Grand Paris : à Saclay, ils disent non au béton et à la répression

Environ 600 personnes ont marché sur le plateau de Saclay pour s'opposer à la construction de la ligne 18 du Grand Paris Express, le 13 mai 2023. - © NnoMan Cadoret/Reporterre
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Le 13 mai, 600 manifestants ont marché sur le plateau de Saclay, dans le sud-ouest de Paris, contre la future ligne de métro 18. Ils dénonçaient la répression et l’artificialisation des terres.
Saclay (Essonne), reportage
« Terminus Zaclay ! » Sur une route bordée de champs, un « dragon-métro » (sorte de dragon chinois reconverti en transport en commun) brûle et une pluie de cailloux s’abat sur des engins de chantier. Tout autour, les militants crient « le métro s’arrêtera ici ! » face à une trentaine de gendarmes prêts à intervenir. Le 13 mai, ils étaient environ 600 à marcher sur le plateau de Saclay (Essonne) à l’occasion d’un week-end de lutte « festif » contre la future ligne 18 du Grand Paris Express.
But de ce rassemblement : défendre Zaclay, une zad « légale » montée en 2021 sur le champ de l’un des rares agriculteurs du plateau à se prononcer contre le mégaprojet. Ce petit camp qui accueille les promeneurs et les rassemblements du mouvement est dans le viseur de Gérald Darmanin. La lutte contre la ligne 18 figure parmi les 42 « sites sous surveillance » susceptibles « de se radicaliser à court terme » sur la carte révélée par le ministre de l’Intérieur dans le JDD début avril.
Les premiers signes de cette surveillance se sont manifestés début mars. « Plusieurs membres du Collectif ont été convoqués pour subir des interrogatoires de plusieurs heures à la gendarmerie », raconte Sabrina Belbachir du collectif contre la ligne 18. La pression est également mise sur les agriculteurs propriétaires du terrain. Eux aussi ont été convoqués. « Puis ils ont reçu un appel du procureur en avril, leur demandant d’évacuer le terrain pour début juin, poursuit-elle. Et si on n’évacue pas le terrain, des procédures judiciaires pourraient être lancées ; les agriculteurs s’exposent à des amendes de plusieurs centaines de milliers d’euros. » La menace de l’intervention des forces de police pour procéder à l’expulsion est aussi brandie.
La zad ne menace pourtant pas le chantier, mais c’est un des importants points d’appui d’une mobilisation qui dérange d’autant plus que le chantier est entamé. La future voie aérienne, dont les épais pylônes défigurent déjà les paysages, doit relier les grandes villes situées entre Orly et Versailles d’ici à 2027-2030. Et sur son parcours, elle « desservira l’un des premiers pôles de recherche et développement du monde, Paris-Saclay », vante la Société du Grand Paris (SGP), en charge des travaux.

Problème : le tracé du viaduc coupe à travers 3 000 hectares d’espaces naturels, dénonce depuis trois ans le Collectif contre la ligne 18, organisateur des rassemblements du week-end. Selon eux, la ligne, aux trop grandes distances entre chaque arrêt, serait aussi inadaptée aux besoins de la population, et ne diminuera pas le trafic routier une fois mise en service.

« Quand on est arrivé, on ne voyait pas le chantier. Il n’y avait rien », se souvient Fabienne Merola, chimiste à la retraite et habitante de la zad de Zaclay. Désormais, les ouvriers sont à leurs portes et le chantier avance rapidement : plus de 6,5 kilomètres (sur 14) avaient été creusés en février. « Aujourd’hui, 2 300 hectares sont menacés. Ça va extrêmement vite. Des terres, constituées de limons millénaires, disparaissent en un seul coup de pelleteuse », déplore la militante, qui craint qu’une fois terminé, le métro n’amène encore plus d’urbanisation. Derrière elle, des barnums accueillent une cantine, un coin calme, une scène, mais aussi des stands de sensibilisation et d’informations. La foule, multigénérationnelle, grouille, certains se dépêchant de manger avant le début des festivités.

« Stopper l’artificialisation des terres »
Exceptionnelle fertilité et capacité à résister aux sécheresses… cette ceinture verte aux portes de la métropole est, pour les militants, les élus et les associations présents le 13 mai, un trésor à protéger. Ainsi, qu’ils soient en train de peindre des pancartes, de boire une bière ou de marcher le long du plateau de Saclay, tous ceux interrogés par Reporterre le répètent : « Il faut stopper l’artificialisation des terres. » Et chacun de rappeler l’urgence de préserver les sols nourriciers, de développer l’agriculture paysanne et de tendre vers l’autonomie alimentaire face à l’urgence climatique.

Cependant, même aidés par un contexte national à charge contre les écologistes pour faire grossir les rangs de la mobilisation (on a pu apercevoir les masques des Naturalistes des terres, le symbole des Soulèvements de la Terre ou encore d’Extinction Rebellion…), peu portent l’espoir que le chantier de la ligne 18 s’arrête. « Quand tu compares aux autres combats (comme les autoroutes ou les mégabassines), tu ne te dis pas que c’est le plus important. Alors que c’est quand même un énorme gâchis », juge Pierre-André, manifestant de 25 ans, tandis que la marche touche à sa fin.

Si les chances de l’emporter sont aussi faibles, c’est qu’au niveau local, la contestation peine à monter, croit savoir Fabienne Merola : « On est en Île-de-France, entourés de villes-dortoirs. Rares sont les gens ici qui considèrent ces champs comme des terres à défendre. » Quant aux agriculteurs, pour la plupart, « ils ont abandonné » avant même de se battre et cherchent plutôt « à négocier le meilleur deal avec la SGP », poursuit la sexagénaire. « Pourtant, j’espère toujours qu’un retournement de situation va se produire, comme après le référendum de Notre-Dame-des-Landes. » Là-bas, alors que le « oui » l’avait emporté, le projet d’aéroport avait finalement été abandonné deux ans plus tard.
Les militants entendent continuer de défendre les terres et leur camp. « Un démantèlement de [la zad de] Zaclay constituerait une attaque frontale, sans précédent et d’une agressivité démesurée contre la vie démocratique, alors même qu’aucune menace à l’ordre public n’est avérée », estimait une tribune du collectif publiée par Reporterre début mai.