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Endométriose : ces femmes qui tentent de dépolluer leur environnement

Peu aidées par la médecine classique, qui tâtonne encore, certaines femmes touchées par l’endométriose se tournent vers des solutions alternatives : régime alimentaire anti-inflammatoire, mode de vie exempt de polluants...

Vous lisez « L’endométriose, une maladie gynécologique stimulée par la pollution ». La première partie de l’enquête est à lire ici.


Trente ans d’études scientifiques sur le lien entre endométriose [1] et exposition à certains polluants, une liste de plus en plus précise de substances chimiques soupçonnées – PCB, dioxines, pesticides organochlorés –, une maladie gynécologique particulièrement douloureuse et invalidante qui touche une à deux femmes sur dix et… rien, ou presque. La stratégie nationale de lutte contre l’endométriose lancée en février 2022, et plus encore la mobilisation croissante des femmes [2] touchées dans les médias et sur les réseaux ces dernières années, ont permis d’améliorer l’information sur cette pathologie. Mais sa dimension environnementale reste encore largement en dehors des radars, malgré l’intérêt croissant qu’elle suscite chez ces femmes et certains soignants.

Pour cette enquête, Reporterre a interrogé une trentaine de femmes atteintes d’endométriose. Certes, une part importante d’entre elles n’avaient jamais entendu parler du lien possible entre leur maladie et l’exposition à certains polluants. « Nous ne sommes pas spécialement questionnés à ce sujet, confirme à Reporterre Nathalie Clary, ex-présidente de l’association Endomind. Les femmes s’adressent à nous pour être orientées vers les bons professionnels de santé ou obtenir de l’aide au quotidien, plutôt que pour être renseignées sur les causes de la maladie. » Mais le facteur de risque environnemental est de plus en plus connu et débattu, notamment au sein de groupes de malades sur les réseaux sociaux.

Chez les personnes souffrant d’endométriose, une partie des tissus utérins migre, prolifère et saigne de manière anormale autour des ovaires, sur la paroi qui entoure les viscères voire sur certains organes comme la vessie et les intestins. © R. Dewaele (Bioscope, Unige), J. Abdulcadir (HUG), C. Brockmann (Bioscope, Unige), O. Fillod, S. Valera-Kummer (DIP) / CC by SA

La start-up Lyv, qui délivre des conseils pour « faire face à l’endométriose au quotidien » sur une plate-forme numérique, a sondé sa communauté Instagram à ce sujet en avril. Sur les 81 répondantes, 55 – 68 % – avaient déjà entendu parler d’un lien éventuel entre endométriose et exposition à certains polluants. Sur le groupe Facebook privé EndoCorp’s, où s’échangent des conseils pour soulager l’endométriose « au naturel », les membres s’interrogent. « J’ai développé une forte endométriose et je suis chimiste organicienne. Au cours de ma thèse et des années qui ont suivi, j’ai manipulé des produits très dangereux, CMR [cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction], etc. dans des labos qui n’étaient pas aux normes », raconte l’une d’elles. « Je suis fille d’agriculteurs et j’ai vécu entourée d’exploitations agricoles durant toute mon enfance. Ma mère a eu un cancer du côlon, mon père est décédé d’un cancer digestif en janvier et moi j’ai une endométriose avec adénomyose [endométriose interne au muscle utérin] », confie une autre. « Je suis née sur l’échangeur de la porte de Bagnolet, mon école primaire donnait sur le périphérique puis sur la quatre voies du boulevard de Sébastopol », écrit une troisième. « Je suis photographe et laborantine, et manipule et inhale des produits de développement depuis mes seize ans », « je me pose la question de la composition des couches pour bébés », « mon papa travaillait à l’usine AZF »… Si ces doutes ne sont pas toujours fondés — au regard de la liste précise de polluants soupçonnés d’être en lien avec l’endométriose établie par les scientifiques —, ils témoignent d’une angoisse légitime.

Régime alimentaire anti-inflammatoire, sans gluten ou produits laitiers

Certaines des membres de ce groupe et des femmes interrogées par Reporterre sont même allées jusqu’à bannir toute une série de produits et d’habitudes susceptibles de les exposer à des polluants dangereux. « Je ne stocke plus d’aliments dans des boîtes en plastique. Pour mon petit garçon, né d’une FIV [fécondation in vitro], je n’achète que des petits pots en verre. Je fais très attention aux pesticides, je m’approvisionne chez un maraîcher voisin et je privilégie les vins bio et nature. J’achète en priorité des petits poissons pour éviter la contamination au mercure, de la viande bio élevée sans antibiotiques et jambon blanc sans nitrites », énumère d’un trait Charlotte, 36 ans, psychologue à Paris. La jeune femme n’utilise plus que des cosmétiques bio, a arrêté le vernis à ongles et la coloration pour cheveux, achète sa lessive en vrac et la stocke dans des bouteilles en verre. « Je fais du yoga, consulte un ostéopathe et un acupuncteur. Nous avons aussi demandé une mutation professionnelle pour mars 2023 parce que nous sommes préoccupés par la pollution de l’air », complète-t-elle. D’autres ont opté pour un régime alimentaire anti-inflammatoire, et écarté de leur assiette gluten, produits laitiers, phytoœstrogènes [3], gras saturé et sucre raffiné.

« Prendre ma santé en main après le diagnostic a amélioré mon bien-être »

Si certaines ont observé des améliorations de leur état de santé, les femmes interrogées assurent n’avoir aucune certitude sur le lien entre leur endométriose et leurs expositions et n’attendent pas de miracle de ce mode de vie exemplaire. « Je ne conçois pas ces pratiques comme un remède, mais j’ai l’impression que les perturbateurs endocriniens pourraient entretenir la maladie et l’inflammation. Et étrangement, le fait de prendre ma santé en main après le diagnostic a amélioré mon bien-être », explique Charlotte. D’autres n’ont pas adopté ces habitudes spécifiquement contre leur endométriose, mais dans une démarche plus générale de prendre soin de leur santé et de celle de leurs proches. « C’est plus pour mes enfants que pour moi-même que j’ai réduit les pollutions chimiques, témoigne Sophie, 39 ans, mère au foyer en Normandie. J’en parle aussi à mes proches, surtout aux mères de petites filles et à mes nièces adolescentes. »

« Aucun de mes gynécologues ne s’est intéressé à l’aspect environnemental »

Qu’en disent les professionnels de santé ? Les attitudes sont variées. Certains n’hésitent pas à aborder le sujet avec leurs patientes. C’est le cas de l’équipe du centre d’endométriose de Genève en Suisse où est suivie Gwendoline. « On m’y a expliqué que mon endométriose pouvait être en partie causée par l’exposition de ma mère à certains polluants pendant qu’elle m’attendait, raconte à Reporterre l’assistante administrative âgée de 30 ans. Le médecin m’a aussi posé diverses questions sur mon mode de vie et m’a encouragée à poursuivre mes efforts de réduction des polluants. » Mais la plupart des femmes interrogées déplorent l’ignorance et le manque d’intérêt de leurs soignants. « J’ai consulté de nombreux gynécologues réputés. Jamais aucun ne s’est intéressé à cet aspect environnemental, alors que je l’ai moi-même évoqué et que je viens d’une région viticole », témoigne une membre d’EndoCorp’s.

Pas étonnant, répliquent les principaux intéressés, au regard de leur manque de formation sur l’endométriose. « À mon époque, il n’y avait d’enseignement ni sur l’endométriose, ni sur l’exposition aux polluants. Aujourd’hui encore, des initiatives locales émergent mais rien de structuré », raconte à Reporterre le Dr Peter Von Theobald, gynécologue et spécialiste de l’endométriose au centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Denis à La Réunion, lui-même enseignant en médecine. De fait, l’endométriose a été intégrée à la formation des étudiants en médecine par un arrêté du ministère de l’Enseignement et de la Recherche de septembre 2020. Un enseignement que l’association EndoFrance réclamait depuis… 2005.

Plus fondamentalement, ce sont deux cultures qui semblent s’affronter. L’une, profane, de femmes touchées par la maladie qui se soutiennent, s’informent par leurs propres moyens — médias, livres, soignants alternatifs, réseaux sociaux — et se conseillent entre elles ; l’autre, médicale et scientifique, de soignants qui répugnent à conseiller des traitements ou des pratiques dont l’efficacité n’aurait pas été rigoureusement prouvée. De fait, la recherche n’est pas suffisamment avancée pour dire s’il est, ou non, utile de se protéger de certains polluants pour freiner voire soigner son endométriose. « Une dizaine d’études suggèrent un lien entre exposition aux PCB et aux composants organochlorés proches des dioxines, et croissance des lésions d’endométriose et donc progression de la maladie chez des rongeurs et des primates, rapporte à Reporterre Marina Kvaskoff, épidémiologiste et chercheuse à l’Inserm. Mais on ne peut pas extrapoler ces résultats aux humains. De manière générale, en science, on reste très prudent sur ce qu’on n’a pas démontré. »

Le Dr Stéphane Ploteau, gynécologue au CHU de Nantes, a soutenu une thèse sur le lien entre polluants organiques persistants et endométriose. Pour évaluer le niveau d’exposition de ses patientes, il a analysé des échantillons de leur graisse. Le résultat de ce travail le rend sceptique sur de possibles effets bénéfiques d’un changement de mode de vie chez les femmes touchées. « Les polluants organiques persistants s’accumulent pendant des années dans le tissu adipeux. Ils sont ensuite relargués dans la circulation sanguine », explique-t-il à Reporterre. Une femme qui bannirait toute trace de contaminant dans son environnement continuerait donc à s’autocontaminer elle-même pendant des mois voire des années…

« Les médecines alternatives peuvent être très efficaces »

Avec des approches parfois si différentes de la santé en général et de la santé environnementale en particulier, il peut être difficile pour les patientes et leurs médecins de s’entendre. Notamment sur le traitement à suivre. « J’ai commencé à prendre la pilule à 17 ans. Elle m’a rendue très malade. Je l’ai arrêtée, et c’est alors que mes règles sont devenues douloureuses. Maintenant que j’ai de l’endométriose, le médecin me conseille de prendre la pilule pour l’atténuer – alors même que je pense que mon endométriose est liée à cette première pilule un peu pourrie », se plaint Flora, Parisienne de 31 ans. L’artiste plasticienne, menuisière et animatrice culturelle, par ailleurs lesbienne et militante politique, s’est finalement résolue à un traitement hormonal qui supprime totalement son cycle. « L’endométriose est une maladie hormonodépendante dont le traitement, conformément aux connaissances scientifiques et aux recommandations de 2018, repose sur la prise d’hormones, confirme le Dr Ploteau. Or, actuellement, une grande part de nos patientes ne souhaite pas prendre d’hormones. Je le respecte tout à fait, mais je suis bien obligé de leur expliquer que ces traitements sont là pour les soulager et surtout freiner l’évolution de la maladie. »

Cela dit, les choses bougent. Le Dr Ploteau est ainsi convaincu de l’efficacité de certaines méthodes alternatives telles que l’alimentation anti-inflammatoire. Pour le gynécologue, ces traitements ne jouent pas sur l’endométriose elle-même, mais sur le syndrome d’hypersensibilisation qui peut y être associé. « À force de souffrir à cause de leur endométriose, les patientes voient leurs seuils de la douleur et leurs localisations varier. Elles développent des douleurs et des troubles un peu partout qu’on ne comprend pas toujours : problèmes urinaires et digestifs, muscles complètement tendus, sciatiques qui n’en sont pas vraiment… Les médecines alternatives peuvent être très efficaces contre ces symptômes. J’ai vu des patientes s’améliorer considérablement », encourage-t-il.

Pour le Dr Kvaskoff, endométriose ou non, il est toujours utile et pertinent de se protéger au maximum des pollutions chimiques. « Ça fait des années que les chercheurs démontrent les effets néfastes des perturbateurs endocriniens sur la santé, rappelle l’épidémiologiste. En termes de prévention, cela a du sens d’essayer de réduire ses expositions, par exemple en mangeant bio autant que possible, en lavant ses vêtements avant de les porter, etc. »

Le centre Artemis du CHU de Bordeaux propose une consultation d’évaluation des expositions environnementales aux couples infertiles, ainsi qu’aux femmes enceintes confrontées à des problèmes lors de leur grossesse. © Mathieu Génon/Reporterre

Un nombre croissant d’établissements médicaux s’emparent de ces questions de santé environnementale. « Au CHU de La Réunion, nous proposons des ateliers d’éducation thérapeutique des patients consacrés à l’endométriose, au cours desquels nous délivrons des conseils sur l’alimentation, les médecines alternatives intéressantes ou sur des produits de médecine alternative à éviter, comme le soja ou le trèfle rouge », raconte le Pr Theobald. Qui déplore que ces programmes ne soient pas structurés au niveau national, mais dépendent du bon vouloir de soignants volontaires. Des ateliers similaires sont – ou ont été – organisés aux CHU de Montpellier et Nantes et dans des hôpitaux privés comme Saint-Joseph à Marseille. Le CHU de Bordeaux a monté le premier centre Artemis dédié à l’évaluation des expositions environnementales chez des patients présentant des troubles de la fertilité, des pathologies de la grossesse et des malformations congénitales du fœtus. Ce dernier n’est pas spécialisé en endométriose, mais accueille régulièrement des patientes touchées par cette maladie. L’enjeu est de taille. Pour l’heure, faute de trouver des réponses auprès de spécialistes formés sur l’endométriose, de nombreuses femmes se tournent vers des médecines alternatives plus ou moins reconnues et encadrées.

Mais la route reste longue à parcourir pour une réelle prise en considération des facteurs environnementaux de l’endométriose. « Tout cela prend tellement de temps, soupire le Dr Kvaskoff. Regardez toutes ces études sur les effets catastrophiques de la pollution de l’air. Et l’on ne peut pas dire que ça bouge beaucoup du côté de la régulation politique... »

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