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Énergie

L’État français, soutien indéfectible de Total en Ouganda

Station-service Total à Kampala (Ouganda), en janvier 2020.

Alors que les conséquences humaines et environnementales du mégaprojet pétrolier de Total en Ouganda sont de mieux en mieux connues, l’État français continue de soutenir la multinationale. Dans un rapport publié le 14 octobre, des ONG détaillent ses stratégies de soutien.

Difficile, pour l’État français, de continuer à ignorer les conséquences humaines et environnementales des ambitions pétrolières de Total en Ouganda. Plusieurs banques françaises se sont prudemment retirées des projets Tilenga et EACOP. Quatre rapporteurs spéciaux des Nations unies ont demandé des comptes à la multinationale. Un bras de fer judiciaire, mené par six ONG [1], est en cours. Pour autant, le gouvernement français n’en démord pas. Son soutien à ce projet pétrolier titanesque (incluant l’oléoduc chauffé le plus long du monde) est indéfectible. « Comment des institutions publiques censées représenter l’intérêt général peuvent-elles se mettre au service du pétrole et des intérêts d’une entreprise multinationale ? » questionne un rapport de l’Observatoire des multinationales, des Amis de la Terre et de Survie, paru jeudi 14 octobre.

Au cœur de l’Afrique des Grands Lacs, l’État français ne se cache pas. Première courroie de transmission : l’ambassade, installée dans la capitale ougandaise, Kampala. Total cofinance la plupart de ses événements culturels, de la fête du 14 juillet à la « Semaine de l’amitié Ouganda-France ». « Total en est le sponsor numéro un, même si ce n’est pas l’unique », dit Juliette Renaud, responsable de la campagne Régulation des multinationales des Amis de la Terre. L’ambassadeur, Jules-Armand Aniambossou, était le camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’École nationale d’administration (ENA). Fin août 2021, il a organisé une cérémonie officielle « en l’honneur » de l’ex-directeur général de Total Énergies Ouganda, Pierre Jessua, depuis remplacé par Philippe Groueix.

Une famille ougandaise. © Les Amis de la Terre France

Seconde courroie de transmission : l’Alliance française. La multinationale y est, là aussi, un sponsor omniprésent. « Je n’ai jamais vu une soirée à l’ambassade ou à l’Alliance française où il n’y avait pas le logo de Total », raconte Thomas Bart, porte-parole de Survie, qui a vécu en Ouganda de 2015 à 2019. Un tel affichage « fait grincer des dents dans le pays. Car la France y reste donneuse de leçons sur les droits humains, tout en déroulant le tapis rouge à Total », note Juliette Renaud.

« Ce qui se passe en Ouganda, les citoyens français ne le savent pas »

À Paris, en revanche, c’est la politique de l’autruche. Face aux alertes des ONG, le gouvernement n’a jamais pris position publiquement. Thomas Bart décrit « un soutien de l’ombre », qui n’en reste pas moins « extrêmement important ». En mai 2021, Emmanuel Macron a écrit au président ougandais Yoweri Museveni pour le féliciter de sa réélection. La lettre, jamais rendue publique par l’Élysée, annonce la visite en octobre du ministre délégué au Commerce extérieur, Franck Riester, et souhaite une progression rapide du chantier. « Ce qui se passe en Ouganda, les citoyens français ne le savent pas, souligne Thomas Bart. En vitrine, le gouvernement peut continuer de prôner le respect des droits de l’Homme, de l’Accord de Paris sur le climat... Derrière, il soutient ce type de projets. »

Reste l’« arme secrète » de Total, selon le rapport : les « portes tournantes ». Ces allers-retours de cadres hauts placés, du public au privé (alors appelés « pantouflages ») et vice-versa, sont au cœur du jeu d’influence. Hélène Dantoine, actuelle directrice de la diplomatie économique au ministère des Affaires étrangères, a travaillé pour Total de 2011 à 2019. Jean-Claude Mallet, ancien conseiller spécial de Jean-Yves Le Drian au ministère de la Défense puis aux Affaires étrangères jusqu’en 2019, est aujourd’hui directeur des Affaires publiques de la multinationale.

En septembre 2021, Aurélien Hamelle, directeur juridique du groupe Total, a rejoint la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers. « Rien de tout cela n’est anecdotique. L’entreprise y gagne un accès privilégié aux décideurs. Un accès qui n’existe pas pour la société civile... », insiste Juliette Renaud.
 

Militaires ougandais. © Grégory Leberger

La France « coresponsable » de la militarisation de la zone pétrolière

Sur le terrain, les militaires ougandais déployés pour protéger les sites pétroliers ont été formés, en partie, par des militaires français, a dévoilé Africa Intelligence. En plus de l’armée et de la police pétrolière ougandaises, Total embauche aussi des forces de sécurité privée. « Il y a une militarisation incroyable de la zone », rappelle Thomas Bart. Là encore, « le gouvernement français en est coresponsable. Dès 2016, certaines sources nous expliquaient que l’ambassade de France poussait à en renforcer la militarisation ». Selon le rapport, cette présence sécuritaire agirait comme un moyen de pression sur les habitants affectés par le projet.

La semaine dernière, « la police a débarqué dans le bureau de plusieurs ONG ougandaises pour leur demander de partir et de suspendre leurs activités », raconte Juliette Renaud. Parmi elle, l’ONG Afiego, pour laquelle travaille le défenseur des droits humains Maxwell Atuhura, dont Reporterre a relaté l’arrestation en mai. Les forces de l’ordre ont aussi « fait du porte à porte auprès des familles expulsées en lien avec des ONG, pour leur dire de couper tout contact », dit Thomas Bart.

Mercredi 13 octobre, pour la première fois, les Amis de la Terre ont été reçus à l’Élysée par un conseiller d’Emmanuel Macron pour discuter de l’affaire Total en Ouganda. Signe que la posture gouvernementale est de moins en moins tenable ? « On a fait des demandes précises sur divers volets », retrace Juliette Renaud. Peser diplomatiquement en faveur des droits humains, ne pas octroyer de garanties publiques à l’exportation [2] à Total ou, encore, ne pas participer au « greenwashing » de la multinationale. « Maintenant, on attend les actes concrets. »

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