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Nucléaire

Financièrement en crise, EDF veut lancer des réacteurs EPR en Angleterre

François Hollande doit présider mercredi matin 20 avril une réunion de travail sur EDF. Au cœur des discussions, le controversé projet de deux réacteurs pressurisés, les EPR, à Hinkley Point, en Angleterre. Un projet coûteux et vivement critiqué en France comme en Angleterre.

-  Actualisation - Vendredi 22 avril - Pour soulager la situation financière d’EDF, le gouvernement a décidé d’injecter trois milliards d’euros dans le capital de l’entreprise, et de ne pas toucher de dividendes pendant deux ans. Par ailleurs, EDF a reporté à mai sa décision sur la construction de deux EPR à Hinkley Point, en Angleterre. Détails ici.


François Hollande et ses ministres réunis mercredi 20 avril sur la politique nucléaire donneront-ils le feu vert au projet d’EDF de construire deux réacteurs EPR en Angleterre ? C’est probable. Et la compagnie électrique française y pousse fortement.

Car alors que les incidents se multiplient sur le chantier de de l’EPR à Flamanville, EDF prévoit de construire sur le site britannique de Somerset deux réacteurs identiques, dont le montant devrait atteindre au minimum 23 milliards d’euros.

« Se lancer dans la construction d’un nouvel EPR alors même qu’EDF paraît incapable de construire celui de Flamanville, c’est prendre un risque technique et financier énorme », juge l’économiste Benjamin Dessus. D’autant que le financement du projet n’est pas totalement assuré. « Il y a un doute quant à la pérennité du mécanisme de soutien britannique », pointe Cyrille Cormier, de Greenpeace. Le Royaume-Uni a en effet mis en place un « contract of difference », c’est-à-dire un prix garanti pour l’achat d’électricité, soit £92 £/megawatt-heure (116 €) pendant 35 ans… « Mais cela peut toujours changer, et EDF doit quand même sortir dès à présent plus de 15 milliards d’euros », estime Benjamin Dessus.

Côté britannique, de nombreuses voix s’élèvent pour demander l’abandon d’Hinkley Point. Depuis une semaine, les principaux syndicats d’EDF remettent eux aussi en cause la construction de ces deux réacteurs : trop coûteux et aléatoire au vu de la situation financière du groupe, disent-ils. C’est aussi pour contester la « faisabilité à court terme du projet » que Thomas Piquemal, ex-directeur financier d’EDF, a démissionné début mars.

Il n’y a que le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, pour croire encore au projet. Lui… et Emmanuel Macron. Dimanche 17 avril, au micro de la BBC, le ministre de l’Economie a réaffirmé que « la France soutenait le projet, très important pour le secteur nucléaire et EDF ».

« On est en train de créer un nouveau Concorde » 

Pourquoi une telle obstination ? « Remettre en cause Hinkley Point serait remettre en cause la stratégie commerciale d’EDF », dit à Reporterre Corinne Lepage, avocate et présidente du mouvement Cap 21. En 2008, le groupe français a racheté British Energy dans l’idée de devenir le champion européen du nucléaire. « EDF veut prouver qu’on peut vendre des EPR à l’étranger », estime Cyrille Cormier. Une analyse partagée par Benjamin Dessus : « Pour se redresser, le groupe table sur un développement à l’international, il espère exporter sa technologie. »

Sauf que la technologie n’est pas au point. Qu’elle est très onéreuse. Que le marché mondial du nucléaire patine, et que de nombreux concurrents émergent. « C’est un marché moribond, on est passé d’une vingtaine de réacteurs vendus par an dans les années 1990 à un ou deux actuellement », explique Cyrille Cormier. Dans le même temps, la demande en énergies renouvelables s’envole. « Parler d’un marché florissant du nucléaire, c’est du baratin ! s’emporte Benjamin Dessus. Avec l’EPR, on est en train de créer un nouveau Concorde. »

La centrale d’Hinkley Point, propriété de British Energy.

Face aux difficultés financières, le groupe a donc choisi la fuite en avant. Car, outre une chute des prix de l’électricité et une dette de 37 milliards d’euros, EDF doit financer les « aléas » de la cuve et du couvercle à Flamanville, l’installation de compteurs communicants, le rachat d’une des filiales d’Areva et la mise en place du site d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure… sans parler de la rénovation des vieilles centrales, connu sous le nom de grand carénage, estimé par la Cour des comptes à 100 milliards d’euros. « C’est une somme astronomique qu’EDF n’a pas ! » observe Corinne Lepage. Signe de cette mauvaise santé financière, l’action de l’opérateur est passée en quelques années de 80 € à 10 €.

Corinne Lepage : « EDF doit faire son deuil : non, l’avenir n’est pas dans le nucléaire ! »

Pour renflouer l’entreprise, l’État, qui détient 84,94 % du capital et 90,68 % des droits de vote de la société, pourrait accepter de se faire payer son dividende en actions et non plus en numéraire. En 2015, cela a permis à EDF de garder près de 2 milliards d’euros dans ses caisses. Autant de ressources en moins pour le Trésor public. « En fin de compte, ce sera aux Français de payer », rappelle Cyrille Cormier. « Nos dirigeants sont dans un déni de réalité, estime-t-il. Les ingénieurs et les hauts fonctionnaires ont tous été biberonnés au nucléaire, avec cette idée que l’atome, c’est l’image de la grandeur et de l’indépendance de la France. » Pour Corinne Lepage, le problème principal est plus psychologique qu’économique : « EDF doit faire son deuil : non, l’avenir n’est pas dans le nucléaire ! »

Elle appelle le groupe à « changer de stratégie », en développant l’éolien, le photovoltaïque, et en diminuant sa dépendance à l’atome. Un avis partagé par Cyrille Cormier : « Pour sauver EDF, et les milliers de salariés, il faut investir dans un programme de développement et d’export des énergies renouvelables. » Et, pourquoi pas, fermer quelques centrales ! « EDF a décidé de garder l’ensemble du parc nucléaire français, ce qui suppose des travaux de rénovation et d’entretien très coûteux », note Benjamin Dessus. « La fermeture et le démantèlement d’une vingtaine de centrales coûterait moins cher ! Il faut avant tout maîtriser la consommation d’électricité » La balle est donc dans le camp du gouvernement, avant le conseil d’administration d’EDF, prévu vendredi 22 avril.

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