements écologistes en France ». Pourtant, elle assure que les inculpés ne sont pas seuls et isolés : ils font au contraire partie d’« un mouvement diffus dans tout le pays, qui les soutiendra ».