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ReportageClimat

Coupe du monde de rugby : le parrainage indécent de TotalÉnergies gâche la fête

Des activistes de Greenpeace ont organisé une action devant le Stade de France pour l’ouverture de la Coupe du monde de rugby. Ils dénonçaient le parrainage de la Coupe par la multinationale climaticide TotalÉnergies.

Esplanade du Stade de France, Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), reportage

« Le rugby, c’est mieux sans TotalÉnergies ! » Il était 19 h 40, vendredi 8 septembre, quand ce slogan a été prononcé sur l’esplanade du Stade de France, où allait s’ouvrir la Coupe du monde de rugby 2023. Une douzaine de militants de Greenpeace venaient de se frayer un chemin parmi les supporters en bleu blanc rouge, qui se rendaient au match opposant le XV de France aux All Blacks de la Nouvelle-Zélande.

Sous une chaleur écrasante et après quelques minutes d’indécision, les militants ont exhibé des t-shirt rouges « Ensemble, plaquons Total » et « TotalÉnergies, sponsor climaticide ».

Leur objectif : dénoncer le sponsoring du Mondial par le géant pétrolier. « Derrière son joli logo multicolore, cette multinationale réalise des profits records en produisant des énergies fossiles, qui sont le moteur du changement climatique », s’indigne Fabrice, militant de Greenpeace. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’industrie fossile, dont Total est l’un des étendards, est responsable de 86 % des émissions de CO₂.

Sous une chaleur écrasante, les militants ont enfilé des t-shirts rouges « Ensemble, plaquons Total » et « TotalEnergies, sponsor climaticide ». © Nnoman Cadoret / Reporterre

Lucie, Nicole, Olivier et Françoise, tous bénévoles, sont allés à la rencontre des supporters, et leur ont distribué des éventails « Cap sur le chaos climatique. From Total with love ». La plupart des fans se sont montrés indifférents, mais quelques-uns ont répondu par des encouragements. Comme Simon, 29 ans : « Vous avez raison ! », leur a-t-il adressé, un peu pompette.

« On va droit dans le mur, et pourtant l’industrie fossile occupe toujours énormément de terrain »

Le jeune homme, vêtu d’un maillot de l’équipe de France de rugby, a dit son « anxiété » à Reporterre : « On va droit dans le mur, et pourtant l’industrie fossile occupe toujours énormément de terrain, jusqu’aux sports que l’on aime. » « Dépêche Simon, on rentre maintenant », l’a ensuite pressé un camarade.

Des tracts et des éventails ont été distribués aux supporters. © Nnoman Cadoret / Reporterre

La manifestation n’a pas fait long feu. Au bout de dix minutes, une trentaine de gendarmes mobiles et de policiers de la Brav-M ont encerclé un groupe de sept activistes, près de la porte X. Ils les ont verbalisés et retenus pendant 45 minutes derrière un bâtiment modulaire.

C’est là que les militants ont vécu le spectacle des avions de la patrouille de France et le feu d’artifice de la cérémonie d’ouverture, sur un air de Peña Baiona, avant d’être reconduits jusqu’à la station de RER.

« Pas une grande surprise », a reconnu Fabrice, car les militants se savaient attendus. La Coupe du monde de rugby est vécue par l’exécutif comme un crash-test sécuritaire en mondiovision, à mi-chemin entre le fiasco de la finale de la Ligue des champions et les Jeux olympiques 2024.

« Ce soir, je n’en ai rien à faire »

Stéphane, supporter de l’équipe de France, s’empressait de rejoindre sa tribune quand les activistes se sont fait repousser : « Ces actions, c’est un concentré de connerie, a-t-il grommelé. Quand on a la chance d’être en France et de pouvoir vivre un tel évènement, ce n’est pas le bon moment pour nous emmerder. »

Avant de passer le contrôle des billets, il ajoute : « Est-ce que Total fait assez ? Probablement pas ! Mais ce soir, je n’en ai rien à faire. »

La patrouille de France est passée au-dessus du stade avant le coup d’envoi. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Dans les campagnes de publicité qu’elle a élaborées pour la compétition, TotalÉnergies se targue de rassembler « toutes les énergies pour marquer l’essai de la transition énergétique ». « En réalité, 99,7 % de sa production repose encore sur les énergies fossiles ! » rappelle Lucie, qui a rangé son t-shirt rouge.

Malgré les recommandations de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui appelait en 2021 à renoncer immédiatement à tout nouveau projet de développement de champs pétroliers et gaziers pour respecter l’Accord de Paris, la multinationale continue d’explorer et d’ouvrir de nouveaux champs pétroliers et gaziers.

Elsa, une autre militante qui a échappé aux forces de l’ordre, souligne les effets de cet entêtement : plusieurs États insulaires engagés dans la compétition, « comme les Samoa, les Fidji et les Tonga », sont directement menacés par le business de Total.

« Voir TotalÉnergies s’afficher au cœur des stades, c’est indécent comme Malboro qui sponsoriserait un marathon, estime-t-elle. En l’absence d’une réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre, les effets du changement climatique — montée des eaux, cyclones, destructions des coraux — vont rapidement rendre ces îles inhabitables ! »

Aux Fidji, des dizaines de villages sont proches d’être submergés et en mai dernier, la Première ministre de Samoa Fiame Naomi Mata’afa a lancé un appel désespéré aux gouvernements du monde entier.

Les militants ont été retenus à l’abri des regards avant d’être reconduits au RER. © Nnoman Cadoret / Reporterre

D’autres pays participants voient leurs écosystèmes directement menacés par TotalÉnergies. En Afrique du Sud, tenante du titre, la compagnie développe un projet de champs gaziers qui pourraient saccager les écosystèmes marins et les revenus des pêcheurs artisanaux. En Patagonie argentine, la multinationale participe à l’exploitation du gisement de Vaca Muerta, où la roche est fracturée pour récupérer le gaz et le pétrole de schiste — une pratique interdite en France.

Place de la Concorde au « village rugby » de Paris, une autre équipe de Greenpeace était dépêchée auprès des dizaines de milliers de supporters qui visionnaient le match. Malgré le soutien d’élus écologistes, les militants ont aussi été chassés.

Des supporters, amusés par la présence des activistes, ont fait des selfies. © Nnoman Cadoret / Reporterre

Ces actions simultanées s’inscrivaient dans une campagne menée depuis de longs mois par Greenpeace, sous plusieurs formes : lettres aux décideurs, pétitions, tribunes, rassemblements.

Mercredi 30 août, l’ONG a publié une vidéo d’animation pour illustrer qu’en 3 heures et 37 minutes, l’industrie des énergies fossiles produit assez de pétrole pour remplir une enceinte comme le Stade de France. Des tonnes de pétrole se déversaient du logo de TotalÉnergies, ensevelissant joueurs et supporters :

Si TotalÉnergies a été maintenu comme sponsor de la compétition, ce travail a tout de même porté ses fruits : après Paris, Lyon et Lille, la ville de Nantes s’est engagée le vendredi 8 septembre à ce que la multinationale ne soit pas présente dans son « village rugby ».

Tout au long de la compétition, l’ONG continuera d’envoyer ses troupes dans les villes hôtes du Mondial, Saint-Denis, Nantes, Lille ou encore Marseille. « L’idée n’est pas d’écœurer le public du rugby ou de gâcher cette belle fête, précise Fabrice, après la victoire de l’Équipe de France (27-13). Mais nous nous devons de rappeler, même de manière festive, cette réalité : en participant un évènement si populaire, TotalÉnergies déploie une stratégie d’influence bien rodée pour maintenir l’acceptabilité sociale de son modèle dépassé. » « Aux organisateurs de mettre fin à ces partenariats toxiques », conclut-il.

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